Je voudrais la connaître
Derrière les notes
Cette année-là, Sylvie, Stéphanie, Mélanie et moi faisions notre rentrée au lycée. Malheureusement, le « clan des 4 » était séparé, car Steph avait intégré une autre école. Nous nous suivions depuis la primaire, alors une rentrée des classes « à trois » avait beaucoup moins de charme.
Un jour de septembre, lorsque la sonnerie nous informait de la fin de la récréation, je vis un garçon se lever et traverser la cour avec ses copains. Je ne pouvais pas le lâcher du regard. Il était grand, mince, brun, pas franchement beau mais il possédait un je ne sais quoi qui me laissa béate. Aujourd'hui, quand on me demande si je crois au coup de foudre, je réponds sans hésiter : "Oui, je l'ai vécu". Quand il eut disparu, je repris mes esprits et me tourna vers mes camarades pour regagner ma classe. Je croisais le regard de Marie-Hélène qui m'avait observée durant tout ce temps :
- "Il te plaît", me demanda-t-elle ?
- " oui peut-être", lui avouais-je.
- " Il s'appelle Adrien, mais fais attention, c'est un dragueur. Il change de fille à chaque boum", m’expliqua-t-elle.
- "Ah bon ? Ben laisse tomber alors" lui répondis-je.
L'histoire était close. Il était pour moi hors de question que je sois une fille de plus pour ce gars. Les semaines passaient, mais mes yeux étaient souvent tournés vers ce grand brun, qui ne savait même pas que j'existais. Je n’osais l’approcher car je pensais au fond de moi qu'un mec comme ça ne peut pas s'intéresser à une fille comme moi. Il m'avouera plus tard que lui aussi m'avait remarquée et que de son côté, il pensait également n'avoir aucune chance avec moi. Et puis de toute façon, ce qui est dit est dit : pas de dragueur. Je suis plutôt du genre romantique. Je ne pourrais qu'être blessée par ce genre de garçon.
Nous avons décidé, avec Sylvie, de participer à l’élection des délégués qui assisteraient aux conseils d’administration du lycée. Dans la salle de vote, Adrien était là lui aussi. Je décidais donc de voter pour Sylvie, moi et... Adrien ! Je dû pour cela demander son nom de famille à mon amie. Je le trouvais aussi beau que celui qui le portait !
Trente minutes plus tard, j’étais aux anges. Sylvie, Adrien et moi étions élus ! Nous avons été présentés ce jour-là et son sourire n'a fait qu'amplifier mon diagnostic : ce garçon est bourré de charme. Et pourtant, je restais fidèle à moi-même. A aucun moment je ne pensais sortir avec lui. Les paroles de Marie-Hélène m'avaient vraiment vaccinée.
Cependant, ce qui devait arriver arriva : en sortant du lycée un après-midi, je l'ai croisé avec Cindy main dans la main. Il sortait avec une autre ! J'étais folle de rage. Même si je ne sortais pas avec lui, je ne voulais pas qu'une autre le fasse. Je détestais cette fille qui m'avait volé MON mec. Paradoxe de l’être humain… Je me rassurais en me disant que de toute façon, ça n'allait pas durer bien longtemps, puisqu'il collectionnait les conquêtes. Les 2 mois qui suivirent furent malgré tout très durs pour moi. Un jour cependant, je vis Cindy pleurer. Sylvie me confirma qu’Adrien venait de la quitter.
Nous passâmes ainsi toute l'année à nous regarder discrètement, sans savoir que nous étions attirés l'un vers l'autre.
Pour le dernier jour de classe, nous avions un conseil d'administration. J'étais assise à côté d’Adrien quand il mit sous mes yeux un papier sur lequel il avait écrit mon prénom avec des cœurs. Le mien s’emballa immédiatement !
A la fin du conseil d’administration, nous avons été boire un verre dans un café. Comme d’habitude, nous avons mis de la musique. Adrien était assis sur une chaise. Je me suis installée debout, entre le juxbox et lui, le dos au mur. Nos amis nous ont tourné le dos par discrétion et, pendant qu'Alain Chamfort chantait "Comme un géant", il me prit la main. Instant magique, inoubliable. Nous sommes restés ainsi, sans bouger, sans parler, sans nous regarder. Quand il fut pour moi l'heure de partir, il me raccompagna à l’arrêt de bus et m'embrassa pour la première fois. Je suis montée à l’arrière du bus pour pouvoir le regarder s'éloigner. L'envie de crier ma joie me serrait le ventre ! Je souriais bêtement dans le bus qui me ramenait chez moi !
Je dormis mal cette nuit-là, tant mon bonheur était grand. Nous avions convenu de se retrouver le lendemain avec nos amis. Demain... Pourvu qu'il veuille encore de moi !
La journée fut excellente. J’étais sur un petit nuage. Je ne pensais pas au lendemain et vivais uniquement l'instant présent. Nous savions tous les deux que je partais le lendemain en vacances et qu'on ne se reverrait pas tout de suite. Et peut-être jamais plus. On s'est quittés en se disant "A bientôt". Je savais pertinemment que cela ne voulait rien dire.
Pour ma plus grande joie, Adrien avait eu envie de me revoir à mon retour de vacances. Mes soirées avec lui étaient de plus en plus belles. Plus je le voyais, plus j'avais envie de le voir. Il était gentil et doux. Stéphanie me disait souvent qu'on était mignons à voir. Je me sentais en sécurité dans ses bras. Il faisait désormais partie de ma vie. Nos relations s'étaient resserrées.
Adrien est parti faire son armée peu de temps après. Mais pour moi, ça ne changeait rien. Je serai toujours là pour ses permissions. Je l'attendrai, lui écrirai des tonnes de lettres et ferai tout ce qui serait en mon pouvoir pour lui faire oublier ces mauvais moments. Sa première permission, nous l'avons passée chez lui. Rien que nous deux. Dieu que les week-ends peuvent être courts dans ces moment-là ! Je l’ai raccompagné jusqu’à la gare. Lorsque le train, qui le ramenait à sa base, s’éloignait, je comptais déjà les jours qui me séparaient de sa prochaine permission. Je ne savais pas que j’avais vécu mes dernières heures heureuses avec lui ce week-end-là…
En effet, quelques jours plus tard, je reçu une lettre de lui. Je l'ouvris, toute tremblante d'excitation. Il n'y avait en fait que quelques lignes, cinglantes, qui m'expliquaient qu'il valait mieux tout arrêter maintenant car il ne voulait pas me faire souffrir et qu'il n'était pas sûr de pouvoir rester fidèle…
J'ai lu et relu cette lettre, abasourdie, sans rien comprendre. Je ne lui demandais rien. Seulement de rentrer à Valence pour ses permissions. Ma douleur était grande, immense, violente. Je me sentais perdue. Je me répétais que je préférerais pleurer sa mort plutôt que son abandon. Savoir qu’une autre allait pouvoir poser les mains sur lui m’était insupportable.
Stéphanie décida de me prendre en main. Ma souffrance était la sienne, alors ensemble, on arriverait à remonter la pente. Nous décidâmes d'aller en boîte. Adrien n'aimait pas y aller alors c'était le moment de rattraper le temps perdu.
La vie reprenait peu à peu son cours. Au fur et à mesure que ma souffrance s'atténuait, toutes sortes de questions venaient à mon esprit : m'avait-il aimé un jour ? Pourquoi ce changement si soudain alors qu'il avait passé sa première permission avec moi ? Et pourquoi ne voulait-il plus les passer avec moi ? Que faisait-il pendant ses permissions ? Où les passait-il et surtout avec qui ?
Je décidais de quitter cette ville où tout me rappelait mon bonheur perdu. Je ne redescendais chez mes parents que le week-end. Petit à petit, ma vie reprenait un sens. Le moral était au beau fixe.
Jusqu'au jour où...
Jusqu'au jour où le téléphone sonna un vendredi soir. Comme d'habitude, ce fut maman qui répondit et qui finit par me dire : "C'est pour toi, c'est Adrien". Mon étonnement fut si grand que je restais sans émotion. Nous avons convenu de nous voir le lendemain.
Cet instant, je l'avais rêvé des milliers de fois. Des milliers de fois j'avais imaginé que l'appel serait pour moi et que ce serait Lui qui m'appellerait. Des milliers de fois j'avais rêvé que nous tombions dans les bras l'un de l'autre, heureux de se retrouver. Or, le jour du rendez-vous, j'étais heureuse, mais calme, sereine. Nous avons passé un bon après-midi ensemble. Mais à aucun moment je n'ai eu envie qu'il me prenne la main, qu'il m'embrasse. J'étais loin des effusions que j'avais imaginées ! Bizarrement, le côtoyer en ami me suffisait. Nous nous sommes revus plusieurs fois comme ça, en copain. Et puis un jour, je lui posais LA question qui me brûlait les lèvres depuis longtemps : que c'était-il réellement passé ? Il me promit qu'il m'expliquerait à notre prochaine rencontre.
L'explication s'appelait Valérie. C'était une fille de Toulon, qu’Adrien avait rencontré à Fontaine-sur-Saône, le village où ses parents avaient une maison de campagne. Tout était plus simple avec elle. Elle vivait chez sa mère, qui acceptait qu’Adrien couche dans son lit pendant ses permissions. Il avait laissé sa moto chez elle. Et il y avait le soleil... C'était l'idéal quand on s'échappe de Strasbourg. Mon amour ne suffisait donc pas.
Et puis il m’expliqua qu’ils commencèrent à se disputer de plus en plus souvent. Alors il espaça ses visites, pour finir par arrêter leur relation.
Je commençais à me détendre lorsque je tombais sur une photo de sa moto, prise dans le jardin de Valérie. Machinalement, je regardais au dos. Selon la date qui y figurait, je compris que sa relation avec elle était bien plus ancienne qu'il ne me l'avait dit. Je fus très malheureuse et n'eut plus envie de pardonner. Pour toute explication, il me dit que s'il m'avait avoué cela tout de suite, je n'aurais jamais voulu écouter le reste. Il avait raison. Mais pour l’instant, j'avais envie de fuir. Je pouvais comprendre qu'il se soit tourné vers une autre fille, mais pas qu'il m'ait aimé en même temps qu'une autre. Je suis restée silencieuse un long moment. Je regrettais presque qu'il ait repris contact avec moi. Ma blessure s'était refermée, et voilà qu'elle se rouvrait.
Le reste de l'après-midi fut tendu. Nous avons retrouvé comme convenu Mélanie et son copain dans une boîte. Je savais qu'il n'aimait pas danser, mais je n'avais pas l'intention de changer mes habitudes. Durant la soirée, j'acceptai malgré tout de reprendre ma liaison avec lui, avec la ferme intention de surveiller mes sentiments. Il n'était pas question que je souffre de nouveau.
Nous avons passé la nuit à parler d'elle. Je voulais tout savoir : comment elle était, ce qu'elle faisait, comment elle faisait l'amour, où l’avait-il rencontrée, qu’avait-il aimé chez elle. Je voulais aller voir où elle habitait. Comprendre l’incompréhensible. J'étais jalouse de ce qu’ils avaient partagé. Plus j'en savais, plus je souffrais. Et plus je souffrais, plus je voulais savoir…
Lorsqu'il m'emmena à Fontaine-sur-Saône pour la première fois, je savais qu'elle était venue là avant moi. Et cette pensée était insupportable. Pourtant, il me disait sans cesse que c'était vers moi qu'il était revenu. L'image de cette fille me hantait. Je n’arrivais pas à profiter des moments où nous étions ensemble. Tout était prétexte pour parler d’elle. J’ai touché le fond lorsque son père m’appela Valérie…
Après notre mariage, elle était toujours là, présente. On aurait dit qu’on formait un couple à trois. Par contre, pour lui, le sujet était clos. Je voulais tellement être sûre qu'il n'y pensait plus du tout. S'il l'avait aimée, il ne pouvait pas tirer un trait si vite. Malgré tout, les moments où je ne pensais pas à elle étaient des moments de pur bonheur. Parfois, un prénom venait résonner à mes oreilles. Je surveillais sa réaction. En vain. On aurait vraiment dit que pour lui, la page était tournée. Mais comment en être sûre ?
Pourquoi s’angoisser alors qu’il était là, près de moi, attentionné, aimant, me prouvant jour après jour que j’étais LA femme de sa vie ?
Je voulais la connaître… Je voudrais maintenant l’oublier…