Carte Blanche à Luc Michat (14 décembre 2025)
Cartes Blanches
Parler ou écrire sur Jean-Jacques Goldman n'est pas chose forcément facile pour moi, car c’est un artiste et une personne pour qui j’ai un grand respect, de l’admiration aussi, pour tout ce qu’il a bâti depuis les années 80.
C’est aussi me plonger dans mes souvenirs d’enfance, mes premiers 45 tours achetés à même pas 10 ans, mes premiers concerts sans mes parents...
Si j’ai voulu faire de la radio au lycée, m’occuper de la programmation musicale et travailler aussi dans la production et le marketing de musique au début des années 2000, c’est aussi car j’avais en exemple la formidable carrière de Jean-Jacques Goldman, qui a été toujours très méticuleux et franc dans ses choix artistiques.
Sur les murs de ma chambre
Jean-Jacques Goldman, je l’ai affiché dans ma chambre d'enfant avec les posters de OK Podium et Salut, dans les années 80 et de jeune ado, comme d’autres artistes, comme Daniel Balavoine ou même Renaud. J’avais même cette affiche géante dans ma chambre, de la première tournée Fredericks-Goldman-Jones, je me souviens parfaitement de l’odeur de l’encre de celle-ci, récupérée après le concert à Valence, le dernier en date d’ailleurs de JJG dans cette ville-là, j'étais avec un ami d’enfance et ma cousine, et on avait couru pour être au premier rang.
Selon moi, j’ai vraiment dû entendre la voix de Jean-Jacques Goldman dès mes premiers mois d’existence, notamment avec le titre “Sister Jane” de Taï Phong qui a beaucoup été diffusé en radios, l’année de ma conception. J’ai redécouvert ce titre des années plus tard, et j’avais cette impression de le connaître déjà en fait.
Ensuite, enfant, ma mère écoutait beaucoup Daniel Balavoine, et indirectement moi aussi bien sûr, donc j’ai toujours été très sensible aux mélodies, à la construction de chansons et à leur structure. Daniel Balavoine était vraiment un passionné de la composition et de la production et ses chansons m’ont toujours accompagné également. Sa mort a été un grand choc pour moi à l’époque. C’est à ce moment-là aussi que j’ai vraiment commencé à acheter mes premiers 45 tours de Jean-Jacques Goldman. Je me souviens parfaitement des 45 tours de “Je te donne” et “Là-bas” et aussi de la cassette de l’album live "Traces". C’est vraiment à partir du premier album Fredericks-Goldman-Jones que j’ai vraiment tout acheté ce qui sortait, et que j’ai racheté les anciens albums également.
Pour moi Jean-Jacques Goldman fait partie de ma vie, comme quelqu’un de ma famille, car il a accompagné ma construction pour devenir un adulte, avec des chansons, des mélodies et des paroles qui me touchaient vraiment. Je le répète, si j’ai eu cette sensibilité à la mélodie, mais aussi cette facilité à décrypter la construction d’un titre et son “efficacité”, c'est aussi à force d'écouter et de décortiquer ses chansons, lui qui est un vrai technicien de la construction d’un titre.
Je me souviens parfaitement ses phrases dans le livre de Claude Gassian que j’avais acheté, ses regards et sourires qui en disaient beaucoup sur le personnage. Inconsciemment, si je me suis impliqué dans la radio associative dans laquelle j’étais, c’était aussi pour être en relation avec les maisons de disques et par la suite pouvoir aller rencontrer des artistes et leur poser des questions que je pensais évidentes pour moi. C’est ainsi que j’ai eu la chance de le rencontrer à deux reprises, d’abord lors de la tournée "En passant", mais ensuite pour sa dernière tournée, "Un tour ensemble". Croyez-moi, la première rencontre, je n’en menais pas large, j’étais très impressionné et j’étais encore un peu dans cette position de fan. La seconde et la dernière fois que j’ai pu le rencontrer en privé pour un entretien, c’est un des moments de ma vie dont je suis le plus fier, car j’ai pu passer plus de 20 minutes avec lui, juste avant qu'il ne monte sur scène, et lui poser des questions auxquelles je n’avais vraiment jamais trop eu de réponses. J’ai eu énormément de commentaires justement, de personnes qui écoutent cet entretien et qui notent une belle harmonie entre nous lors de cet enregistrement, car d’une j’étais plus dans un rôle de journaliste et de connaisseur du sujet, et que je posais certaines questions en lien avec sa vision de son travail lors du processus de création de ses chansons par exemple. Et pour ne pas trahir le personnage, je me suis contenté d’une poignée de mains, pas de signatures ou d’autographe (j’en avais déjà, à la suite d'un concours radio, pendant lequel j’ai pu poser une question et gagner un livre album "Rouge" dédicacé par FGJ).
Là-bas, plus qu’un simple titre
J'en reviens au titre “Là-bas”, un des grands titres de Jean-Jacques Goldman, qui reste parmi les plus écoutés sur Spotify encore aujourd'hui, et c’est le clip le plus vu sur Youtube également de Jean-Jacques Goldman. Ce titre m’a toujours ému et fait partie de mes préférés, car il se dégage quelque chose en l'écoutant. Cette montée en puissance progressive, cette tension, cette tristesse du départ et de la séparation, font que ce titre est pour moi un classique de Jean-Jacques Goldman. La voix de Sirima, son histoire tragique, le fait que son fils soit né semble-t-il un 22 février comme moi aussi, font que ce titre est à mettre au top, pour moi, dans la carrière de Jean-Jacques Goldman, car il me touche bien évidemment personnellement, moi qui ai quitté la France à l’automne 2014, pour le Canada.
J’ai un réel souvenir de “Là-bas”, un souvenir d’enfance, j’étais dans le bus pour rentrer du collège et ce titre m’a bouleversé, vraiment. Le chauffeur du bus scolaire avait mis le son assez fort, et à ce moment-là, j'ai vraiment eu ce sentiment, cette réflexion à moi-même, que ce titre était magnifique sur plein de plans, la mélodie, les voix qui se répondent et argumentent, cette batterie à la fin qui claque fort, et surtout j’y reviens, mais la construction du titre, cette montée en émotion, en puissance, ont fait que j’avais le besoin de me le procurer absolument pour le posséder, l’écouter à ma guise de multiples fois ensuite.
La collaboration avec Andy Scott et Joe Hammer
En me penchant des décennies plus tard sur les crédits du titre “Là-bas” et de l’album "Entre gris clair et gris foncé", je me suis rendu aussi compte qu’il y avait un peu de Daniel Balavoine dans cet album et certains titres qui le composent. En effet, tout le monde sait parfaitement bien qu’Andy Scott et Joe Hammer ont beaucoup collaboré avec Balavoine. Ce son très spécifique de la batterie et des rythmiques / séquences d’intro sur “Là-bas”, avec beaucoup de dimension, de relief, provient justement du synthétiseur Fairlight utilisé par Joe Hammer sur le titre. Le Fairlight CMI, dans lequel Daniel Balavoine croyait beaucoup car il en était un des utilisateurs et précurseurs en France, a été utilisé par Joe Hammer sur plusieurs titres de l’album "Entre gris clair et gris foncé".
Je dois souligner aussi l’apport particulier d’Andy Scott surtout sur l’album "Rouge" et le live qui a suivi ("Du New Morning au Zénith") qui ont vraiment un son particulier, très net et puissant, avec des traitements ou mix sur les voix différents aussi, et un mixage beaucoup plus rock, en faisant ressortir les instruments comme la basse et la batterie que les autres albums (dans la lignée du second album de JJG). “Fermer les yeux” extrait de l’album "Rouge" est pour moi aussi un titre particulier et que je mets très en haut de mes titres préférés de JJG.
Comment tournent les violons, un documentaire de référence avant de tourner la page
J’ai énormément appris de choses et eu des réponses à certaines de mes questions sur Jean-Jacques Goldman, en visionnant des années plus tard après sa diffusion, le reportage Comment tournent les violons de 2004. Dans ce reportage réalisé par Gilbert Namiand et produit par Anne Marcassus et Jacques Pessis, Jean-Jacques Goldman se livre comme jamais sur sa façon de travailler, de produire ses chansons et écouter les autres parler de lui et de sa façon de travailler ses titres est aussi très enrichissant. C’est une vraie mine d’or ce reportage, car on arrive à palper un peu de l’ambiance des enregistrements des albums mais surtout de la franche camaraderie lors des tournées et comment se comporte JJG dans la vie de tous les jours et avec les autres. Erick Benzi livre aussi beaucoup d’informations en complément de Jean-Jacques Goldman lui-même, sur le fait que le plaisir de création se retrouve plus dans la production des maquettes, de la genèse des chansons qu’il produit lui-même sur son matériel et de façon solitaire, plus que dans de longues séances de studios.
Sa master-class de 2014 à la Sacem est aussi très intéressante et inspirante, on comprend parfaitement son cheminement pour y être arrivé, avoir réussi à garder le contrôle de son destin et de ses choix artistiques, et aussi son indépendance dès qu’il en avait les moyens. Devenir très vite son propre producteur et propriétaire de ses enregistrements, d’être aussi son propre tourneur avec l’aide et les conseils de son frère Robert. Tout ça y est très bien expliqué tout le long de l’entretien.
Pas seul en haut de l’affiche
Mais si on regarde bien sa carrière et les titres les plus populaires, on a la confirmation que Jean-Jacques Goldman n’a jamais hésité à partager l’affiche comme c’est le cas dans “Je te donne”, “Là-bas” ou même “4 mots sur un piano” et “J’irai où tu iras”. Je tiens à souligner aussi le fait qu’avoir permis à Carole et Michael d’avoir leur nom au même niveau que lui lors de la création de Fredericks Goldman Jones a été un beau cadeau aussi, car il a bien évidemment partagé les différents points et crédits concernant l’interprétation des titres du trio, mais aussi de l’ensemble des titres joués sur scène et reproduits via les albums issus des deux tournées, ceci est loin d’être négligeable et anodin.
Jean-Jacques Goldman a aussi très vite compris que le boîtier cristal du CD était un objet qu’il fallait mettre de côté pour valoriser l’objet, l’écrin de l’enregistrement, le rendre plus attrayant. Probablement que ses études à l’EDHEC lui ont donné un supplément de connaissances et d’idées pour proposer quelque chose de différent, aidé de son frère Robert et de Xavier Grosbois et Jean-Michel Laurent. Je crois que peu de gens dans le public peuvent s’imaginer le casse-tête que cela a dû être de créer ces albums en métal. À la fois le coût unitaire qui a explosé et les enjeux de production, mais surtout le fait que pour la commercialisation, cela n’a pas été aussi simple aussi pour l’intégrer dans les armoires des différents points de ventes.
Des souvenirs ancrés en moi
J’aimerais tellement lui poser de nouvelles questions sur ce qu’est devenue l’industrie de la musique enregistrée aujourd’hui et la situation de la production en France qui a bien changé aussi, mais je préfère le laisser tranquille, avec sa famille et garder les chansons, images et les moments que j’ai en tête de lui.
Pouvoir déambuler en backstage, passer par le catering, croiser le regard de son frère Robert assis dans le bureau de la production, en train de vérifier des petites choses avant le début du concert, et l’avoir vu monter sur scène la guitare à l'épaule, dans la pénombre et entamer “On ira” juste après qu’on se soit quittés, resteront des moments particuliers et mémorables pour moi, dont je ne pouvais mesurer complètement l’intensité sur le moment.
Ces liens que l'on sécrète...
- Interview de Jean-Jacques Goldman le 22 juin 2002 par Luc Michat
- Retour sur les 30 ans de l’album D’Eux de Céline Dion, avec bien évidemment, Jean-Jacques Goldman aux manettes, par Luc Michat
- Pourquoi Jean-Jacques Goldman n’a jamais trop cité Pink-Floyd ou le rock progressif en références ou influences musicales ?, par Luc Michat