Jean-Jacques Goldman et Francis Cabrel

Essais

Je voudrais vous faire part d'une petite réflexion sur Goldman et Cabrel. Curieuse idée, pensez-vous, mais intéressante dans la mesure où leur public est souvent le même. Ainsi on retrouve de nombreux thèmes communs, mais qui sont traités différemment. Je vais prendre quelques exemples :

1 - Le style de vie, la réussite sociale et personnelle Pour Cabrel, le bonheur est à côté de nous. On va chercher bien loin ce que l'on a depuis toujours ("les murs de poussière"). Les racines, l'attachement à une région sont très forts ("Les chevaliers cathares", "Je m'ennuie de chez moi"). Il y a une aspiration à la tranquilité, à la vie calme ("Le reste du temps", Le p'tit gars"), voire l'insouciance ("les chemins de traverse"). Pour Goldman (surtout au début de sa carrière), la réussite sociale prime sur tout. Même l'amour est sacrifié ("Là-bas"), rien d'autre ne compte ("Etre le premier"). Il y a toujours cet espoir qui fait qu'on doit s'en sortir coûte que coûte ("Envole-moi", "Il suffira d'un signe"), même si on ne part pas avec tous les atouts ("C'est ta chance"). Goldman est le citadin par excellence ("Back to the city again"), qui a égaré ses racines ("Quel exil") et qui a du mal à comprendre l'attachement à une région, un village ("Il me restera", "Il y a"). Il faut donc réussir socialement, essayer tout ce qui se présente, et parfois regretter de ne pas pouvoir "Vivre cent vies".

2 - L'amour Pour Cabrel, il y a la chanson d'amour poétique, gentille ("Je l'aime à mourir", "La fille qui m'accompagne"). Ce style de chanson est une marque de fabrique Cabrel. Les chagrins d'amours, les amours perdus, les séparations sont là aussi ("Encore et encore", "Je reviens bientôt") et sont traités avec un style particulier : une troisième personne intervient : "C'est écrit", "Si tu la croises un jour"). Plus surprenant, Cabrel a parlé de prostitution ("Comme une madone oubliée", "Leila"). Goldman y fait une allusion dans "Fermer les yeux". Cabrel semble intéressé par la drague,l'amour facile et sans fondement solide ("Le noceur", "Samedi soir sur la terre", "Rien de nouveau"). Goldman a changé au cours de sa carrière. Il a écrit bien sûr des chansons d'amour ("Je ne vous parlerai pas d'elle", "Si tu m'emmènes"...). Mais il avoue avoir du mal à dire je t'aime, au moins dans ses chansons ("Sache que je"). Puis il y a la désillusion, une vision assez pessimiste de l'amour ("C'est pas d'l'amour" "Chanson d'amour"). Il y a un refus d'aimer de façon exclusive ("Je l'aime aussi"). Il dit notamment "Je n'appartiens qu'à moi" dans "Appartenir". Pour la petite histoire, les deux ont consacré une chanson à ceux qu'on croise par hasard et pour lesquels on ressent une attirance, certes furtive mais réelle : "Vite croisée" / "Tout était dit".

3 - L'amitié Cabrel en parle peu, sauf dans "Les chemins de traverse". Par contre Goldman y accorde une grande importance. Sa chanson "Je te donne" est un vrai hymne de tolérance et d'amitié. Il y a aussi l'amitié d'enfance qui s'arrête après une réussite sociale ("Trop grand maintenant" pour Cabrel) ou par incompréhension à l'adolescence ("Ton autre chemin").

4 - Le racisme, la peur de l'autre, le suicide Les deux en parlent, surtout Cabrel ("Said & Mohamed", "Gitan", "Le lac Huron"). Goldman reprend le thème de "Les voisins" dans "Peur". Tous les deux ont parlé du suicide, sujet pourtant délicat ("C'était l'hiver", "Confidentiel").

5 - La jeunesse, la société Goldman chante l'incompréhension vis à vis de la jeunesse ("Elle avait 17 ans", "petite fille"), l'extrémisme ("Plus fort"), l'indifférence ("Pas l'indifférence"), la solitude ("La vie par procuration"). Cabrel nous décrit une société individualiste ("Répondez-moi"), la prison ("Le pas des ballerines"), la misère ("Madame x", "Tôt ou tard s'en aller"), la vieillesse ("Le temps s'en allait").

6 - Au niveau de la musique Cabrel a essentiellement des musiques calmes, nonchalentes. On ne danse pas sur du Cabrel. Ses influences (Dylan, blues etc...) se retrouvent dans ses mélodies. Son style est dépouillé, entièrement fondé sur les guitares. Sa musique est propre, dans le sens où tout est clair, apparemment simple. Goldman, selon ses détracteurs, fait toujours la même chose. C'est vrai qu'on reconnait de suite une mélodie écrite par Goldman. Mais ce n'est pas une critique de ma part. Quand on écoute Brassens, on ne peut pas dire que ce soit très varié !! Goldman a un don pour écrire des musiques populaires, faciles à retenir (moins faciles à jouer et à chanter, du moins pour moi et les oreilles de ma femme !!). Il sait s'adapter à des voix aussi variées que Céline Dion, Patricia Kaas, Philippe Lavil ou Khaled ! Quant à ses orchestrations, elles sont plus "grandioses" que celles de Cabrel, qui reste toujours plus "pur". Goldman sait aussi rester plus "basique" avec seulement une guitare et ça donne de belles chansons ("Quand tu danses"). Quant aux "prouesses" musicales de chacun, je ne crois pas avoir jamais entendu de solo de Cabrel. Cabrel se contente (façon de parler) de l'accompagnement. Goldman aussi s'accompagne, mais il fait aussi quelques solos. Les deux ont su s'entourer de musiciens fidèles qui les complètent bien. Denys Lable pour Cabrel, Michael Jones pour Goldman. Bon, vous l'aurez compris, j'aime bien les deux chanteurs. Je ne prétends pas avoir fait une bonne synthèse de ce que font Cabrel et Goldman. Je pense simplement qu'il est parfois bon de regarder comment d'autres (chanteurs ou non) ont traité d'un thème abordé par Goldman dans ses chansons.

(c) Philippe Calvet

"En passant", la liste 24 septembre 1999 Tous droits réservés