Jean-Jacques Goldman face aux critiques

Essais

Si l’on demande à quelqu’un de citer un chanteur français incontournable du XXe siècle, il y a toutes les chances qu’on nous réponde Jean-Jacques Goldman. En effet, il reste une figure essentielle du paysage musical de ces quarante dernières années. Pour preuve, il est élu en 2024, pour la treizième fois, personnalité préférée des Français. Pourtant, l’auteur-compositeur n’a pas reçu que des éloges au cours de sa carrière, loin de là. On peut même dire qu’une partie des médias s’est acharnée sur ce jeune homme en chemise et cravate, qui chantait en français et attirait les foules. Est-ce le poids d’un nom de famille marqué politiquement, ou son tempérament discret à mille lieues du star-system qui l’ont entraîné dans ce quasi-harcèlement ? Des articles assassins de la presse à l’approbation quasi unanime du public, passons à la loupe les moments de sa carrière qui ont mis Jean-Jacques Goldman face aux critiques.

Jean-Jacques Goldman face aux critiques : des débuts chaotiques

Dès ses débuts dans l’industrie musicale, alors que le succès dans les bacs et dans les salles de concert est au rendez-vous, les journaux de gauche, que lit Jean-Jacques Goldman depuis sa jeunesse, l’assassinent. L’attaquant à la fois sur son travail (ses chansons, ses textes, sa musique) et sur son apparence (sa voix, son style vestimentaire), la presse n’hésite pas à se moquer même de son public. Ce déferlement de critiques gratuites et rarement constructives est inédit au milieu des années 80.

Le contexte

Jean-Jacques Goldman est fan de musique anglo-saxonne. Il a d’ailleurs toujours déclaré que la chanson “Think” d’Aretha Franklin avait été pour lui une vraie révélation artistique. “J'ai eu mon premier choc à 17 ans dans une boîte où j'avais suivi des copains : Aretha Franklin”, raconte-t-il à 24 ans dans “Rock & Folk”.

Après avoir repris des centaines de tubes britanniques et américains avec ses premiers groupes, il décide pourtant de s’exprimer en français lorsqu’il entame sa carrière solo. Cette décision est dictée par ses sentiments, alors qu’il assiste à un concert de Léo Ferré qui l’a laissé admiratif.

À l’époque, les stars francophones des charts sont Michel Sardou, Alain Bashung, Alain Souchon, Francis Cabrel, Renaud, Eddy Mitchell ou encore Johnny Hallyday, qui poursuivent leur carrière déjà bien remplie. Le public aime également la nouveauté et donne sa chance à de jeunes chanteurs ou groupes comme Étienne Daho, Indochine ou les Rita Mitsouko. Bien entendu, la pop sucrée typique de cette période si particulière inonde aussi les stations de radio et les platines vinyles. Enfin, un ensemble d’artistes composé de Daniel Balavoine, Michel Berger, France Gall, va à nouveau marquer cette décennie après avoir connu de grands succès auparavant.

Ceux-là jouent encore la carte du rock’n’roll, d’autres parient sur leur voix ou sur la tendresse de leurs textes.

Certains inventent une pop légère et colorée en rencontrant la gloire. Les derniers incarnent la variété française au sens noble du terme. C’est de ces derniers qu’est le plus proche Jean-Jacques Goldman. Ils deviendront au demeurant des amis, sur scène comme à la ville. Berger et Goldman parlent dans leurs paroles de la vie des gens ordinaires, sans se mettre en avant. Ils prônent la modestie et ne souhaitent que s’exprimer sur le monde qui les entoure.

Si Balavoine est un écorché vif, Goldman préfère miser davantage sur ses textes que sur sa personnalité, qu’il juge d’ailleurs banale et sans intérêt pour le public. Les maisons de disques ne savent pas dans quelle case le placer. Il aime dire qu’il écrit des chansons populaires, de bal, des titres qui passent dans les ascenseurs, et ce n’est pas du tout péjoratif dans sa bouche.

Ce n’est pas le cas de la presse, qui délivre des critiques assassines et très violentes, souvent gratuitement, sur la musique de Jean-Jacques Goldman. Elle dénigre également son public, qui vient en masse l’applaudir à chaque concert, affichant complet sans aucune promotion. Le mot “variété” semble sonner comme une injure dans les papiers de ces grands journaux qui renvoient une image élitiste parfois difficile à comprendre aujourd’hui.

Les attaques sur le fond

La musique de Goldman ne trouve pas grâce aux yeux de Libération, du Monde ou de L’Express. La chanson populaire qui plaît tant au public est dénigrée par la presse. Les critiques sont violentes, à l’instar d’un article particulièrement virulent publié en 1985 après une tournée pourtant triomphale. Voici quelques extraits qui parlent d’eux-mêmes.

Jean-Jacques Goldman est vraiment nul ! Tous les hommes sont nés chanteurs… sauf quelques chanteurs. Goldman est de ceux-là. Il est de salubrité publique de crier haut et fort qu’avec Jean-Jacques Goldman on s’approche au plus près du degré zéro de la chanson française. Goldman chante. Une curiosité. Pourquoi ne fait-il pas de la peinture, se demande-t-on tout de suite. La voix s’étrangle dans les aigus, semblable aux piailleries d’une orfraie tétanisée. Les premiers rangs craignent une otite. Les balcons demandent des Cotons-Tiges.

Patrice Delbourg — L’évènement du jeudi n° 57 du 5 au 11 décembre 1985

L’auteur, Patrice Delbourg, n’en est pas à son coup d’essai, il a déjà fustigé en 1981 le style Goldman en le surnommant le “Balavoine quelque peu enrhumé”. Les comparaisons et les cases où placer les gens, les artistes notamment, plaisent toujours autant aux chroniqueurs.

Après 1986, les critiques se sont un peu calmées. On peut faire correspondre cette accalmie avec la création de la Chanson des Restos, écrite sur la demande de Coluche pour promouvoir l’aide alimentaire de l’association. La démarche est désintéressée, louable, respectable, difficilement contestable. Goldman prend la tête de la direction artistique du spectacle des Enfoirés qui rapporte l’argent nécessaire pour fournir des millions de repas aux plus démunis. Tout à coup, il ne semble plus être l’homme à abattre pour les journaux français.

L’ennemi public n° 1 de la presse élitiste trouve même parfois grâce aux yeux des chroniqueurs, alors que la décennie touche à sa fin. L’album “Entre gris clair et gris foncé” fera une quasi-unanimité au moment de sa sortie en 1987, tandis que plus tard, le trio Fredericks-Goldman-Jones connaît un succès sans nuage.

Il faudra attendre 2023 et la publication de l’essai “Goldman” de Ivan Jablonka (Seuil, 18/08/2023), pour relire avec surprise des critiques au niveau de celles de 1985. Alors que cet ouvrage, décrit comme sociologique par l’écrivain, bien que transpirant surtout de l’admiration qu’il porte à l’auteur-compositeur-interprète, est sorti sans autorisation du principal intéressé.

À la suite de cette parution, le Figaro revient à la charge en dénigrant le chanteur plus que le livre. Alors que le héros (bien malgré lui) de l’ouvrage n’a rien demandé à personne, voici que le journal l’attaque, gratuitement, comme si l’occasion était trop belle de lui sauter à la gorge. On se demande quelle mouche a piqué Nicolas Ungemuth pour en vouloir autant à Jean-Jacques Goldman en 2023.

Il est, paraît-il, la “personnalité préférée des Français”. On se demande si les sondeurs n’utilisent pas de vieux fichiers, si certains des sondés, des fois, ne seraient pas morts depuis longtemps. (…) La place est libre pour les délires personnels plaqués sur l’œuvre pourtant très basique d’un chanteur de mauvaise variété (pléonasme). (…) En ce temps, personne n’a jamais croisé quiconque âgé entre 15 et 25 ans, écoutant les ritournelles irritantes de Jean-Jacques Goldman. (…) Goldman a écrit des tubes à la pelle pour lui et pour les autres, qui passent encore à la radio, mais il n’a laissé aucune empreinte sur l’histoire de la musique.

Nicolas Ungemuth, “Jean-Jacques Goldman : encore un bouquin, un bouquin pour rien”, Le Figaro Magazine, 15 novembre 2023

La mention du “pléonasme”, caractérisant les mots “mauvaise” et “variété”, démontre que l’auteur considère que la variété ne peut pas être bonne. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas, dit-on, cependant jeter à la poubelle tout ce qui est estampillé “variété” paraît un peu radical. Faire la part des choses n’est visiblement pas le point fort de Nicolas Ungemuth, journaliste à Rock & Folk, spécialiste auto-proclamé des années 60 et de David Bowie.

En tous les cas, cette charge anti-Goldman tombe à plat dans un paysage audiovisuel où il n’apparaît plus depuis des années. Si la sortie du livre l’avait déjà passablement agacé, nul doute que cette critique doit lui rappeler ses jeunes années de chanteur.

La critique violente sur la forme

Au-delà de ses chansons, de la musique, des paroles, les journaux attaquent le chanteur sur son physique. Il est joli garçon, son public est à ses débuts essentiellement féminin, c’est vrai, ce qui changera rapidement par la suite. Cependant, 40 ans plus tard, il est encore, et peut-être même plus, choquant de lire les phrases assassines qui ont été écrites à son sujet. Sa voix aiguë ne plaît pas à ces messieurs de la presse parisienne, alors on le traite de castrat. On le compare à Balavoine comme s’il n’y avait pas de place pour les deux, comme si le fait d’avoir une voix plus haut perchée que les autres chanteurs suffisait à définir un artiste.

Les critiques reçues des magazines Rock & Folk et Best, dominant alors le marché des publications spécialisées en musique, étaient pourtant élogieuses quand le monde découvrait le style Goldman, sa voix aiguë, ses mélodies, ses riffs, à travers les premiers albums de Tai Phong.

Voici un disque remarquable. À croire que la pop en France mûrit et qu'un futur plus intéressant, plus personnel se dessine. (…) Certaines harmonies vocales (toujours belles), certains chorus de guitare, une voix rageuse (ces aigus arrachés, hargneux dans “Goin'Away” !) et certains riffs de piano écartent résolument l'éventuel reproche de plagiat.

Claude Alvarez-Pereyre, “Tai Phong : premier album”, Rock & Folk, juin 1975

 

Taï Phong, c'est avant tout de la Musique avec un grand "M", bien écrite et bien conçue, élaborée mais pas intellectuelle, juste pour le plaisir de l'oreille.

Philippe Lacoche, “Tai Phong : "Last Flight"”, Best n° 140, mars 1980

C’est d’autant plus étrange de retrouver les mêmes, peu de temps après, qui écorchent cette fois-ci la chanson de Goldman en la taxant de “variétoche”.

… Et nous, Français, qui savons pertinemment que les “variétoches” c’est Dalida - Sardou - Sheila - Lama - Goldman, nous nous étouffons !...

Christian Perrot, Rock & Folk

Le style vestimentaire de Jean-Jacques Goldman fait très “étudiant de bonne famille” : jean, chemise blanche, petite cravate. C’est assez original et cela dénote parmi les blousons de cuir et les bandanas rouges. Souchon et Berger n’ont pas la cravate, eux. Plutôt que de comprendre que Goldman souhaite rester simple, humble, naturel et ne pas jouer un rôle dans lequel il ne sera pas à l’aise, la presse se moque. C’est pourtant une apparence qui colle à sa personnalité.

Les critiques, qui ne l’aiment pas, se le “paient” régulièrement, à titre d’exercice de style. Dans son dossier de presse, on relève toutes sortes d’amabilités du genre : “beau comme un chou-fleur de Bretagne”, “le BHL de la ritournelle”, “une voix de castrat endimanché”. Facile d’ironiser sur le sourire trop sympa de ce bon fils-bon père de famille, sans signes particuliers de déglingue, bardé de cuir comme un étudiant qui s’encanaille, plus que comme un vrai de la zone.

Jean-Louis André — “Jean-Jacques Goldman ouvre les portes de son studio !”, Cool, juin 1987

Alors que Jean-Jacques Goldman souhaite à l’origine écrire des chansons pour les autres, ou jouer de la guitare derrière le chanteur, il prend le parti d’être le propre interprète de ses compositions. Il tient à rester accessible, proche du public, naturel et sans fioriture. Ne lui demandez pas d’être une fashion victim ou de se faire tatouer les bras, ce n’est pas son genre, ce n’est pas sa personnalité, ce n’est pas lui.

On peut dire qu’il a prévenu tout le monde dans son titre minoritaire, issu de son deuxième album, qu’il voulait nommer de la même manière, ce qui n’a pas plu aux maisons de disque. Être faussement en colère contre la société ou adopter un look qui ne lui correspond pas, très peu pour lui. Il le percevrait comme un déguisement contraire à la sincérité, qui est sans doute la valeur qui le caractérise le plus.

J’ai pas le bon blouson j’ai pas les bonnes bottes Et en haut de mon bras, je n’ai rien fait tatouer

Jean-Jacques Goldman, Minoritaire, 1982

Goldman est sans doute mal à l’aise sur scène, on sait qu’il a dû vaincre son terrible stress pour faire des concerts et même être aidé pour cela. Cependant, les images de l’époque et les témoignages du public ne le ridiculisent pas, au contraire. Peut-être est-ce parce qu’il a déjà bien entamé la trentaine quand il met en place ses premières tournées que la presse ne lui pardonne pas sa réserve naturelle durant les spectacles ? Sans doute le compare-t-on à des artistes beaucoup plus à l’aise, en oubliant que des stars françaises comme Souchon sont, elles aussi, envahies par le trac chaque soir ?

Jean-Jacques se prend des papiers compliqués où on se fout littéralement de sa niaiserie. De son incapacité à communiquer. De son manque de charisme évident.

Benjamin Locoge — journaliste musical à Paris Match, Gala, 1er août 2019

Loin des puissantes voix masculines de Johnny Hallyday ou Eddy Mitchell, Goldman a le timbre aigu et cela semble beaucoup déranger les chroniqueurs musicaux. On insulte son public, essentiellement féminin à ses débuts, en faisant preuve de misogynie et de mépris.

Goldman ne boit pas, il ne fume pas, il ne casse pas de guitare sur scène et est marié et père de famille. Il évite de parler de sa vie privée et reste discret à tout moment. Précisons que lors de son premier succès il avait déjà 30 ans. Ceci est plutôt une exception dans un milieu où l’on perce souvent au cours de la vingtaine ou même moins, comme Vanessa Paradis par exemple, qui a grandi devant ses fans.

Goldman est contemporain d’autres chanteurs qui sont bien plus “branchés” que lui, comme on disait à l’époque. Si Renaud a finalement une coupe de cheveux assez similaire à celle de Goldman, ses vêtements sont marqués de la patte du rebelle, du jeune, du banlieusard qui traîne avec ses copains dans la rue. Si Étienne Daho est surnommé le dandy du rock français, c’est parce que sa silhouette longiligne et son air un peu flegmatique très british imposent un véritable style pop-rock. Si les Rita Mitsouko sont identifiables autant par leur look que par leur voix, c’est parce qu’ils aiment faire correspondre leur personnalité colorée et excentrique à leur garde-robe.

Il est clair que le dressing de Jean-Jacques Goldman est sage et classique par rapport à ces artistes qui ont su marquer également visuellement leur époque. Cela mérite-t-il pour autant tout ce dédain et ces soupirs ?

Les raisons d’un tel acharnement.

Une fois ce constat posé, il est intéressant de fouiller un peu plus pour essayer d’expliquer ce harcèlement violent et répétitif envers un chanteur qui, en fin de compte, ne demandait qu’à s’exprimer à travers la musique. En disposant sur internet des articles de l’époque, nombreux sont les amateurs de la musique de Goldman, mais aussi les chroniqueurs actuels à être choqués par le déferlement de haine qui s’est abattu sur le jeune artiste. Lorsque l’on prend connaissance des véritables insultes écrites à son encontre, on a du mal à se dire que cela était dirigé à un simple chanteur, qui n’avait pour but que de divertir. Quelque chose de personnel entre forcément en compte dans cette histoire…

Le mépris pour la chanson populaire.

Les mentors de Goldman sont Bob Dylan, Barbra Streisand ou Aretha Franklin. Pourtant il décide de s’exprimer en français, ce qu’il fera durant toute sa carrière, avec quelques passages en anglais dans certains titres interprétés avec ses acolytes Fredericks et Jones. La presse spécialisée se détourne de la chanson française classique pour se consacrer aux artistes représentant le rock et la pop anglaise ou américaine. Les Inrockuptibles écrivent peu sur Jean-Jacques Goldman, mais en 2002, une charge virulente vient donner aux lecteurs leur sentiment profond face au chanteur.

Minoritaire… Pourquoi, au moment d’écrire quelques mots sur le dernier Spielberg, plutôt pas mal, me revient en tête ce vieux titre, plutôt pas mal non plus, de Jean-Jacques Goldman ? Probablement parce que l’un comme l’autre représentent avec évidence tout ce que la ligne éditoriale de ce journal entend fustiger, à savoir vaine efficacité, roublardise du discours, démagogie puérile, chantage à l’émotion, allégeance aux diktats commerciaux, et j’en passe. Oublions le cas JJG, qu’on serait quand même bien en peine de réhabiliter.

Bertrand Loutte – Les Inrockuptibles, 1er janvier 2002

Les journaux plus généralistes préfèrent, eux, donner leur approbation à des artistes plus élitistes, littéraires. Ils continuent à comparer la chanson dite populaire de Goldman, Berger ou Balavoine avec les grands noms de Léo Ferré ou encore Georges Brassens et Jacques Brel, tout juste décédés. De là à y voir un brin de nostalgie ou un refus de l’évolution de la chanson française, il n’y a qu’un pas.

Il est certain qu’en faisant passer par Calais la tournée de Jean-Jacques Goldman, le Centre de développement culturel a ciblé un public qui ne vient jamais au théâtre : celui des jeunes filles qui préfèrent rêver à la lecture des anecdotes intimes sur la vie privée de leurs vedettes plutôt que de s’enrichir l’esprit… Il est évident qu’un concert Goldman n’est pas fait pour un théâtre où nous étions plus habitués à aller entendre la traditionnelle “bonne chanson française”… Vedette de fraîche date et certainement pour un temps éphémère…

C. N. - Nord Littoral, 18 novembre 1983

Il semble que les années 80 confrontent deux mondes : celui de “l’intellect” et celui de “la variété”. On connait tous le succès des chansons disco-pop de cette période, tubes uniques d’artistes dont on a oublié parfois les noms, mais dont on se souvient des paroles par cœur. Il est encore plus difficile de comprendre pourquoi des mots aussi durs que ceux qu’on a évoqués plus haut se sont dirigés droit vers Jean-Jacques Goldman. Si sa personne a été autant prise à parti, c’est peut-être qu’on attendait autre chose de sa part ?

Il y a évidemment à ce moment-là de la place pour des musiques plus rythmées, qui parlent aux gens de leur quotidien, qui les font chanter et même danser, sans accordéon, mais avec des airs entraînants et modernes. Les clips vidéo commencent à devenir incontournables en France. Les artistes peuvent passer à la télévision sans devoir se rendre dans les émissions de Michel Drucker. Comme on en est au balbutiement de ces courts métrages, dans lesquels les chanteurs font du playback avec des guitares électriques non branchées, tout cela nourrit la moquerie des journaux. Il faut dire qu’aux USA, Michael Jackson s’apprête déjà à révolutionner le clip avec “Thriller” en 1983, que personne n’a oublié. La comparaison n’est pas très flatteuse.

Cependant, Goldman n’est pas le seul artiste à composer de la chanson française, non assimilable ni au rock ni au disco, qui envahit les radios des années 80. Il ne s’identifie pas non plus dans la chanson à voix comme les comédies musicales “Hair” ou “Starmania”. Pourquoi la presse s’attaque-t-elle spécifiquement à lui ? Pourquoi est-elle si virulente ? Il faut sans doute chercher ailleurs, dans un registre qui touche au personnel.

Le poids de l’héritage du nom Goldman.

Jean-Jacques Goldman a souhaité garder son nom de naissance comme nom d’artiste. Revendiquant un nom de famille juif, ashkénaze, et un prénom franco-français, il a fait de ce patronyme son identité. Ses parents, résistants pendant la guerre, communistes notoires en lutte pour le droit des travailleurs immigrés, lui ont inculqué une éducation de gauche. Pour Goldman, ce n’est pas le parti qui compte, ce sont les idées. Il défend l’égalité des chances pour tous à la naissance et ne se prononce que rarement sur ses convictions politiques.

D’ailleurs, son album “Rouge”, sorti en 1993, fait figure d’exception. Réalisé en trio avec Carol Fredericks et Michael Jones, il ne laisse aucun doute sur son opinion concernant François Mitterrand et son gouvernement, notamment Bernard Tapie, qui ne représentent pas sa gauche à lui.

J’ai des idoles en solde, j’ai quelques saints à céder. (…)
Même un président pathétique, cynique et boursouflé. (…)
J’ai des sondages discrets pour remplacer toutes pensées.
J’ai des mensonges-vérités, dès qu’ils passent à la télé.
J’ai des marchands, des tapis, qui peuvent tout acheter.

Fredericks, Goldman, Jones — On n’a pas changé, 1993

Cette opinion, il la garde la plupart du temps pour lui. Ses chansons abordent des réflexions sur la vie (“Au bout de mes rêves”), l’histoire (“Comme toi”), l’humain (“Être le premier”), sans colère et sans révolte.

C’est ici que la presse va saisir l’opportunité de comparer Jean-Jacques à son aîné, son demi-frère Pierre, révolutionnaire, tombé dans le grand banditisme, accusé de meurtre, puis relaxé et assassiné en plein jour en 1979. Les deux frères, qui ont le même père, ont peu de choses en commun, même si Jean-Jacques Goldman a raconté qu’ils aimaient parler musique ensemble et parfois en jouer. Jean-Jacques est devenu anti Parti communiste primaire. Il a d’ailleurs toujours refusé de se produire à la fête de l’Humanité. Il s’est toujours méfié des mouvements altermondialistes et tolérait mal le gauchisme.

Son frère était révolutionnaire, comme investi d’une mission qui le dépassait certainement. Il était hanté par les horreurs de la Shoah et des camps de concentration. Né en 1944, il disait même qu’il était mort le jour de sa naissance, comme s’il n’aurait jamais dû naître, au milieu de la barbarie traversée par ses parents et par tous les juifs. Il était une figure de la révolution, mis en avant autant que son jeune frère, était discret et bien décidé à vivre une vie rangée, tout en vivant de sa passion pour la musique.

Jean-Jacques ne souhaitait pas parler de politique, mis à part quelques rares exceptions, et n’acceptait pas de participer aux émissions spécialisées, car il n’y trouvait pas sa place. On peut penser que les critiques ne lui pardonnaient pas de porter le nom Goldman et de ne pas être Pierre. Il existe très peu de témoignages directs de Jean-Jacques évoquant son demi-frère et c’est très certainement volontaire.

La chanson de Jean-Jacques Goldman peut paraître dérisoire et futile en comparaison de la révolution ou de l’enjeu politique du procès de Pierre, accusé d’un double meurtre, perpétré lors d’un braquage ayant mal tourné. Si Pierre a reconnu avoir commis des vols, il a toujours nié avoir commis la moindre violence et surtout pas des assassinats. Alors, les journaux se moquent de la niaiserie de Jean-Jacques, de sa discrétion. Jean-Jacques n’est pas un leader, il ne rêve pas de changer radicalement le monde. Il veut juste chanter pour les gens et se servir de sa notoriété pour aider les plus démunis, comme aux Restos du Cœur, et ça, la presse ne le lui pardonne pas.

Simone Signoret, François Sagan, Alain Krivine, Régis Debray, Yves Montand, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre étaient aux côtés de Pierre durant ses combats puis quand il était en prison. Maxime le Forestier lui consacrait une chanson, aux allures de dénonciation d’une l’erreur judiciaire, La vie d’un homme. L’intelligentsia de gauche a soutenu fortement Pierre à son procès et a continué à célébrer sa mémoire comme un héros après son assassinat en 1979.

L’une des rares confidences, tout en pudeur, de Jean-Jacques sur son demi-frère Pierre est visible dans le reportage Goldman, Balavoine, Berger (lien sur https://www.france.tv/documentaires/art-culture/532913-goldman-balavoine-berger.html), diffusé en 2019 par France 3.

C’est probablement quelqu’un qui a compté, comme tous les gens qui te sont proches ou qui sont de ta famille, parce que tu essayes de les comprendre, tu vis leurs paradoxes, leurs mystères. Et Pierre, c’est un mystère. J’étais un peu atypique aussi dans la famille, dans le sens où j’étais politiquement musicien. Ceci dit, j’étais intéressé par les conversations à table, les événements dans le monde, parce que c’était, disons, la culture familiale.

Jean-Jacques Goldman

Loin de se comparer à son aîné, car ils étaient trop différents, Jean-Jacques rêvait lui de “changer la vie” autrement. Avec ses mots, sa musique, il voulait divertir et être le témoin de son époque. Parlant des simples gens dans leur quotidien, il se consacrait à ce qu’il savait faire de mieux et qui le rendait heureux : écrire des chansons. Cependant, nombre de ses titres sont là pour nous montrer que les sujets de la guerre, du judaïsme, de l’exil, du départ, de la communauté sont chers à Goldman, même s’il n’a pas l’esprit révolutionnaire. La politique n’est pas la seule manière de faire bouger les choses dans notre monde. Il l’a bien prouvé avec les Restos du Cœur en accordant une grande part de son temps à cette association, la moitié de l’année d’après Jean Bender, un de ses amis de jeunesse.

Impact sur la carrière de Jean-Jacques Goldman

Recevoir de telles critiques pendant des années laisse forcément des traces. Plusieurs modes de réaction sont alors possibles. Se défendre, fuir, ou prendre de la distance. Jean-Jacques Goldman a utilisé les trois, tout au long de sa carrière.

Se défendre

Lorsque les pires critiques sur ses chansons, sa voix ou ses spectacles ont été rapportées dans la presse nationale, Jean-Jacques Goldman a attendu le bon moment pour s’en servir. Il a fait publier une double page dans Libération et dans ses programmes de concert, y notant toutes les critiques à son encontre, en ajoutant un court message manuscrit pour ses fans “Merci d’avoir jugé par vous-même”. Retournant l’opinion contre la presse, il a ainsi choisi de démontrer, quasiment en silence, l’injustice dont il avait été victime de la part des journaux, dont il était par ailleurs lecteur depuis longtemps.

Comme beaucoup d’artistes de gauche, Goldman pensait que les journaux de même sensibilité politique le soutiendraient. Ça n’a pas été le cas. Sur le moment, il n’y a pas eu de stratégie de sa part pour contrecarrer ces critiques. Il les a prises de face. Ensuite, il s’est servi de ces articles pour retourner le public contre la presse.

Didier Varrod — “La norme Goldman”, Libération, le 23 novembre 2001

Lassé de l’acharnement dont il a été la victime durant ces années, le chanteur a livré peu de temps après une analyse un peu ironique de la situation.

Convaincus que le succès est incompatible avec le talent, ces journalistes sont encore incompétents, mais encore lâches, car ils ne tapent sur toi que quand tu es fragile.

Jean-Jacques Goldman

Si la meilleure défense est l’attaque selon l’adage, pour Goldman, c’est en étant encore plus discret qu’il espère alors stopper les véhémences de la presse à son encontre. Il se fait de plus en plus rare dans les journaux, notamment ceux de gauche. Il accorde des interviews triées sur le volet, en imposant des conditions drastiques pour se mettre au maximum en sécurité. On peut en déduire que cette situation face aux critiques constantes et indélicates a été très douloureuse pour lui au moment même où il essayait de faire décoller sa carrière.

C’est à partir de 1985 que Jean-Jacques prend ses distances avec la presse. Presque unanimement, elle le descendait par critique interposée, alors qu’il remplissait les salles. Quasi systématiquement, il jugeait ses propos déformés par les journalistes.

Laurent Boyer — Fréquenstar, M6, 24 mai 1998

Un article très documenté, publié en novembre 2023 et nommé “C’était comment, d’interviewer Jean-Jacques Goldman ?”, nous éclaire sur les exigences imposées par Goldman avant d’accepter un entretien. Loin des caprices de star, il s’en écarte même considérablement.

Afin de défendre ses propos, de ne plus jamais être désagréablement surpris par des phrases reformulées par les rédactions, il préfère intervenir en direct, ou tout enregistrer sur un dictaphone. La requête la plus insolite et originale qu’ont dû s’habituer à prendre en compte les journalistes était de ne pas accorder à Goldman la une de leur publication. L’inverse était fréquent, cette demande bien plus étonnante. Le chanteur ne supporte pas la vente de magazines sous son nom.

À l’occasion de la sortie de son nouvel album, un exercice solitaire intitulé “En passant”, il a accepté de nous recevoir. À condition qu’il puisse relire ses propos, et que Télérama ne lui consacre pas sa couverture. Histoire, une nouvelle fois, de rester dans l’ombre à visage découvert.

Télérama, 22 octobre 1997

Il considère que sa place n’est pas à la une, quand des événements importants se déroulent en permanence en France ou à l’autre bout de la planète. Avec le soutien du public, Jean-Jacques Goldman n’a pas besoin de faire de la publicité pour vivre de son art. Il en profite pour bien sélectionner ses interviews. Ses interventions sont toujours réfléchies et préparées. S’il n’a pas envie de parler, il ne le fait pas. Il refuse par exemple d’apparaître dans les émissions politiques, où ne se trouve pas sa place d’après lui.

Prendre du recul

Afin de contrer les à priori sur son style musical, Goldman a souvent écrit pour les autres en usant de pseudonymes. Sam Brewski a ainsi servi de camouflage pour composer pour Chimène Badi, Roch Voisine, Florent Pagny ou Patricia Kaas. O. Menor est le nom d’emprunt qu’il a choisi pour écrire pour et avec Marc Lavoine. Sweet Memories était utilisé au début de sa carrière pour composer pour Michael Jones, Jeane Manson, Emilie Bonnet et bien d’autres.

De cette manière, ces chansons ont pu être jugées sur la prestation de leur interprète et non pas sur le nom de Goldman. Cette stratégie a berné quelque temps les critiques et a permis à Jean-Jacques Goldman de rester anonyme sans être mis en avant dans le succès de certains titres destinés à d’autres artistes.

Il a aussi usé d’ironie et d’humour, comme après la polémique sur les enfoirés dont nous parlerons plus bas. Il a ainsi réalisé une interview décalée avec Quentin et Éric dans l’émission Le Petit Journal sur Canal+. Face à la critique, le second degré lui a souvent servi à répondre aux questions des journalistes, parfois outrés par la violence qu’il devait surmonter.

Au temps de ses premières tournées, si les attaques ont certainement été mal vécues par un artiste qui ne cherchait qu’à forger sa carrière le plus discrètement possible, il a toujours pu s’appuyer sur son public. Celui-ci est l’un des plus fidèles, les salles ont en permanence été pleines. Les adolescents ont fait place aux jeunes adultes puis aux trentenaires et plus, qui se sont longtemps reconnus dans son répertoire. Ils continuent à apprécier son humilité, son talent d’écrivain et sa capacité à composer des paroles que tout le monde peut s’approprier.

Cent mille fans ont ainsi suivi leur instinct, celui qui leur dicte que Goldman ne bluffe pas, que son titre de superstar (qu’il récuse pourtant en toute simplicité), il ne l’a pas volé.

Hit, hit, hit, hourrah !, 1986

Le constat est facile : il est toujours très apprécié, il a pu vivre de sa passion et il a travaillé avec les plus grands. C’était son objectif de vie professionnelle, c’est un succès. Peu peuvent s’enorgueillir de cela et personne ne le lui retirera !

Les années passant, les cicatrices laissées par le sentiment d’injustice qu’il a ressenti a laissé place à une analyse plus froide, légèrement défaitiste face à ce qu’il appelle la bêtise et l’incompétence.

Ce qui m’a blessé, c’est qu’on s’attachait à la forme. Aux apparences, au mépris du fond. Avec le recul, je trouve qu’il y avait d’assez bonnes chansons dans ces albums. Mais j’ai toujours été assez prétentieux là-dessus. Je n’ai jamais eu de complexe culturel, dans le sens où je savais avoir fait plus d’études que la plupart des gens qui me critiquaient. Pas de complexe musical non plus, car je crois savoir ce qu’est la musique et, une guitare à la main, je n’ai pas peur de grand-chose. Enfin, pas de complexe d’origine, genre complexe du petit-bourgeois, puisque je viens d’un milieu d’immigrés. Non, je savais que c’était juste des manifestations banales de bêtise et d’incompétence. Tant pis !

Jean-Jacques Goldman, Télérama, 22 octobre 1997

Enfin, et c’est sans doute la chose la plus importante pour lui, il est libre, il sort de sa réserve uniquement lorsqu’il le souhaite. Il répond aux sollicitations quand il l’a décidé. Il peut jouer de sa notoriété quand il le désire. Ce sentiment de liberté doit certainement être perçu comme l’exact contraire de ce qu’a vécu son frère Pierre, emprisonné puis assassiné au cours d’une existence de révolutionnaire, que Jean-Jacques Goldman n’a jamais enviée.

Fuir

Plus tard, alors que les critiques de ses débuts semblent bien loin, l’homme public annonce son retrait de la scène et sa retraite quasi totale pour le plus grand désespoir de ses fans. Il accepte néanmoins d’écrire quelques chansons, la plupart du temps pour ses amis, et consacre encore énormément de temps aux Restos du Cœur. La dernière activité professionnelle de Jean-Jacques Goldman, et sans doute la plus chère à son cœur, est alors la direction artistique quasi complète du spectacle annuel des Enfoirés. Chaque hiver, des millions de repas sont financés par les revenus issus de l’exploitation de la diffusion télévisuelle du concert, de la vente des places et des CD/DVD et ceci depuis 35 ans.

La tradition depuis plusieurs années est que certains participants composent et enregistrent une chanson inédite pour le show annuel. Ces titres deviennent l’hymne des Enfoirés pour la saison et un clip passe régulièrement dans les médias, ce qui apporte encore un peu plus d’argent à l’association. L’intention est louable et le succès est quasiment toujours au rendez-vous.

Auteur de la chanson originale en 1986, Goldman a joué le jeu plusieurs fois avec plaisir ensuite. Soprano, Vianney ou Marc Lavoine se sont également prêtés à cet exercice, remplaçant ainsi les reprises traditionnelles que l’on trouve tout au long du spectacle. Jean-Jacques Goldman a écrit dans ce cadre entre 2012 et 2015 “Encore un autre hiver” (avec Grégoire), “Attention au départ”, “La chanson du bénévole” et “Toute la vie”.

Alors que cette dernière chanson est choisie pour accompagner la campagne de diffusion du show télévisé de 2015, que les artistes ont tous ensemble tourné le clip vidéo, une polémique inattendue explose dans les médias. Si Jean-Jacques Goldman a imaginé un dialogue entre les anciens (les artistes) et les jeunes (des inconnus) à propos de l’état de la société, de nombreuses critiques dénoncent une chanson “réac”, donneuse de leçon et paternaliste. Dans le titre, les jeunes demandent des comptes à leurs aînés.

Vous aviez tout, paix, liberté, plein emploi
Nous c’est chômage, violence et sida (…)
Vous avez raté, dépensé, pollué

Ces derniers ont du mal à se défendre et les attaquent en retour par manque d’argument et par mauvaise foi.

Tout ce qu’on a, il a fallu le gagner
À vous de jouer, mais faudrait vous bouger (…)
Je rêve où tu es en train de fumer ?

Le message a été mal compris, les tentatives de justifications de Goldman mal entendues. La chanson étant sans doute maladroite, mais personne dans l’équipe des Enfoirés n’a émis le moindre doute en l’enregistrant. Bref, cette chanson représente une nouvelle occasion de démonter le travail de Jean-Jacques Goldman, qui a 66 ans, n’avait certainement plus envie d’y faire face.

Ça a dû le blesser profondément, c’est évident.

Jean Pierre Janiaud, ingénieur du son

Après avoir sorti ce titre en single promotionnel et l’avoir chanté devant 80 000 personnes, aucune critique n’était ressortie. D’ailleurs, Maxime Le Forestier, qui participe à son interprétation, a partagé son incompréhension face à cette polémique.

Moi ce que j’ai vu quand je l’ai chantée, c’est deux générations qui se disent leurs quatre vérités. C’est ça le principe auquel avait pensé Jean-Jacques Goldman. Alors, partir de là pour y voir une agression, je ne comprends pas. Je ne sais pas d’où ça vient cette histoire-là. Moi, c’est la montée de l’intolérance et de la connerie qui m’affecte en ce moment. On a l’impression que les gens cherchent quelque chose pour mal le prendre, quitte à faire des contresens parce que là c’est un contresens.

Maxime le Forestier - Europe 1, 2015

Ce moment, très mal vécu par l’artiste aux dires de ses proches, a précipité la fin de la mission de Goldman auprès de la direction du spectacle des enfoirés. “Je n’ai plus la créativité, les idées, la modernité que nécessite une telle émission. Il est temps de passer la main.”, déclarait-il officiellement en 2016.

On peut penser que ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et peut-être a réveillé les mauvais souvenirs des anciennes critiques et polémiques de ses débuts. N’ayant plus envie de défendre une carrière qui parle d’elle-même, il s’est détourné de cette dernière scène en laissant les clés aux plus jeunes. Depuis, ses apparitions publiques sont extrêmement rares et tout indique que son souhait de profiter de sa vie de famille et de l’éducation de ses trois plus jeunes filles en toute discrétion le comble.

Lors de la crise de la covid-19, il est apparu dans un direct au journal télévision. Il a en effet pris la décision de sortir quelques instants de sa réserve et de réécrire et réinterpréter sa chanson Il changeait la vie, en hommage au personnel soignant. Sa grande popularité a rendu cet acte très suivi et d’aucuns se sont rêvés à imaginer un retour pour fêter ses 70 ans, en 2021, ce qui n’a pas été le cas.

Il a également tenu à préciser que les ouvrages qui lui sont consacrés, comme le dernier d’Ivan Jablonka, ne font l’objet d’aucun échange avec lui (il les refuse). Il regrette d’ailleurs que l’on vende des livres en son nom. Son choix de retrait de la vie publique est difficile à accepter par beaucoup de monde qui espère toujours une apparition surprise, une nouvelle chanson voire un concert. On peut dire qu’il parvient de manière générale à limiter les sources de critique, même si sa carrière et son aura en France continuent à faire parler de lui de temps en temps.

Les bonnes critiques

Parce que le mot critique ne se rapporte pas qu’aux messages négatifs, rappelons que Jean-Jacques Goldman a bénéficié d’un certain nombre de soutiens tout au long de sa carrière. De la part du public en premier lieu, mais aussi de ses pairs et d’une partie des journalistes, qui a perçu dès le départ sa véritable nature et son potentiel artistique exceptionnel.

Le public

Toujours apprécié, alors qu’il a mis fin à sa carrière il y a plus de 20 ans, Jean-Jacques Goldman peut compter sur le soutien et la fidélité indéfectibles de son public. Venus en nombre aux concerts quand ils étaient adolescents avec ou sans leurs parents lors de ses débuts, ses fans ont en permanence rempli les salles. Souvent, les réservations étaient complètes avant de faire la moindre promotion.

Les disques, albums, singles, se sont toujours placés dans les premières ventes en France depuis 1982. Les sorties de ces albums représentaient des petits événements dans la sphère musicale. Sa carrière n’est pas si longue par rapport à celle d’un Charles Aznavour ou un Johnny Hallyday, mais sa popularité doit beaucoup aux quantités de tubes qu’il a composés, pour lui comme pour les autres. Les auditeurs ont grandi puis vieilli avec lui, en étant toujours accompagnés de ses titres, telle une bande-annonce illustrant leur vie. Ainsi, près de 300 chansons figurent à son répertoire.

Malgré les critiques très négatives de la presse à ses débuts, le public a toujours eu à cœur d’écouter, de se faire sa propre opinion. Les articles assassins n’ont ainsi eu aucun impact sur les fans de Jean-Jacques Goldman. De nombreux groupes d’admirateurs poursuivent leurs échanges sur son œuvre, sur leurs souvenirs de concert ou sur leurs musiques préférées sur les réseaux sociaux. Des sites internet sont alimentés chaque jour pour permettre à des millions de gens de continuer à vivre leur passion pour leur chanteur favori.

Goldman a souhaité faire généralement part de discrétion au cours de sa carrière, mais on dénombre tout de même un bon millier de documents, d’interviews, de chroniques, d’apparitions télé ou radio qui font la joie des passionnés. Malgré le temps qui passe, ses chansons continuent à être très diffusées en radio et Goldman reste le champion des droits d’auteur.

La profession

N’oublions pas que de nombreux articles et livres ont salué son talent comme song-maker, ses chansons engagées, sa propension à révéler le meilleur des interprètes pour qui il écrivait et composait, comme Céline Dion ou Johnny Hallyday. Évidemment, sa générosité et son implication dans les Restos du Cœur année après année sont mises en avant, et rares sont les critiques à ce sujet. Offrant des millions de repas aux plus démunis, les Restos sont devenus hélas indispensables pour beaucoup de gens !

Il continue à inspirer des tonnes d’artistes jusqu’aux plus jeunes, qui voient en lui un génie de la chanson, de la musique, mais aussi un besogneux humble et discret. De nombreuses reprises de ses hits sont enregistrées par ceux qui se nomment la “Génération Goldman” et connaissent un succès très important auprès du public de tout âge.

S’il manque à beaucoup de monde, la profession a compris qu’il est heureux dans sa situation actuelle, que c’est un choix et qu’il a raison de suivre ses envies profondes, en toute liberté. Son nom est souvent cité en exemple et son impact dans la sphère de la musique française continue à impressionner.

Je trouve ça beau de pouvoir se retrouver libre d’un coup, de ne pas s’attacher. Mais Jean-Jacques Goldman n’a jamais été prisonnier de son image. Il m’inspire beaucoup. En revanche, est-ce que je serais comme lui capable de tout lâcher d’un coup ? Et est-ce que j’en aurais envie ? Je ne suis pas sûr.

M — Gala, 29 mars 2019

D’autres noms célèbres de la sphère médiatique clament sans se faire prier leur admiration pour Goldman, l’homme et l’artiste. C’est le cas de Philippe Besson par exemple, de Thomas Sotto ou encore du violoncelliste Gautier Capuçon. Nagui, quant à lui, rappelle régulièrement comment Jean-Jacques Goldman a donné vie au générique de son émission Taratata et a été là pour lui lorsqu’il a eu besoin d’un invité au pied levé. Sa disponibilité a probablement sauvé le deuxième numéro du programme, qui vient de fêter ses 30 ans. Enfin, Jean-Paul Rouve a raconté la générosité dont Jean-Jacques Goldman a fait preuve lors de l’utilisation d’une de ses chansons dans un film.

Les médias

Enfin, soulignons le fait que seuls quelques journalistes ont attaqué Jean-Jacques Goldman comme nous l’avons vu. De nombreux professionnels ont toujours respecté son travail. Certains ont même souligné dès le début de sa carrière solo la potentielle longue carrière qui l’attendait après des tubes comme “Quand la musique est bonne” ou “Il suffira d’un signe”.

Goldman a également pu compter sur le soutien de la station de radio RTL. En octobre 1981, Monique Le Marcis, alors directrice des programmes, entend “Il suffira d’un signe”, qui peine à décoller malgré une bonne promotion réalisée autour de l’album. Elle décide de matraquer le titre sur les ondes pour lui donner un coup de pouce. C’est un succès. Jean-Jacques se retrouve numéro un le 9 mai 1982.

Comme le raconte le célèbre animateur Éric Jean-Jean, quand Goldman était invité sur RTL, “il arrivait trois heures avant, il faisait le tour des bureaux, saluait les gens par leur prénom et prenait le café avec les assistantes”. Il faisait preuve de fidélité et de reconnaissance envers la radio qui avait cru en lui à ses débuts.

Au milieu de la tempête des critiques négatives reçues par les journalistes de la presse généraliste, Didier Varrod, lui consacrant plusieurs entretiens passionnants dans la revue Numéros 1, avait jugé lui que Goldman était “aussi important que Léo Ferré”. Nul doute que cela lui a été droit au cœur, tellement cet artiste avait son admiration. Quant à Fred Hidalgo, créateur du mensuel Paroles et Musique puis du trimestriel Chorus, il l’avait “validé” au moment même où il traînait encore l’image d’un “chanteur à minettes”. C’est vers lui que s’est tourné Jean-Jacques Goldman pour annoncer la fin officielle de sa carrière en 2016, lui permettant d’écrire “Confidentiel”, un livre bénéficiant des commentaires riches du principal intéressé.

Enfin, ne boudant pas les articles d’une presse des années 80 destinée aux adolescents et représentée par Ok Magazine ou Podium, Jean-Jacques Goldman a apprécié la plupart du temps la simplicité et la franchise de leur approche. Adressés au public sans grandes analyses politiques ou critiques excessives, les nombreux articles de ces publications ont participé à son succès populaire autant que les critiques plus riches. Les conditions étaient simplement de ne pas modifier ses propos et ne pas chercher à parler sans son accord de sa vie privée. La base. Compte tenu de ces inombrables soutiens, le bilan de son travail ne peut lui laisser que peu de regrets. Chaque année, ou presque, les Français continuent à le désigner “personnalité préférée”. Sa modestie et sa distance face au véritable phénomène de société qu’il est devenu doivent lui faire hausser les sourcils. Il a même tenté de demander à ne plus apparaître dans ce classement… en vain ! Existe-t-il meilleure récompense que la reconnaissance du public pour un chanteur populaire ?

Pour conclure

Avec ses chansons franches, sincères et universelles, Jean-Jacques Goldman a conquis le cœur de millions de personnes de tous milieux sociaux, tout en parvenant à imposer son style sans faire de compromis. Si une certaine presse a parfois jugé son succès éphémère (c’est assez ironique) et indigne d’autres membres de sa famille, le chanteur a réussi à exercer le métier de ses rêves pendant plus de 30 ans. Écrire des chansons et faire danser les gens a toujours été son souhait le plus cher professionnellement. Il a mené sa vie comme il l’entendait et est un exemple inédit en France d’un artiste qui met fin à sa carrière en pleine gloire, quand il l’a simplement décidé. C’est un luxe dont il est bien conscient et dont il profite. Un beau pied de nez aux critiques qui auraient voulu l’enterrer un peu trop vite !