Tout était dit

Derrière les notes

Tous les après-midi, je tente de prendre le même bus que lui.

Ce n’est pas un canon de beauté, mais il a un charme dont il ne se doute peut-être pas.

Il se plonge dans son journal. Ses mains sont belles, j’ai toujours aimé les mains, c’est même une des premières choses que je regarde chez un homme, elles me fascinent.

Il semble réservé, voire timide. Son sourire, alors qu’il se lève pour céder sa place est tout simplement irrésistible.

Il descend une station avant moi. D’une démarche aérienne je le vois s’éloigner et se diriger vers ce petit bar. Cela semble être un rituel.

Bravant ma timidité, aujourd’hui, je suis partie plus tôt, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis entrée dans ce bistrot dans l’espoir que son habitude soit au rendez-vous. Je me suis installée à une table, en espérant qu’il soit dans mon champ de vision.

Il est arrivé quelques minutes plus tard. J’ai le trac, mes mains tremblent un peu.

J’ai commandé un café et j’ai feint d’être très absorbée par ce livre dont je ne me souviens même plus du titre, de griffonner quelques notes. Je tente quelques codes de séduction, regard lointain, mystérieux, esquisser un sourire au coin des lèvres, replacer nonchalamment cette mèche de cheveux derrière mon oreille, tête légèrement penchée. Surtout ne pas le regarder ou alors du coin des yeux, ne rien laisser paraître de mon trouble.

Je sens par moments son regard posé sur moi, il me dévisage à la sauvette. S’il savait à quel point je l’envisage !

J’allume une cigarette, elle me donne une contenance et me calme. Peut-être va-t-il me faire comprendre par un sourire que je ne lui suis pas indifférente. Les mots parfois sont inutiles.

Le temps s’écoule trop vite, je dois me rendre à ce rendez-vous. Je me lève, passe devant sa table et jette un rapide regard dans sa direction, je sors du bar. Il n’a pas bougé, pas de sourire tant espéré, il semble ailleurs, loin, très loin.

La sentence tombe, inéluctable. Il ne me voit pas autrement qu’une inconnue parmi tant d’autres, je suis transparente.

Tout était dit.