Il me dit que je suis belle, mais il part

Derrière les notes

J’étais persuadé que cela fonctionnerait. Sophia me le répétait sans cesse, "lâcher prise" c’était la solution. Prendre un bain de soleil, boire un verre de rosé, profiter du beau temps. Ces plaisirs autrefois délectables devinrent les réceptacles des reliques de mon coeur éclaté. Ce verre de rosé, il aimait y poser ses lèvres, avant de m’embrasser avec passion, sous l’horizon flamboyant. Chaque geste, chaque souffle, chaque moment érigeait le temple de nos étreintes bien trop brûlantes pour mon corps fébrile.

Il me dit que je suis belle, que je suis sa reine. Sophia ne cesse de me blâmer. Comment croire à ces sornettes, sans cesse aboyées, juste pour endormir mon esprit ensommeillé ? Cela fait des mois que je m’enfonce, dans les méandres de cet amour brodé de fil blanc. Pauvre de moi, j’y crois. Ces mots susurrés avec tant de dévotion, qu’ils en feraient pâlir les anges et les plus pures des créatures célestes. Non, je ne saurais chasser l’espoir.

Je porte le verre à mes lèvres. Je me suis lassée de ce breuvage trop sucré, qui n’a plus aucune saveur sans sa présence. J’essaye de trouver une issue, une porte à ce rêve embrumé. Peut-être devrais-je sortir un peu. J’ai du mal à me mêler à la foule en ce moment. Sans doute à cause de ces couples qui gravitaient autour de moi. Ces êtres qui paraissent si heureux, loin de tout trouble, loin des affres du poison dans lequel je me suis plongé. Pourtant, le soleil était encore haut, loin du crépuscule si attendu.

Je finis par me lever, terminant ce verre sans intérêt pour prendre la direction de ma chambre. Une trace de son eau de Cologne embaumait le lit. Cette nuit à nouveau, cette fragrance redeviendrait vivace. Pourquoi l’ombre se voulait-elle plus exaltante que le jour ? L’éclat du soleil pâlissait en une lumière blafarde. Il effaçait sa présence fantasque, qui dévorait l’atmosphère quand sonnait les dernières heures.

Une robe de soie glissa sur mon corps. Mécaniquement, j’arrangeais ma chevelure. Je devenais automate, absente à ma propre existence, le coeur souffrant de l’usure. J’ai encore envie d’y croire. Peut-être que ce soir, il réalisera enfin. Peut-être que ce soir, il saura vraiment que nous sommes destinés l’un à l’autre, comme il me le chante souvent avant de me plonger dans mes draps. J’entends déjà Sophia pester dans mon esprit "Ma pauvre Helena, arrête d’y croire. Il est marié, il ne quittera jamais sa femme pour toi."

Était-ce un crime d’espérer ? Les quelques rares personnes qui connaissaient le secret se moquaient de moi ou cherchaient à me secouer. Pourtant, cette flamme ardente me brûlait autant qu’elle me transportait. Cette danse, ce ballet flamboyant, qui s’allumait dans le noir, me laissait inerte à mesure que la raison reprenait le flambeau. Notre amour résidait sur un nid de cendre, incapable de survivre à la lumière du jour. Elle ne vivotait que dans ses bras, à son bon vouloir. Il fixait les règles de ma vie, lui si indifférent. La porte s’ouvrit. J’allais m’offrir quelque temps dans le monde vivant qui s’égrainait loin de moi. J’allais essayer d’animer ce qui demeurait en moi. Il avait la clé, il possédait l’étincelle. Je ne m’appartenais plus.

Jusqu’à la chute d’Hélios en cette Terre.

"Et la nuit fut venue,

ma chambre s’est illuminée, un feu d’artifice a brûlé le plafond de mes soupirs inextinguibles. J’ai senti ses caresses comme des prières, incantation qui me ramenait d’outre-tombe. Devenant sa chose, sa création parfaite, dans ce lit, nous avons exploré les chemins familiers de nos corps noués. Pourtant, l’éternité ne sonnait que sur mes lèvres. Lui ne désirait que l’instant, capturé entre ses doigts agiles. Dans un souffle, il scandait un nom qui me paraissait étrange. Était-ce vraiment le mien ? Pensait-il encore à elle ? Première blessure. L’aurore ne s’éveillait toujours pas, pourtant cette brûlure me happait la gorge, à mesure que l’extase gagnait du terrain. L’ombre se consumait pendant que nous dansions sous le regard de la lune. Elle cachait en son sein nos ébats interdits, nos soupirs trop vifs et trop ardents.

Je ne pouvais que m’y plonger, griffant sa peau, mordant ma propre lèvre de tant d’ébullition. Peut-être que je cherchais à lui faire mal, à faire jaillir en lui une fontaine de sentiments. Lui... Il était si froid dans cet écrin si brûlant. Il ne s’animait que dans la chair consumée, vidant tout ce qu’il me restait.

Combien de temps mon âme supportera-t-elle ce flot, cette cadence infernale ? J’ai encore cette étincelle qui résiste malgré moi.

Le souffle se tarit. Le mouvement s’éteint. Je sens qu’il s’évanouira à l’aube, comme à chaque matin."

Je ne sais pas de quand date ce souvenir. Cette sensation est si vibrante, cela pouvait être hier, ou il y a un mois, voire des années. Je voguais encore sur mes larmes. Durant de longues minutes, je l’avais observé assoupie. La vérité éclatait sur son visage endormi. Ses traits se durcissaient à mesure qu’il s’éveillait. Une moue apparut à ses lèvres. La lumière solaire parvint à lui. Il ne fallut que peu de temps avant qu’il ne s’extirpe de notre cocon pour s’échapper, toujours plus loin.

Il part. Il veut rejoindre sa femme, ou encore une autre. Peut-être ce nom qu’il avait susurré autrefois. Je ne comptais plus les mensonges qu'il chantait sans relâche, toutes ces promesses faites au nom des étoiles. Il m'avait fait miroiter un bonheur sans nuage, loin de toutes celles qui gravitaient autour de lui, ce troupeau de jouvencelles en quête de son amour. Sur mon lit demeurait cette même odeur. Ce reste de simulacre de joie, qui se métamorphosait progressivement en une odeur nauséeuse. Ces draps me rendaient malade, tout comme cet oreiller sur lequel il avait posé sa tête. Ce souvenir martelait mon esprit. Les prochaines nuits, il s'envolerait vers de nouveaux horizons, aussi ardent que les déserts qui jonchaient cette planète. Aujourd’hui encore, il part. Sans doute pour la dernière fois.

J’aimerais me dire que c’est la dernière fois.

Il me regarde à peine. Il se joue de moi sans cesse. Il y a une heure, il m’embrassait à en perdre haleine. Maintenant que le jour trônait fièrement derrière la fenêtre, il n’avait plus rien à faire de moi. Je m’affaissais sur le lit, incapable de dire quoi que ce soit. Il se contenta alors de marmonner quelques excuses, aussi mielleuses que ses mots d’amour. Il part.

Il part et je ne saurais le revoir ce soir.

Dans un élan de courage, j’osais lui demander ce qui allait advenir de nous. Il haussa les épaules d’un air détaché et continua de ranger ses vêtements dans sa sacoche. La porte s’ouvrit et mon rêve s’évapora aussi vite qu’il avait surgi dans ma vie.

Je m’effondrais sur le sol. Je sentais la chute de mon coeur sur le parquet jonché d’affaires froissées. Ma vision devint floue et je me retrouvais face à ma propre bêtise. Comment ai-je pu croire à toutes ces sornettes ? Sophia roulerait sûrement des yeux en me voyant. "Je te l’avais bien dit", qu’elle clamerait, et dans un coup de sang, elle balancerait son sac sur le canapé et s’installerait pour me regarder pleurer. L’océan n’était pas assez pour me noyer.

Je laissais passer les heures, étalée sur le bois abîmé et le linge abandonné. Je repensais à son sourire. Était-il sincère? Fut-il monté de toute pièce, lui aussi ? Son amour ne fut qu’un tableau, savamment dessiner pour me faire tomber en pâmoison, comme une nymphe captive. Dans un élan d’espoir, j’essayais de me remémorer les bons moments. Ils ne cessaient de s’évaporer, chaque instant se consumant dans le brasier de la réalité.

Je me relevais avec difficulté, me traînant en direction de la salle de bain. Je n’osais plus me regardais. Sur chaque parcelle de mon corps, je revoyais la trace de ses lèvres douces. Je fis couler un bain, dans l’espoir de ne faire qu’un avec l’onde. Une part de moi voulait s’engloutir. Après tout, j’étais devenue la reine des larmes, autant me faire Willys, demoiselle éplorée qui rejoindrait les eaux à tout jamais. À mesure que la baignoire se remplissait, j’essayais de trouver la force de me retenir au bord du précipice. Allais-je vraiment sombrer pour lui ? Cette passion méritait-elle une telle finalité ?

Je ne savais y répondre. Je me contentais alors de plonger et de me laisser fondre. Je voulais ressentir le feu exister en moi à nouveau. Qu’il vienne du fleuve de mon âme déchue s’il le fallait. Tant que ma peau brûlait.

Je m’accrochais à ce qui subsistait de moi. Le désespoir vibrait doucement dans ma chair. Je restais dans l’onde en répétant en boucle ce mantra :

"C’est la dernière fois, c’est la dernière fois, c’est la dernière fois..."

Sans y croire, j’ai froid.

Je me remémore ses derniers mots avant qu’il ne claque la porte : "On s’appelle ?"

"C’est ça…"