Léman émerveille : Plongée dans l'univers d'un artiste aux multiples reflets

Rencontres

Léman émerveille : Plongée dans l'univers d'un artiste aux multiples reflets
Entretien enregistré par Zoom le 13 novembre 2023
Propos recueillis et retranscrits par Jean-Michel Fontaine

Jean-Michel Fontaine

Léman, tu es né à Genève et tu t’appelles Clément. Ce pseudo était-il une évidence pour toi, un surnom que tu portais depuis ta plus tendre enfance ?

Léman

Ce n'était pas du tout une évidence, non. J'ai mis longtemps à trouver un pseudo. J'ai cherché pendant très longtemps à essayer d'avoir des références de trucs artistiques que j'aime bien. C'est d'ailleurs un concert où j'ai été invité par mon pote Louis Delort, qui est chanteur. Il faisait un concert dans le Sud et il m'avait invité à passer le week-end avec eux, à chanter deux ou trois chansons sur scène. C'était un peu des mini-vacances. Et je tannais tout le monde pour trouver un nom. À ce moment-là, j'étais vraiment en pleine réflexion et ça me bouffait le cerveau. Et il m'a dit, mais vraiment comme une évidence "Mais pourquoi tu ne t’appelles pas Léman ?” Et c'est vraiment tombé du ciel comme ça. Et je me suis dit, “Ouais, en fait, c'est simple, ça me va bien. J'y trouve du sens. Ça résonne un peu au fond de moi.” Alors que ça faisait vraiment des semaines que je cherchais et que je voulais un truc qui me parle, parce qu’après tout c'est un truc assez intime. Il a décelé l'évidence.

C’était en 2018, dans ces eaux-là ?

C’était en 2017, quelque chose comme ça.

Tu as grandi à Châtillon-en-Michaille, dans l’Ain, puis à Sallanches, en Haute-Savoie, avant de t’installer à Lyon pour tes études. Dans tes chansons, tu parles beaucoup d’introspection, de tes sentiments, de tes ressentis, de la société, mais pas de tes lieux de vie. Est-ce que tu as des attaches, un lieu que tu as fait tien ?

C'est une bonne question. Je ne crois pas, non. Pas de lieu en particulier. C'est plutôt des paysages, des trucs comme ça. La montagne en général ou beaucoup la mer, alors que je n'y ai pas grandi, ou l'océan ou des trucs comme ça. Là, vraiment à chaque fois, ça me fait une sensation très étrange quand je suis face à l'océan. À la fois, c'est très attirant parce que c'est super cool de se baigner et en même temps, moi, ça me terrifie parce qu'on ne sait pas ce qu'il y a vraiment au fond. Dans les premiers mètres, on sait, mais on connaît mieux l'espace que l'océan, il me semble. C'est ce que je veux dire. Et voilà, c'est pas un endroit en particulier, mais plutôt des paysages, oui.

Tu es un enfant du rock et de la musique classique. Quand as-tu commencé à apprendre la musique ?

Je suis un enfant du rock, ça c'est clair, de la musique classique, au même titre que plein de styles de musique, mais certains plus que d'autres quand même, musique classique, du rap, de l'électro beaucoup… Quand est-ce que j'ai commencé à apprendre la musique ? Je pense comme beaucoup d'autres, beaucoup de gens, quand j'étais ado, vers 14 ans, un truc comme ça, où mon père m'a demandé si je voulais faire un instrument de musique. Et comme ça, j'ai répondu, “la guitare électrique”. Je ne sais pas trop pourquoi, c’était Angus Young d’ACDC qui devait me faire rêver. Au début, je n'étais pas très assidu à cet exercice. Et puis, en fait, après, en grandissant, j'ai trouvé une forme d'évidence et de refuge. Et après, ça ne m'a plus jamais lâché. La guitare d'abord, après le chant, un ou deux ans après. Puis, c'était vraiment les deux avec la compo, l'écriture, etc. Aujourd'hui, c'est beaucoup avec les ordinateurs et tout ça, la MAO.

J'étais persuadé que tu avais une formation académique à la base, parce que tu maîtrises tellement bien la technique, la composition, les arrangements que j'aurais mis ma main à couper que tu avais commencé le piano et le solfège à l’âge de cinq ans.

Non, pas du tout. Par contre, ce que tu dis, ce n'est pas faux. J'ai appris beaucoup tout seul avec des cours de guitare privés. Et après, une fois que j'ai eu le bac, je suis allé faire deux écoles à Lyon où je ne faisais que ça. J’avais une spécialité en guitare et là-bas, il y avait des cours de théorie, des cours de rythme, plein de trucs. On faisait de la musique tout le temps. Et c'est là où j'ai beaucoup rattrapé mon retard en termes d'écriture, d'arrangement, vraiment purement classique.

Au collège, ton premier groupe s’appelait "Mona Lisa Klaxon", du nom de la chanson de Jacques Higelin. Quel type de chansons jouais-tu avec ton groupe ?

Wow, tu as fait des recherches pour tomber dessus !

T’as pas idée ! [rires]

Quel type de chanson on jouait ? On faisait du rock français. À l'époque, j'étais juste guitariste soliste. Je ne chantais pas. C'était mon premier groupe, avec lequel j'ai fait mes premières armes. J'avais 15-16 ans. C'était du rock français dans la veine de Jacques Higelin.

Pour moi, Jacques Higelin, c'est le plus grand showman francophone. J'ai eu cette chance extraordinaire de le voir aux Francofolies de La Rochelle en 1989, un concert qui a duré six heures. Et quand je suis sorti du concert à 6h00 du matin, j'avais plus d'énergie que quand le concert a commencé à minuit. Deux ans plus tôt, Jacques Higelin était déjà aux Francofolies, et après le concert, Patrick Bruel était tellement impressionné qu’il a écrit “Casser la voix” dans la foulée après ce concert qui était juste incroyable. Incroyable.

Il a joué pendant six heures d’affilée ?!?

Oui, c’était hallucinant. Hallucinant.

Tu en parlais à l’instant. En 2012, tu obtiens un DEM, un Diplôme d’Études Musicales du CFPM, le "Centre de Formation Professionnelle de la Musique" de Villeurbanne, suivi d’un autre DEM en 2016, en musiques actuelles cette fois-ci, de l’ENM, l’École Nationale de la Musique, de Villeurbanne. Est-ce que ce sont tes parents qui t’ont poussé à effectuer des études, ou est-ce que tu pensais que des études supérieures te permettraient d’être indépendant et autonome dans, par exemple, la réalisation, la mise en scène, la comptabilité, la gestion ? Que recouvrent ces formations ? C'est purement musical ou alors tu peux être ton propre producteur après ces études ?

Non, c'est purement musical. J'ai eu la chance d'avoir mes deux parents qui m'ont toujours soutenu pour faire ça. Depuis que je suis ado, vers 15-16 ans, j'ai dit "Moi, je crois que j'aimerais bien être musicien, faire de la musique toute ma vie." Les deux m'ont dit, "Tu sais, ça va être difficile". Ce n'est pas vraiment une voie très tracée. C'est pour ça que je suis vraiment boulimique de ça. Mon cerveau tourne tout le temps autour de ça. Dès que j'entends des sons, je veux comprendre comment c'est fait, comment c'est arrangé. J'analyse tout le temps plein de trucs, aussi bien en termes de composition, d'arrangement, de technique de mixage, d'écriture aussi, de texte, parce que j'adore ça. Je lis beaucoup de littérature et tout ça, Bref. C'est pour ça qu'après le bac, j'ai voulu pallier ces manques que j'avais en faisant des écoles un peu supérieures. Mais dans ces écoles-là, il n'y avait pas tout ce qui était industrie de la musique. Et c'est tellement compliqué. Les gens ne s'imaginent pas à quel point c'est un truc hyper complexe à comprendre. Tous les domaines qu'il y a dans une carrière artistique à gérer.

Et puis, il faut comprendre les tenants et les aboutissants, sinon tu ne te développes pas bien en tant qu'artiste. Et c'est hyper vaste. L'édition, la production de spectacle, la production phonographique, etc. C'est des trucs que j'ai appris tout seul, avec des copains, en échangeant ce qu'on avait compris sur Internet et aussi, heureusement, en faisant des formations par ci par là, des trucs où tu t'inscris. À Lyon, il y a le dispositif “Avant-scène”, par exemple. Tu as des professionnels du secteur qui viennent parler de tout ça, qui t'apprennent plein de trucs. J'y allais avec mes petites notes. Il y a le Studio des Variétés aussi à Paris où j'ai fait une formation, j'en ai fait plusieurs d'ailleurs, sur la structuration professionnelle de l'artiste. Tout ce côté-là de gestion de carrière, purement management, etc, qui est primordial. Ça, j'ai appris tout seul, comme ça, en cherchant par moi-même. Il n'y a pas de formation comme une école standard.

Tu n'as pas passé ces quatre années-là sur les bancs de l'école, puisque, toujours entre 2012 et 2016, tu es chanteur du groupe de rock électro Hokins. Tu sors deux EP avec ton groupe, des titres en anglais. Est-ce que tu as eu l’impression d’apprendre ton métier de chanteur à travers cette expérience, que ce soit en studio ou sur scène ?

Oui, totalement. C'est très bien dit. C'est exactement ça. Pour moi, en tout cas, ça a été vraiment poser les bases, tout ce qu'on a vécu pendant ces quatre ans, à la fois faire des concerts dans des super mauvaises conditions, on a fait des trucs que je ne ferai plus aujourd'hui, où on avait un concert par soir, on faisait Paris, Clermont, etc. On était en février, on dormait dans le camion sur une aire d'autoroute et ma couverture, c'était ma veste de scène. On mangeait des pizzas pas cuites. Je me faisais réveiller par le froid, moi et les autres. On n'avait pas d'argent pour prendre des hôtels parce qu'on faisait des concerts pas payés. Alors ça forge. Franchement, ça fait bien progresser. On a fait à la fois des trucs comme ça et après, on a fait aussi des Zénith avec Shaka Ponk où c'était l'inverse. C'était gigantesque, incroyable. Vraiment, on a eu une chance folle de vivre ça et je remercierai toujours Frah des Shaka Ponk qui nous a proposé de faire ça. Ça, c'est le côté scène, mais il y a le côté aussi studio de toute la recherche de sons, d'orchestration, les enregistrements… J'ai toujours eu cette chance-là, vu que je suis boulimique d'apprendre plein de trucs en rapport avec la musique, déjà à cette époque-là, on enregistrait beaucoup nous-mêmes chez nous, etc. Donc le fait d'enregistrer soi-même avec du super matos, ça permet d'être quand même dans un plus grand confort que d'être en studio où t'es stressé par "faut être bon direct parce que t'as pas la journée pour tout enregistrer”. Là, on peut prendre un peu plus notre temps. Donc ouais, ça m'a formé sur plein d'aspects, ça c'est clair.

En novembre 2016, Hokins reprend "Vivre ou survivre" de Daniel Balavoine. C’est le titre que tu interprèteras à The Voice quatre mois plus tard. Que retiens-tu de cette expérience ? Comment ça s'est passé chronologiquement ? Je sais que la production de The Voice avait déjà essayé de te contacter. Tu as enregistré “Vivre ou survivre” et ils t’ont dit, “Viens la faire sur The Voice !” ou c'était un clin d'œil parce que tu savais déjà que tu allais chanter “Vivre ou survivre” sur The Voice ?

En novembre 2016, on avait déjà tourné les premiers épisodes de The Voice qui ne sont pas diffusés en direct. C'est la fin qui est diffusée en direct. À la base, je ne voulais pas chanter cette chanson. Je voulais chanter “Grace” de Jeff Buckley à The Voice, mais ils n'ont pas voulu. Donc j'ai montré un peu ce que j'avais en magasin et je leur ai montré “Vivre ou survivre”. Ils ont bien aimé. En parallèle, le groupe était en train de s'arrêter et je me suis dit, voilà, on va sortir cette chanson, ça fera la transition.

Et qu'est-ce que tu gardes de The Voice ? Est-ce que tu as gardé, par exemple, des contacts avec les personnes que tu as rencontrées, que ce soit des candidats, des professionnels, des gens que tu as croisés, des beaux parleurs qui t'ont dit “Tiens, voilà ma carte, appelle-moi quand tu veux, on va sortir quatre albums ensemble”.

Ça, il y en a toujours. Ce que je garde surtout de cette expérience, c'est vraiment plein de trucs. J'ai appris énormément sur moi. Ça m'a fait beaucoup grandir. Musicalement, déjà, c'est quand même des conditions encore très particulières, parce que c'est de la télé. C’est très différent de tout ce que j'avais connu avant. Ce n'est pas du tout les mêmes conditions techniques. Ce n'est pas plus facile, loin de là. Les conditions aussi de stress : énorme, horrible ! Ça aussi, ça m'a fait beaucoup grandir. Et puis, les rencontres humaines. J'ai encore énormément de potes que j'ai rencontrés là-bas et qui sont parmi mes meilleurs potes. Ça fait plusieurs années qu'on reste en contact, que l'on se voit toujours. C'est vraiment hyper intense comme expérience de vie. Je ne regrette pas du tout. Je ne suis pas allé très loin, mais c'était super. Très dur aussi.

Selon ton profil LinkedIn, le projet Léman démarre en octobre 2018. Que s’est-il passé entre la fin de The Voice et la naissance de Léman ?

Une traversée du désert. C'est-à-dire qu’à la fin de The Voice, je me suis dit "OK, je ne sais pas du tout ce que je vais faire maintenant. Je ne sais pas ce que je veux déjà." The Voice, ça n'a pas vraiment marché comme je l'aurais voulu. Sur le moment, je ne le vivais pas très bien, mais avec du recul, je me dis heureusement. C'est souvent comme ça d'ailleurs, les choses dans la vie. Souvent, avec du recul, on se rend compte que heureusement que ça s'est passé comme ça s'est passé". Moi, en tout cas, c'est ce que j'essaie de me dire souvent, de voir le bon dans les choses. Mais quand ça vient d'arriver, parfois, c'est difficile de voir le bon côté. Et donc je me suis dit "OK, mon groupe s'est terminé. J'ai envie de faire de la musique, mais je ne sais pas comment, je ne sais pas sous quelle forme, je ne sais pas avec qui..." Je ne sais pas comment faire, je ne sais pas comment construire, et je n'ai pas de chanson." Je me suis dit, “Je vais prendre le temps de réfléchir”.

J'ai fait mes petites chansons dans mon coin. J'ai sorti quelques titres qui ne sont plus dispo. Je travaillais avec Cyril, le bassiste de Hokins, et on a sorti quelques titres comme ça ensemble. C'était beaucoup de questionnements sur moi, sur ce que j'avais envie de faire. De recherche, de me dire, "Peut-être que je vais arrêter. Peut-être que je vais arrêter la musique, je ne sais pas, parce que je ne sais pas quoi faire." Je pensais même commencer des études d'avocat. Voilà, j'étais perdu. J'étais vraiment perdu. Et il a fallu du temps pour que je me dise, "Mais en fait, non, parce que je ne peux pas faire autre chose. Ça me rendrait trop malheureux. Ça me rendrait vraiment trop malheureux de ne pas faire ça." Que faire d'autre ? Je ne sais pas. Je donnais des cours de guitare à côté, mais l'économie des cours de guitare dans des petites écoles, c'est compliqué parce que tu as quatre ou cinq heures par ci dans une école, quatre ou cinq heures par là. Du coup, ça te banalise toute la journée et ça fait qu'à la fin, t'as à peine moins qu'un RSA, et le RSA vient un peu compléter.

Pendant plusieurs années, c'était ça pour moi et c'est difficile de vivre comme ça. Je me disais, "Je préfère faire ça et faire de la musique, même si ce n’est que pour moi, mais on verra bien." C'était un peu une forme d'abandon, mais d'abandon dans le bon sens du terme, c'est-à-dire de lâcher prise, cette période-là. Jusqu'au moment où je me suis dit, "en fait, j'ai toujours essayé de faire de la musique pour plaire”. A qui ? Je ne sais pas, mais sans doute à plein de gens différents. Et en fait, je m'en fous. Là, je vais arrêter, je vais faire de la musique pour moi." J'ai toujours été passionné de politique, de théorie politique, de vivre ensemble, de comprendre comment, alors qu'on n'est pas tous d'accord par définition, on arrive à faire nation, à vivre ensemble. J'ai toujours trouvé ça passionnant.

En parallèle, on assistait au mouvement des gilets jaunes. J’ai envie d'écrire dessus. Ça peut être clivant, mais je m'en fous. Je mets toutes mes tripes, toujours, dans mes chansons. Je vais faire du mieux possible. J'ai commencé à sortir d'autres chansons, à écrire des chansons très tristes pour certaines, qui ne sont pas encore sorties.

On va arriver évidemment à tes chansons, mais ton premier titre sous le nom de Léman était une reprise des Doors, "My wild love", en janvier 2021. Pourquoi ce choix ?

Bonne question. Parce que j'adore les Doors et j'adore cette chanson depuis toujours. Je trouve que la ligne de chant est incroyable, mais je trouve pas géniale l'orchestration autour. J'ai beaucoup écouté les Doors, et quand j'ai réécouté cette chanson, je me suis dit qu’il y avait moyen de faire beaucoup mieux si on change les accords. J'ai juste gardé la ligne de chant qui est vraiment génialissime et j'ai changé les accords autour. Et ça a changé toute la sensation de la chanson, je trouve. Après, les gens jugeront. J'ai tout fait tout seul. L'enregistrement, l'arrangement, j'ai tout écrit tous les instruments, j'ai tout joué, j'ai mixé, j'ai masterisé.

Remplace “My Wild Love” par “La danse des canards”, c'est exactement la même chose.

Oui, c'est clair, c'est la même idée. Changer l'orchestration.

Je te propose que l’on aborde la thématique que je trouve la plus fascinante : la création des chansons. Est-ce que tu as un processus créatif particulier ? Est-ce que tu commences par les paroles, la mélodie, un gimmick… ? Ça dépend des cas… ?

Ça dépend des cas. Ça dépend des types de chansons. Pour “Les plus bornés”, je me suis réveillé en pleine nuit. Comme ça m'arrive d'avoir des insomnies, je réfléchissais, et je ne sais pas, la phrase “Les plus bornés seront éborgnés, dents déchaussées sur la chaussée” m'est venue. J'avais juste ça et j'ai écrit quasiment le premier paragraphe sans savoir ce que ça allait être. Et puis après, à un autre moment, bien plus tard, j'ai pris ma guitare, comme ça, il y a trois accords qui me sont venus et j'ai cette ligne de chant qui m'est venue. Puis après, j'ai construit le reste de la chanson comme ça. Pour celle-ci, c'est partie du texte. Trouver une mélodie par rapport aux mots. Mais c'est assez rare quand ça se passe comme ça. Généralement, j'ai ma guitare, et j'ai une mélodie qui me vient. Et avec cette mélodie, il y a des mots qui sont plus ou moins évidents. Et de ces mots-là se dégage une thématique. Et de la thématique, je brode autour et j'en construis un texte. La plupart du temps, pour moi, ça se passe comme ça.

Ce que je trouve incroyable, je pense notamment à “Petit garçon” et “On attend”, évidemment, c’est que ton écriture est extrêmement rythmique. Comment arrives-tu à développer ce sens du rythme, à garder ce sens du rythme dans les paroles ? Et bon courage pour les chanter sur scène, parce qu'en studio, tu peux faire 50 enregistrements, mais alors sur scène, je ne sais pas comment tu fais pour chanter ces titres-là !

Tu veux dire au niveau du souffle ?

Oui !

Je fais du sport, un petit peu. J'essaie de faire simple, mais dans le bon sens de la simplicité, c'est-à-dire efficace en termes de sonorité, et en même temps qui ont du fond, qui veulent dire des trucs. Quand on se rend compte qu'il y a du fond, je trouve ça intéressant. Après, il y a d'autres titres qui ne sont pas encore sortis, mais qui sont plus écrits.

Parfois, ça me prend des semaines et des semaines de réflexion pour un mot, pour un vers !

Justement, comment trouves-tu l'équilibre entre le sens des paroles et leur musicalité ? Est-ce que tu as déjà dû faire des compromis ?

Oui. Parfois, j'ai une mélodie, j'ai des mots qui sont dessus et je me demande s’il n'y a pas de sens plus profond à trouver. Je cherche, je cherche, je cherche… Parfois, ça me prend des semaines et des semaines de réflexion pour un mot, pour un vers ! Et en fait, je ne trouve rien qui sonne mieux que ce qui était m’était venu sur l'instant quand j'ai composé le premier jour.

Par exemple sur "On attend" le "quelques secondes", j'ai cherché pendant des semaines quelque chose pour le remplacer. Mais c’est trop évident, le “secondes”, il rebondit bien, ça a du sens, ça marche avec ce que je veux dire. Pourquoi faire plus compliqué quand ça, c'est tellement efficace ? Mais il y a toujours un moment de réflexion où on ne voit pas l'évidence qui est pourtant au milieu du nez de la figure. Ce n'est pas ça l'expression, mais tu as compris. [rires] Et en parallèle de ça, j'ai la chance de travailler avec plein de gens. Je n’écris pas les chansons tout seul. J'envoie les sessions à différents collègues pour qu'ils arrangent des petits trucs par ci par là. Des gros trucs, parfois. Ça dépend des chansons. Et pareil pour les textes, je me fais toujours relire. Parfois, il y a même des chansons que je n'ai pas du tout écrites tout seul. On les écrit totalement à deux. Par exemple, “On attend”, mais aussi, “On est plein”, je l’ai écrite avec Marc. Et puis il y a des chansons que j'écris tout seul, comme “Les plus bornés”.

Justement, la plupart de tes chansons, en tout cas celles que je connais, sont co-écrites et co-composées avec notamment Marc Chaperon ou Clémentine Bailly pour les paroles et Marc Chaperon et Johan Putet pour la musique. Comment est-ce qu'on travaille sur une chanson à plusieurs... ? L'impulsion initiale primordiale, c'est toi et tu leur demandes de faire du fine tuning ou est-ce que parfois, tu sèches, et tu dis, “Ah, Clémentine, j'ai besoin que tu m'aides parce que je ne sais pas ce qu’une fille vit quand elle se promène dans la rue et qu'on lui met une main aux fesses”.

Il y a plusieurs réponses à apporter. Premièrement, ça dépend des chansons. Comme je viens de le dire, systématiquement, j'aime bien me faire relire. Il y a des chansons qui partent vraiment d'un groupe. Par exemple, "On attend" à la base, elle a été composée avec Manu [Freson] et Pierre [Dumoulin] à Liège, [dans les studios de Kargo Songwriting]. On était en studio et j'étais venu avec un petit vocal du refrain, d'une mélodie comme ça qui m'était venue. On a construit toute la chanson ensemble : la mélodie du couplet, avec les premiers mots qui sont tombés. Et après, j'ai réécrit le texte avec Marc, je l'ai fait relire à Clémentine. Johan est intervenu après sur tous les arrangements additionnels.

“Petit garçon” parle de ce que je vis, de ma vie en tant qu'homme et en tant que blanc, ou plutôt de ce que je ne vis pas et des privilèges que je peux avoir et que d’autres n’ont pas.

Du fait de ne pas vivre tout un tas de trucs qui sont quand même très désagréables. Pour le coup, par exemple, les mains aux fesses, j'en ai jamais reçu. Et évidemment qu'il y a tout le deuxième couplet qui parle de cet aspect-là, le privilège masculin. Comme je travaille avec Clémentine sur d'autres chansons, il fallait évidemment que j'aie son regard, sa critique, ses mots aussi quelque part pour parler de ça. J'ai répondu à la question ?

Oui, en partie, puisque je vais enchaîner. Clémentine a co-écrit "On attend", "Petit garçon", "Ton visage". Est-ce que les chansons auraient été différentes sans cette touche féminine qu’elle t’a apportée ?

C'est sûr. Oui, bien sûr. Ne serait-ce que sur un regard critique. Parfois, je lui montre des chansons, qu’elle ne trouve pas géniales, alors que pour moi, elles sont super. Ça me permet de prendre du recul, de me demander si elle n’a pas capté ce que j'essaie de faire. Peut-être que c'est mal fait aussi. Et qu'elle a raison. Parfois, ça prend du temps, parfois, il faut laisser reposer. Ça dépend des chansons, en fait. Parfois, je me dis qu’elle a raison. Parfois, c'est elle qui trouve mieux. Parfois, c'est pas elle. C'est toute la team avec qui je travaille. Je demande toujours les avis de tout le monde et après, c'est à moi de dealer avec ça en me demandant si je suis sûr de moi ou pas. L'exemple que j'aime bien donner, parce qu’il est très parlant, c'est “Mais par Toutatis, que fait la police”. En jouant de la guitare, ces mots-là sont venus comme ça. Je me suis dit, “j'adore, c'est très simple !” et en même temps, c'est pas simple du tout. Ça évoque plein de trucs. Manu, mon éditeur, n’accrochait pas trop. Mais moi, j'étais sûr de moi. Et donc je l'ai gardé. Et puis après, ça a eu un retentissement sur les réseaux sociaux où plein de gens chantaient, plein de jeunes qui chantaient “Mais par Toutatis, que fait la police”. C'est rigolo.

C'est comme “Tra la li tra la la”. C'est important dans la chanson pour ne pas dramatiser la chanson qui aborde un thème extrêmement lourd à la base. Et ça permet justement de donner cette dimension de second degré qui reste important pour ne pas sombrer dans le pathos.

C'est ça. Du second degré, à la fois de joie un peu enfantine et de naïveté qui cassent le côté lourd de ce que je raconte dans les paroles. Et puis après, il y a les refrains qui sont pleins d'espoir et du fait qu'on arrivera à faire quelque chose d'un peu plus égalitaire en termes de respect des gens et de partager tout ça. “À qui a ça en commun d'être un humain”, comme je dis à la fin. Il y a des fois, je n'ai pas trop d'espoir. Il y a des fois, j'ai de l'espoir. Ça dépend des jours.

C'est cohérent avec le titre de la chanson, “Petit garçon”. Avec la pochette également. j'imagine que c'est une photo de toi enfant. [il acquiesce] Et puis le côté petit diable également. C'est une chanson qui a plusieurs niveaux de lecture. En tant qu'homme blanc cisgenre de plus de 50 ans, globalement, j'ai échappé au pire dans la chanson.

[Surpris] Pourquoi tu dis ça ?

Tu aurais pu pousser plus loin, puisqu'il y a le privilège mâle, le privilège blanc, mais également, en tant qu'homme blanc cisgenre de plus de 50 ans, j'ai tous les torts.

Tous les torts ? Non, non. C'est très important à dire : je ne pense pas qu'il y ait des torts. Je ne suis pas coupable d'être un homme ou d'être blanc, mais à l'inverse, je n'en tire aucune gloire non plus. Je suis très content d'être ce que je suis, mais je ne me flagelle pas du tout d'être ce que je suis non plus. C'est juste que je m'interroge sur le fait que pourquoi, alors que je n'ai pas choisi ça, j'en tire des privilèges là où des gens qui, comme moi, n'ont pas choisi d'être ce qu'ils sont, ont des expériences de vie beaucoup plus difficiles. Par exemple, je discutais avec un pote il n'y a pas très longtemps. On était ensemble dans la voiture et on s'est fait arrêter par les flics. Une fois le contrôle terminé, je lui ai demandé s’il se faisait souvent arrêter par les flics. “Oui, toutes les deux semaines”. Et à côté, dans la voiture, il y avait un autre pote à nous qui est tout aussi blanc que moi qui répond, “Moi, ça ne m'est jamais arrivé de ma vie”.

Ce sont des questions comme ça qui sont intéressantes à poser, à réfléchir. Mais encore une fois, je n'en tire vraiment aucune gloire et je n'en suis pas du tout coupable non plus. C'est juste comme ça. Et autre chose aussi à dire là-dessus sur cette chanson, parce que ça, c'est aussi un truc qui n’a souvent pas été compris par les gens qui ne réfléchissent pas beaucoup, c'est qu'à aucun moment, je ne dis que d'être blanc et d'être un homme, ça rend la vie facile. Je n'ai jamais dit ça non plus. Je dis juste que ça facilite certains points, mais ça n'empêche pas de souffrir aussi énormément sur plein d'aspects. Les choses ne sont ni blanches ni noires.

C’est le cas de le dire ! [rires]

Elles ne sont pas binaires. C’est ce que je voulais dire.

Tu as déposé 60 titres à la Sacem, dont plus d’une trentaine de musiques seules. Est-ce qu’il s’agit de titres dont tu n’as pas encore écrit les paroles ?

[surpris] Où est-ce que tu as chopé ces infos ?!? [rires]

C’est public. C’est totalement public.

Soit ce sont des vieilles chansons que j'ai faites moi comme ça, qui ne sont jamais sorties, soit ce sont des chansons qui ne sont pas encore sorties et qui sortiront bientôt.

La plupart ont des titres en anglais. Quand tu composes, est-ce que tu chantes en yaourt avec un titre anglophone, tout en sachant que maintenant tu écris en français... ?

Pendant longtemps, j'ai écrit en anglais. Je déposais des maquettes un peu pourries, pour la ligne de chant, sans savoir comment ça évoluerait par la suite, en anglais ou en français.

Pour revenir sur cette évolution, à quel moment tu t'es dit : “je vais écrire en français” ? Parce que c'est généralement un point de bascule assez important pour un artiste francophone de se ”cacher” derrière l'anglais et puis, à partir du moment où on écrit en français, on se retrouve à poil.

Depuis vraiment tout gamin, j'écoute des grands auteurs français, notamment dans le rock, comme Bashung, dont je connais tout par cœur, et d'autres, comme Higelin, dont tu parlais tout à l’heure. J'ai énormément écouté des gens qui écrivent vraiment très bien. Et il y avait le fait de se cacher derrière l'anglais, parce que c'est plus facile à faire sonner, parce que le rock vient de là, mais en même temps, j'ai toujours énormément écouté de rock français. Je ne sais pas si à un moment, ça s'est imposé à moi. Je me suis dit, “Tentons”. On verra si c’est bien fait, mais en tout cas, je vais faire du mieux possible. En espérant m’améliorer.

Les réseaux sociaux sont comme un autre instrument de musique à maîtriser.

Tu maîtrises parfaitement les réseaux sociaux, notamment TikTok qui est le réseau où tu es le plus suivi. Cette mise en avant de ton travail à travers l’image a-t-elle été une évidence, ou as-tu dû te faire violence pour adopter des codes, qui ne sont pas nécessairement les tiens ?

C'est une très bonne question. J'ai dû me faire violence. Au début, je ne comprenais pas. Je n'aimais pas trop, je ne m’y retrouvais pas. Et puis en fait, je me suis dit qu'il fallait voir les choses d'une autre façon. Je me suis dit que premièrement, si je ne savais pas faire, c'était comme tout. J'ai vu ça comme un autre instrument de musique à maîtriser. C'est comme la guitare : il faut y passer du temps et faire des erreurs et faire des trucs nuls. Mal jouer de la guitare pour un jour, si on persiste, savoir bien jouer de la guitare. C'est exactement la même chose avec les réseaux sociaux. C'est un pan de la musique. Très clairement, c'est quelque chose qui va me servir à développer ma musique. Il y a beaucoup de gens qui découvrent ma musique via les réseaux sociaux et les différents contenus que je peux faire sur mes musiques, mais aussi d’autres types de contenus, comme “La danse des canards” récemment, où je me suis dit, “Il faut que j'en fasse. Il faut que j'échoue. Il faut que ce soit nul ce que je fasse, mais il faut que j'apprenne.” Ça, c'est le premier plan.

Le deuxième plan, le plus important, c'est que je me suis dit que si je m'amusais pas en faisant ça, j'y arriverais pas. Et donc, il faut que j'arrive à trouver de la joie à faire ça. Et il n'y a rien de plus puissant que la joie dans la vie. Travaillons ça et surtout, trouvons du plaisir à faire ça. Il faut vraiment que je m'amuse, il faut vraiment que j'arrive à partager avec les gens. Au début, c'est avec les quelques personnes qui me suivent et tu reçois des encouragements, et ça fait plaisir. Tu progresses, tu fais de mieux en mieux les trucs. Le son est de mieux en mieux, les vidéos sont de mieux en mieux. Tu comprends un peu plus les tenants, les aboutissants de comment ça fonctionne et puis voilà, tu progresses. Mais le secret, c'est de faire ça dans la bonne humeur. Toujours de s'amuser. Parce qu'après tout, c'est quand même cool. Mais par contre, c'est un boulot. C'est un vrai boulot. Ça prend un temps de malade. Parce que parfois, pour 10 secondes de vidéo, ça me prend facilement une heure. Ça dépend des vidéos. Parfois, ça peut me prendre 15 secondes de vidéo, le temps de tourner et de la poster. Mais parfois, ça me prend des heures, parfois bien plus.

Pour la petite anecdote, en fait, cette interview m'a bien servi. Je travaille dans le marketing digital depuis 17 ans. J'aide les entreprises à être présentes sur Internet et je donne également des cours à des étudiants en Master. Et demain, j'enseigne une journée complète sur les réseaux sociaux. J'ai totalement refait mon cours parce qu’il était totalement obsolète. Le plus important, dans les réseaux sociaux, c'est le storytelling, évidemment. Qu'est-ce que tu veux transmettre comme message ? Sur TikTok, tu as cinq secondes pour convaincre. Je trouve très impressionnant ce que tu fais avec les effets d'image et le choix des morceaux de chansons, juste pour donner envie aux gens de découvrir la suite. Donc, tu es un très bon storyteller et un très bon teaser.

Merci. Mais tu vois, il y a aussi tout un pan d'apprentissage où il faut regarder les choses froidement et se dire “OK, comment je peux améliorer mon truc alors, que je viens d'y passer des jours et des jours à faire ma petite vidéo, que moi, je la trouve super” ? Pourquoi ça marche pas ? Pourquoi les gens n'interagissent pas avec ? Pourquoi ça prend pas ? Il faut avoir le regard suffisamment froid pour s'auto critiquer ou écouter les critiques des autres. C'est ça qui fait progresser.

Est-ce que tu peux me raconter deux anecdotes concernant tes interactions avec tes followers sur les réseaux sociaux ? Une positive, et une négative ?

Des positifs, j'en ai plein qui me viennent. Quand je reçois des messages vocaux d'enfants qui chantent mes chansons, ou des vidéos, ils ont 10 ans, et ils chantent “On attend”. Franchement, c'est génial. Ça me fait vraiment chaud au cœur. C'est vraiment très, très important pour moi. Les gens ne se doutent pas à quel point ça fait du bien, à quel point ça donne de la force. Sur les réseaux sociaux, il y a toujours énormément de méchanceté. J'ai la chance de pas être très actif sur Twitter, où j'ai l'impression que ça se concentre pas mal là-bas. Sur “Les plus bornés”, j'ai fait un clip qui reprend le tableau de Delacroix, “La liberté guidant le peuple”. Le tableau est magnifique. On l’a refait en vrai, et pour représenter la France dans toute sa diversité, il y a un peu des gens de toutes les couleurs, de toutes les origines. Notamment, Marianne est noire. Et je trouve ça super beau. Il y a eu des gens qui sont venus commenter en disant “Pourquoi ? C'est pas normal que Marianne soit noire !” Parfois je prends le temps de répondre, par exemple que cette Marianne est tout autant française que eux ou moi, et qu’elle représente très bien le tableau. Parfois, ça me passe au-dessus. Des gens pas très intéressants comme ça, il y en a plein. Des gens méchants qui insultent, il y en a plein. Soit je bloque, soit ça me touche pas. J'ai pas de temps à perdre avec ça.

En mars 2022, tu sors ton premier single en français, "Les plus bornés". C’est une chanson engagée qui critique les abus du pouvoir en place, les inégalités sociales et la manipulation médiatique. Est-ce que ton entourage a essayé de te dissuader de sortir ce titre en tant que premier single ? C'est quand même osé de revendiquer ta première chanson en français avec un titre aussi puissant !

Me dissuader, non, parce que c'est un peu fort comme terme. Mais c'est vrai qu'il y avait des gens de mon entourage qui m'ont dit, “T'es vraiment sûr de sortir ça, en première chanson ?” Surtout avec un clip comme ça. De faire quelque chose d'aussi clivant. Mais comme je te disais tout à l'heure, en fait, ouais, je m'en fous. Cette chanson, c'est moi. C'est moi. J'ai mis tout ce que j'avais dedans. Je ne l'ai pas fait tout seul. Il y avait Mathieu Hellot à la batterie. Greg [Gregory Jeanmaire] et Thierry [Eliez] ont ajouté un quatuor à cordes et un solo de violon. Mais tout le reste, c'est moi. J'aime trop cette chanson. Si ça ne plaît pas, ce n'est pas grave.

Tu co-réalises le clip avec Loïs Eme. Est-ce que c’était une première pour toi ?

J'avais déjà fait des clips avec lui. Quand on développe son projet musical, qu'on n'a pas de sous, qu'on fait les choses comme ça, c'est un peu du bricolage, on fait comme on peut. On est un peu à tous les postes de création d'un clip. Comme pour la musique où on a un peu toutes les casquettes. Pour celui-là, on avait un peu plus de moyens. L'idée de base est venue de moi. J'ai contacté Loïs et je lui ai raconté mon idée. C'est assez simple. Par contre, à réaliser, c'est une autre paire de manches ! On a écrit ensemble tous les symboles : le fait qu'il y ait un pompier, les gilets jaunes… On l'a réalisé à deux.

En février 2023, une version longue (3:17) ainsi qu’une version acoustique (2:33) sortent sur les plateformes. Est-ce que c’était pour donner une nouvelle vie à ce titre, pour lui donner un nouvel éclairage à travers des arrangements différents ? Personnellement, j'adore la version acoustique, c'est ma préférée des trois.

Je crois qu'en février 2023, il y avait pas mal de manifs. On allait sortir “Petit garçon” un mois après. “Les plus bornés” était sorti quasiment un an avant. On voulait relancer notre actualité avec une nouvelle version d'une chanson déjà sortie. On s'est dit qu'on pouvait faire quelque chose qui soit plus porté sur le texte, qu'on sente plus le côté “chanson française”. Un piano-voix, pour ça, c'est parfait. On a sorti ça à ce moment-là. Il se trouve que ça a eu une petite résonance dans l'actualité, mais ce n'était pas tellement fait exprès.

Typiquement, c'est le genre de chanson dont j'aime extraire la voix juste pour écouter le a cappella, tellement je trouve ça beau. Et je trouve d'ailleurs que depuis The Voice, tu as progressé de façon incroyable sur ta tessiture. Tu chantes sur trois octaves ? Peut-être un peu plus si tu pousses ? Tu as pris des cours de chant ? Je change de sujet, mais je trouve que tu as vraiment développé ta capacité vocale.

Tout a démarré avec Jeff Buckley. Il chantait sur trois octaves et demi, peut-être un poil plus. Quand j'étais ado, j'ai écouté Jeff Buckley, je crois, comme aucun autre artiste. Pendant plus d’un an, j'ai écouté Jeff Buckley tout le temps, tous les jours, plusieurs heures par jour. C'était une obsession de comprendre comment il faisait pour chanter comme ça. C'est incroyable. À la guitare aussi, c'est un monstre absolu. J'ai voulu apprendre toutes ses chansons et savoir comment les jouer. J'imagine que je lui ai piqué certaines choses malgré moi. Il montait très haut. Donc forcément, je me suis entraîné à faire ça aussi. C'est peut-être ça qui fait qu'aujourd'hui, j'ai cette tessiture. Il faut dire qu'à The Voice, j’étais pas au top de ma forme. J'étais pas très content de la performance que j'ai faite. C'est en chantant que les progrès viennent.

En mars 2023, ton deuxième single en français, "Petit garçon", voit le jour. Je trouve assez incroyable d’avoir réussi la prouesse, en moins de deux minutes vingt, d’aborder des sujets aussi fondamentaux que le privilège blanc, les inégalités mondiales, le pouvoir, la richesse, l’égalité, la justice, le privilège masculin, le racisme, la discrimination, sans être indigeste, sans sombrer dans le pathos, tout en terminant par une note d’espoir. Bravo. Chapeau. Pour moi, c’est une master class.

Merci beaucoup. Ça a été beaucoup de réflexion. Je voulais faire quelque chose d'équilibré. Je sais que c'est un sujet clivant, mais qui me tient à cœur, et qui me paraît trop peu abordé. Je voulais faire quelque chose d'assez intelligent, dire des choses, des vraies choses. Mais à la fois d'avoir un côté un peu festif qui rend les choses plus simples et plus digestes, comme tu as dit. Ça veut dire que j'ai réussi mon objectif, donc c'est cool.

Le 7 juin 2023, deux jours avant la sortie officielle, tu fais découvrir ton nouveau titre, "On attend", à travers la réaction de ta sœur. C’est une mise en abyme particulièrement troublante, je trouve. Pourquoi ce choix ?

Pourquoi ce choix… de la vidéo avec ma sœur ?

J'ai l'impression - là, je fais une interprétation un peu analytique - que la mettre en avant, elle, deux jours avant la sortie, veut dire que ce n'est pas uniquement ta chanson. Puisque tu dis “on attend”, j'imagine que ce “on”, c'est ta sœur et toi. Et le fait de la voir réagir à la première écoute et de voir comment elle réagit, je trouve que ça en dit beaucoup sur l'importance qu'a cette chanson à tes yeux, ainsi que sur la relation avec ta sœur. Je trouve que c'était extrêmement touchant et troublant à la fois.

C'est ça. Je ne savais pas ce qui allait se passer en faisant écouter la chanson à ma sœur. Quand je regarde la vidéo, ça me touche encore beaucoup de voir ça. Je ne pensais pas qu'elle allait avoir cette réaction. Je ne sais pas quoi dire d'autre, mais en tout cas, ça a beaucoup touché les gens aussi sur Internet.

Je ne suis pas le seul à avoir été bouleversé par ta chanson dès sa première écoute. Mon père était alcoolique, donc évidemment que ça me parle aussi. As-tu été surpris par les retours que tu as eus, que ce soit de la part d’enfants d’alcooliques, de conjoints d’alcooliques, d’anciens alcooliques, ou d’alcooliques eux-mêmes ?

Oui, j'ai eu des retours incroyables. Premièrement, c'est une chanson vachement intime. Je parle de moi, de ma sœur, et je ne m'attendais absolument pas à ce que ce soit autant partagé. Vraiment, j’ai été très surpris en lisant des réactions comme “Je vais le faire écouter à mon père” ou “Moi, c'est pas mon père, c'est ma mère”. Énormément de commentaires comme ça, énormément. Ce que je n'avais pas vu venir non plus, ce sont des commentaires de parents qui disent “Je viens de me prendre une baffe avec ta chanson, j'arrête l'alcool pour mes enfants”. J'ai eu au moins une quinzaine de commentaires comme ça, de gens différents, qui disaient “Ta chanson m'a fait ouvrir les yeux”. Ça me dépasse. Mais c'est ce qui est fort dans l'art en général. On fait ça avec nos petites mains et tout ce qu'on a au fond de nous-mêmes. Et puis après, les gens s'en emparent et ça nous dépasse.

J’ai fait écouter ce titre à un ami sud-africain, qui ne comprend pas le français mais qui a l’oreille absolue. Il a en une écoute identifié le désespoir, l’attente, l’espoir, qui sont les thèmes fondamentaux de la chanson. "On attend" est un parfait exemple de figuralisme musical. Quand tu as composé "On attend" avec Manu Freson, Pierre Dumoulin, Marc Chaperon et Johan Putet, comment avez-vous traduit de façon musicale les émotions fluctuantes du texte, le contraste entre le jour et la nuit, la présence et l’absence, la mélancolie et la soif de reconnaissance ? Je trouve que d'un point de vue technique, les paroles subliment la mélodie, mais la mélodie en elle-même porte toutes les émotions que tu veux transmettre à travers cette chanson.

Ta question porte plutôt sur le côté “orchestration” ?

Sur la construction musicale de la chanson elle-même.

On était à Liège avec Pierre et Manu et je suis arrivé avec mon petit vocal, avec une petite mélodie baragouinée. Je n'avais pas du tout le thème de la chanson. On a posé ça, on a fait une maquette qui n'a rien à voir avec le résultat final. Mais le thème “On attend”" est sorti. Je repars de là avec ça et je me dis, “OK, je ne sais pas de quoi ça parle. Je sais juste qu’on attend”. J'ai ça en tête qui sonne bien, et la mélodie du refrain. J'ai travaillé tout seul chez moi. Musicalement, je me suis dit “on va tout reprendre”. On va me mettre cette petite guitare nylon et en même temps, cette basse qui groove un peu. En parallèle, ça chemine dans ma tête. Je me demande ce que ça me fait ressentir. J'écrivais plein de trucs. Qu'est-ce que j'attends ? On attend ci, on attend ça. Jusqu’au moment où j'ai écrit, “On attend l'amour d'un père.” Je me rappelle très bien de cette discussion avec mon pote Marc, qui a travaillé sur la chanson après, une fois que j'avais avancé un peu l'orchestration. C'était un peu plus proche de ce qu'est la chanson maintenant, mais c'était quand même loin d'être fini. Je n'avais pas le texte. Il y avait juste “On attend” avec une espèce de yaourt. En en parlant avec lui, en lui montrant un peu tout ce que j'avais écrit, il m'a dit, “On attend l'amour d'un père, ça me touche beaucoup, ça me parle” Le fait que ce soit quelqu'un d'autre que moi qui me le dise, je me suis dis que ça pouvait être un vrai thème.

Ensuite, on a travaillé. Il a repris certains trucs de l'arrangement. On a accéléré un petit peu la chanson, on a changé la tonalité, des trucs comme ça. On a écrit ensemble les grandes lignes du texte. Puis j'ai repris quelques petits trucs tout seul et j'ai repris quelques petits trucs avec Clémentine. Toujours la relecture, toujours faire du commun. Et après, on a peaufiné tout ça en studio avec Johan pour toutes ces questions vraiment techniques de mixage, d'arrangement… Ça se mélange un peu dans ma tête, dans la mesure où ce sont beaucoup d’aller-retour. La base de ce que tu dis, les sentiments, d'arriver à coller le propos du texte et musicalement, ce que ça peut faire ressentir en termes d'émotion, j'ai l'impression que c'est quelque chose que je travaille beaucoup tout seul, ou avec Marc. Ensuite, je le mets en commun avec les autres, qui viennent amplifier l’idée, et que cette cohésion texte et musique devienne plus évidente.

L’exemple qui m’a le plus frappé est la catabase que l’on retrouve au beau milieu de la chanson. Une catabase, c’est une descente aux Enfers ou dans le monde souterrain, souvent entreprise par un héros ou une figure mythologique. Cette descente est généralement associée à une quête, une épreuve ou une recherche de connaissance. Dans la littérature, la catabase peut être utilisée comme une métaphore pour représenter un voyage intérieur, une introspection, ou une confrontation avec des aspects sombres ou cachés de soi-même. Et là, à 1:24, tu détaches chaque mot pour poser cette question : "Pourquoi, ça, tombe, sur, toi ?" Je trouve cette mise en abyme, la façon de détacher les mots à ce moment-là, absolument prodigieuse.

Trop bien. Merci beaucoup. Ces derniers mots-là, “Tu vas au rhum quand rien ne va, pourquoi ça tombe sur toi ?”, ce sont les derniers que j’ai trouvés, avec toujours cette volonté de trouver les bons mots, qui veulent dire quelque chose qui me touche, moi, vraiment. Et je me souviens, j'étais en vacances, j'étais épuisé de mon année et je voulais couper, mais tant que je n'avais pas trouvé ces mots-là, je n'y arrivais pas. J'avais ma guitare et je tournais en boucle. Et pourtant, ce sont des mots assez simples. C'est quelque chose d'assez simple, mais il n’y a rien de plus fort que la puissance de la simplicité. C'est ce qui me touche le plus. Et le maître en la matière, c'est quand même Orelsan.

Dans ta génération, vous avez moins de soucis à parler de vous-mêmes, et de vos émotions. Je trouve que c'est important de libérer la parole et de pouvoir dire, “Je souffre, je suis un être humain, je suis un mec et oui, j'ai des sentiments aussi”. Et ça, globalement, c'est un point commun que tu as avec Pandore, Yuston XIII, ou Nuit Incolore. Damien Saez le faisait aussi, Balavoine également… Je trouve que c'est un vrai souffle d'air de pouvoir dire, “Voilà, je suis un être humain, je souffre et je ne suis pas seul”.

Oui, c'est clair. Je le disais à l’instant, pour moi, le maître en la matière, c'est Orelsan, parce que contrairement à Balavoine et tout ça, j'ai l'impression que lui, il dit des choses encore plus intimes parfois. Il dit des trucs vraiment très basiques, en fait. Et pourtant, c'est universel. Il y en a d'autres, mais lui, il est quand même très, très connu, très écouté. En tout cas par moi. Je l'écoute beaucoup, beaucoup et je pense qu'il a beaucoup influencé notre génération, que ce soit Yuston XIII, Pandore ou moi.

Je ne peux pas être le père de mon père.

Volontairement, je ne t'ai pas posé de questions sur ton père, pour savoir si vous étiez encore en contact ou si ça s'était amélioré. Parce que là, on entre vraiment dans le domaine de la sphère privée…

On est toujours en contact. J'aime beaucoup mon père. C'est un humain extraordinaire, mais qui se détruit et ça me rend profondément triste de voir ça. Et pendant longtemps, je me suis dit que je pouvais l'aider et en fait, non. Je ne peux rien faire pour lui. Il est grand et je ne peux pas être le père de mon père. C'est difficile. C'est un deuil à faire. J'essaie d'être là, d'échanger avec lui quand c'est possible, de l'aider comme je peux, mais je vois que ça ne marche pas. Donc ça ne marche pas et j'attends. J'attends que ça marche et j'attends que ça marche... Et j'attends que ça marche... Et en fait, peut-être qu'il faudrait que j'arrête d'attendre. Mais tu vois la pochette de “On attend” ? C'est moi qui suis dans un bar et qui bois un...

Ah oui, juste, oui, avec le verre.

Je dis, “Non, je ne veux pas devenir comme toi” et pourtant, la pochette, tu vois, c'est moi qui bois de l'alcool…

Je ne suis pas devenu alcoolique, et j'adore le vin ! Donc c'est une question de mesure, et c'est une question de limite.

Eh oui !

Merci. J'aimerais maintenant qu'on parle un peu de ton ami Pandore, si tu le veux bien. Ça sera la dernière partie de notre entretien. Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés ?

On est Lyonnais tous les deux. On se croisait à différents événements, différents concerts à Lyon. Mais on ne se connaissait pas, on ne se parlait pas. Je savais juste qui il était. Et un jour, c'était pendant le confinement, il m'appelle et il me dit, “Salut, c'est Pandore. Je travaille sur mon disque qui devrait être signé chez telle maison de disques. J'ai besoin de quelqu'un qui fasse la réalisation du disque.” Pour ceux qui ne savent pas, c'est travailler les arrangements, faire un peu d'enregistrement, travailler la production musicale vraiment, la direction artistique... Il y a un peu de toutes ces casquettes-là. Et puis après, que cette personne m'accompagne sur scène. Je me suis dit, “OK, pourquoi pas ? Envoie tes chansons, on va voir ce que ça dit.” Et il m'a envoyé une dizaine ou une douzaine de titres, surtout piano-voix ou guitare-voix, je crois, de mémoire. Parfois, c'était un peu plus orchestré déjà, mais c'étaient des trucs assez sommaires. Et lui, il n'avait pas d'idée plus précise que ça.

J'ai écouté. J'ai surtout flashé sur plusieurs chansons, mais premièrement à l'époque sur “Milgram” qui est sortie. Et je lui ai dit, “Ça, c'est vraiment de la frappe atomique comme chanson. Moi, de ce que j'imagine, c'est ça la DA.” On en a parlé. On a beaucoup échangé dessus, on a travaillé tous les deux et j'ai commencé à travailler à ce moment-là, pendant le confinement, notamment sur "Milgram". C'était la première chanson sur laquelle j'ai bossé. Après, il a pris le relais, une fois qu'on avait posé les bases tous les deux. Je suis parti d'un piano-voix, de "Milgram", il m'a filé le piano, la voix et j'ai orchestré tout autour. Toutes les basses, toutes les batteries, toutes les synthés, toutes les cordes. Il doit y avoir une clarinette. Ce n'est pas moi qui joue, c'est l'ordinateur. Aujourd'hui, on a des outils qui nous permettent d'avoir des sons qui sonnent comme si c'était réel, alors que c'est un ordinateur qui le joue. J'ai travaillé comme ça. Lui, après, il a repris ça aussi de son côté.

Il a sorti un EP qui est dispo partout. Allez l’écoutez, c'est vraiment super bien ! Et puis après, on a échangé sur la scène. On est parti faire des concerts ensemble et aujourd'hui, ça fait trois ans qu'on joue ensemble et que je l'accompagne à la guitare sur scène.

Qu’est-ce qui t’a poussé à devenir son guitariste sur scène, tout en développant ton propre projet ? Parce qu'il y a un moment où peut-être que tu vas devoir faire un choix.

Peut-être. J'avoue qu'il y a des fois où la fatigue est présente de faire tout à la fois. Mais ça me tient à cœur, déjà. Premièrement, parce que c'est mon ami, vraiment, très fort. Je l'adore. On échange beaucoup sur plein de trucs de la vie. On a beaucoup de points communs. On aime les mêmes choses. On adore la littérature tous les deux. On échange beaucoup sur la philo... C'est vraiment cool de partager de la musique avec quelqu'un comme ça. Et même au-delà de ça, j'adore ses chansons. Je trouve que ce sont des chansons... On parle des chansons qui sont déjà sorties, mais les chansons qu'il a composées là - il est en train de travailler sur un disque - ce sont des chansons qui sont encore bien meilleures encore. Je tease, mais vraiment, c'est vraiment très, très bien ! Donc, qu'est-ce qui me pousse ? C'est l'amour de la musique. Partager ça avec des gens que j'aime, tout simplement.

“Immolé”, je me suis pris une baffe gigantesque quand j'ai entendu cette chanson... Je pouvais l'écouter en boucle dix fois d'affilée et juste être en apnée en écoutant cette chanson !

Ça fait partie des super pouvoirs de Pandore !

Est-ce que vous envisagez d'autres collaborations ensemble, que ce soit dans l'écriture ou l'interprétation ? C'est-à-dire un duo entre Pandore et Léman, ce serait quelque chose d'assez…

Ce serait chouette. C'est pas prévu pour l'instant. Il faut que ça arrive au bon moment en termes de développement. Mais en tout cas, l'idée, évidemment, ça me dirait grave. Je ne sais pas pour lui, mais peut-être que oui. En tout cas, pour ce qui est de travailler ensemble sur ses chansons, c'est déjà le cas. Là, j'enregistre des guitares pour ses maquettes. Pour l'instant, c'est à l'étape de maquettes, c'est juste de la réflexion. Et on échange aussi beaucoup sur mes titres. Ce sont des chansons qui ne sont pas encore sorties, sur lesquelles je travaille en ce moment. Mais je lui envoie des textes et je lui dis, “Qu'est-ce que tu penses de ça ?” Toujours dans cette même idée de faire relire autour de moi, d'avoir des critiques. Il y a une chanson notamment que j'avais pour moi un peu fini d'écrire et où j'étais un peu en mode, “J'aimerais bien passer à autre chose. J'aimerais bien me dire que cette chanson est terminée.” Je la lui ai envoyée, et il m'a répondu, “Ça, c'est pas clair. Là, tu peux faire mieux.” Et en fait, il a raison. [rires] Donc je vais reprendre ça, peut-être avec lui. Mais voilà, c'est toujours dans une démarche d'échange. On travaille déjà ensemble à plusieurs niveaux.

Il m'a chargé de te poser une question. [Enregistrement audio de Pandore] “Si Dieu est prié dans les pays catholiques, européens, et Allah dans les pays musulmans, cela signifie-t-il que Dieu est géolocalisé ?”

Il faut que je réponde à ça ? C’est bien une question de Pandore…

Est-ce que c’est une private joke… ?

Non, c'est une question pour m'emmerder ! Je le reconnais bien là… Qu'est-ce que je peux répondre à ça ? Mais l'exercice est sympa. Merci Guillaume. Je ne sais pas si Dieu est géolocalisé, en vrai. Par exemple, la France est quand même un pays multiculturel, avec plein de religions différentes. En France, il y a des Chrétiens, des Juifs, des Musulmans, des Athées et bien d'autres choses encore. Et c'est bien ça qui fait qu'on est riche de toutes ces différences. Et on est riche de toutes ces différences si on arrive à vivre ensemble. Et pour ça, c'est quand même important de se comprendre, de s'écouter et de se respecter.

Il faut que je réponde à ça ?

leman-jean-michel-fontaine

Récemment, tu as signé chez Parlophone, la première maison de disques de Radiohead, ton groupe préféré. Qu'est-ce que vous avez prévu ensemble pour 2024 ? Qu'est-ce qu'ils vont t'apporter de différent par rapport à G Major Records, par exemple ?

Je travaille toujours avec Manu, mais on a adapté les niveaux de répartition des tâches. Parlophone va m'apporter énormément de choses et c'est trop cool de bosser avec eux. Ce sont des humains trop cool. J'ai beaucoup de chance de bosser avec eux. C'est une très belle maison de disques. Ils travaillent sur la distribution des titres, la promotion des titres. Il y a tout un pan. C'est une équipe, ils sont beaucoup. Pour rendre visible les chansons, c'est génial de travailler avec eux. Au-delà du rapport humain qui est primordial dans l'art, dans la musique et qui est vraiment génial. Et Manu, de G Major Records, c'est mon éditeur et on est aussi co-producteurs tous les deux des titres. On a créé notre label et notre label délègue une partie des tâches qui sont faites par Parlophone. J'ai répondu à la question ou pas ?

Peut-être. Tu as fait peu d'interviews pour l'instant. Est-ce qu'avoir une maison de disques maintenant, en 2023, ça comprend des cours de média training, ça comprend des cours de gestion de réseaux sociaux ? Toute cette partie communication qui est indispensable en 2023, est-ce qu'on te donne un guide avec les choses auxquelles il faut faire attention ?

On en parle, mais il n'y a pas de cours à ce niveau-là. Media training, je sais qu'il y en a aussi, mais je n'en ai pas fait. Peut-être que j'en ferai. Ils me donnent des conseils, ils me donnent leur avis. Pour tout ce qui est réseaux sociaux, ils me donnent des petites missions de temps en temps, mais c'est moi qui communique comme je veux.

En 2024, après la sortie de ton E.P., tu disposeras de cinq titres. Si tu pars en tournée, quels autres titres pourrons-nous retrouver dans ta setlist ?

[sourire] Ah, tu veux que je te parle des titres qui ne sont pas encore sortis, en fait ?

Non, pas nécessairement, parce que je ne veux pas non plus t'embêter. On peut skipper cette question si tu veux, mais Angèle, par exemple, lors de sa première tournée, avait deux titres connus et elle chantait tout son album qui est sorti un an plus tard. C'est un pari extrêmement risqué pour un artiste de chanter dix chansons que personne ne connaît dans le public.

J’ai prévu de faire ça aussi. Il y aura peut-être une ou deux reprises. Il y aura évidemment les cinq titres qui seront sortis et il y aura aussi sans doute des titres sur lesquels je travaille en ce moment, qui seront peut-être sur l'album, ou peut-être pas. Puisque je n'ai pas de date de sortie d'EP, les choses ne sont pas encore totalement fixées. Moi, je trace et je compose mes petites chansons et on verra sur quel disque elles terminent, ou pas. Ça se trouve, elles ne sortiront jamais. Ça se trouve, elles ne seront que jouées en live, je ne sais pas. Mais quoi qu'il en soit, moi, je fais mes petites chansons et puis j'aurai au moins le bonheur de les jouer en live.

Et c'est prévu que tu fasses une tournée en 2024 ou c'est encore en réflexion ?

C'est les deux. C'est en réflexion. C'est prévu. On aimerait bien. Il y a des dates qui sont en train de tomber. On est en train d'en parler. Je n'ai pas encore de producteur de spectacle, donc c'est un pan qui est un peu flou en ce moment. On est en train d'y réfléchir. Je ne peux pas tellement répondre à la question plus que ça, parce que ce n'est pas encore posé.

Tu as déjà fait des concerts en appartement ?

Une fois, je crois, oui. C'est cool. C'est la proximité.

C'est terrifiant pour les artistes, parce que s'il y a 15 personnes dans le salon, s'il y a trois personnes qui n'écoutent pas, tu perds 20% de ton public d'un coup. Je trouve ça extrêmement jouissif, en tant qu'organisateur de concerts chez moi, de pouvoir avoir la chance de recevoir quelqu'un qui va chanter alors que je suis sur mon canapé.

C'est clair. C'est vraiment différent parce que tu as les gens qui sont vraiment très proches de toi. Tu n’as pas la scène qui fait le mur avec le public. Et en même temps, s'il y a une petite discussion qui démarre dans un coin de la pièce, ça se sent directement pour toi qui es sur scène. Il faut aller chercher les gens. C'est un bon exercice.

Est-ce que tu aimerais écrire ou composer pour d’autres artistes ?

Oui, pourquoi pas. Pour l'instant, ce n’est pas à l'ordre du jour, mais moi, ce que j'aime, c'est faire de la musique. Je trouve ça toujours très intéressant de faire ça sous différentes formes, que ce soit pour moi dans différents types de chansons, mais aussi pour d'autres. Faire de la guitare pour Pandore et l'accompagner sur des trucs que je n'ai pas composés, j'y mets ma façon de faire. Je trouve ça super intéressant, super enrichissant aussi. Pourquoi pas écrire pour d'autres ? Ça peut être d'essayer de comprendre l'ADN d'un artiste pour y coller sans enlever ce que je suis moi, parce que comme tous les gens qui créent, tu mets toujours un peu de toi partout. Ça peut être super intéressant aussi, une très bonne réflexion. C'est un peu ce que j'ai fait avec “Milgram” de Pandore. J'ai bossé aussi sur “Immolé” : essayer de comprendre ce qu'il veut dire, ce qu'ils veulent faire, le son qui mettrait en valeur l'artiste. Ce sont des trucs que j'ai déjà faits. D'ailleurs, j'ai réalisé le dernier album de Tom Bird, qui est sorti. J'ai composé, orchestré six chansons, je crois, sur dix. Et après, j'ai réalisé tout le reste en termes de direction artistique. Donc oui, ce sont déjà des choses que j'ai faites et que j'aimerais bien refaire par la suite, c'est clair.

Dans l'absolu, qu’ils soient morts ou vivants, est-ce qu'il y a des artistes pour lesquels tu aurais aimé écrire ou composer, ou que tu aurais aimé accompagner sur scène ?

Une tonne. Oui, déjà, tous ceux qui m'ont beaucoup influencé. J'aurais adoré faire des chansons avec Balavoine, par exemple, voir comment il fait. Il était vachement précurseur à l'époque, en termes de son. Vraiment très, très, très fort et assez sous-coté, je trouve. J’étais la semaine dernière dans le studio de Yodelice. Il nous parlait d'une chanson qu'il a réalisée pour Johnny et il nous racontait sa collaboration avec Johnny. Ça a l'air d'être un truc incroyable. Accompagner Johnny, peu importe comment, faire une chanson en studio ou de la scène. Ce sont tellement de grands artistes que peu importe la place à laquelle tu es à côté d'eux, c'est forcément enrichissant. Puis voilà, Radiohead, par exemple, Tom Yorke, le chanteur, incroyable. Muse, le chanteur, Matthew Bellamy, incroyable. Jeff Buckley aurait été super aussi. Je n'ai dit que des hommes, mais il y a aussi plein de femmes ! Je crois que je n'ai dit que des hommes, parce que ce sont des gens auxquels je me suis beaucoup assimilé pour apprendre et progresser en musique. C'est pour ça. En tant que voix masculine.

Comment envisages-tu l'évolution de ta carrière musicale ces prochaines années ? Est-ce que tu te projettes ou est-ce que, comme tu le disais au début de notre entretien, tu fonctionnes en lâcher prise et puis tu prends la vie comme elle vient ?

Je pense qu'il y a de ce que tu as dit, c'est-à-dire qu'il y a plein de choses que je ne maîtrise pas, donc ça va être de l'adaptation. En tout cas, les choses que j'espère, c'est toucher toujours plus de gens avec ma musique. Qu'elle soit écoutée, partagée, de recevoir des messages de gens qui se retrouvent dans ce que j'écris, et de partager avec les gens à différents niveaux, que ce soit sur les réseaux sociaux, quand je fais des conneries comme “La danse des canards”. Ça me fait rire et c'est génial de faire des blagues comme ça, mais aussi dans des concerts où tu vois les gens en vrai qui sont vraiment à côté de toi. Tu les sens et tu sens la communion avec le public. C'est aussi génial que ça. Après, comment on fait ? Ça ne dépend pas que de moi. C'est toute une histoire d'équilibre qui se fait avec tous les gens avec lesquels je travaille. Il y a énormément de choses que je ne maîtrise pas. Moi, ce que je maîtrise, ce sont mes petites chansons, et ce que je poste sur les réseaux sociaux. Je vais continuer de faire ça du mieux que je peux en espérant que ça touche les gens.

Je vais te laisser le mot de la fin, mais j'ai l'impression que c'était déjà pas mal comme conclusion. Si tu souhaites transmettre un message aux personnes qui liront notre entretien…

[long silence] Je réfléchis, parce que c'est important. C'est un truc qui n'a rien à voir avec tout ce qu'on a dit, mais qui parle de l'époque un peu actuelle et de mes réflexions du moment. Ce serait bien qu'on soit tous un peu plus tolérants, je crois. Qu'on sache écouter l'autre et comprendre qu'on puisse ne pas être tous pareils et ne pas penser tous pareils. Que l'autre dise des grosses conneries, ça arrive à tout le monde. Tout le monde dit des conneries tout le temps. Mais voilà, essayer d'apaiser un peu les choses, ça peut être pas mal. Et je crois qu'en tant qu' artiste - au-delà de la musique, n'importe quelle personne qui fait de l'art - je crois qu'on a une responsabilité là-dessus, sur cette histoire de tolérance, de vivre ensemble. Encore une fois, c'est toujours pareil. Ça peut être pris comme un discours un peu concon. Et je ne le dis pas du tout comme ça, parce que je crois qu'il n'y a rien de plus difficile que de faire la paix. En général, de savoir écouter l'autre, de savoir ne pas être d'accord avec les autres, c'est hyper dur. C'est quelque chose qu'on ne nous apprend pas assez. Et pourtant, c'est la clé du vivre ensemble. C'est la clé de la démocratie. Parce que la démocratie, c'est quoi ? Ça veut dire vivre ensemble dans le conflit, mais dans le bon sens du conflit, c'est-à-dire qu'on n'est pas d'accord, mais on respecte le fait que l'autre soit pas d'accord avec nous, qu'il puisse dire des conneries. Il y a une phrase célèbre de je ne sais plus qui, il faudrait que je retrouve qui a dit ça.

Voltaire !

De quoi ?

Voltaire. C'est Voltaire qui a dit la phrase que tu vas dire.

Peut-être. Mais je ne crois pas. Mais tu sais, c'est une phrase qui dit “Je me battrai toute ma vie contre ce que vous venez de dire, mais je donnerai ma vie pour que vous ayez le droit de le dire.” Un truc comme ça, c'est mieux dit que ce que je viens de dire. Mais ça, c'est super important de s'entr’écouter. Et je voulais dire un autre truc, mais du coup, j'ai dévié. La démocratie, le vivre ensemble, le conflit... Putain, merde, je sais plus !

C'est déjà bien. Sinon, la citation de Voltaire, c'est, “Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez le dire”.

C'est Voltaire, ça, pour de vrai ?

Oui.

Ah oui ? J'ai cru que tu disais ça comme une blague.

Non non, c'est une phrase qui est célèbre.

Ah oui ? Je ne savais pas. Stylé. Stylé Voltaire ! Comment tu dis ? C'est quoi la phrase ?

[je cherche sur le web] Voici la citation exacte : “Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire.”

Il avait tout compris !