Jean-Jacques Goldman, Georges Brassens : Mourir pour des idées
Essais
Le débat qui suit concerne un hommage télévisuel à Georges Brassens, diffusé ler 1er novembre 2001 sur France 2. Au moment de conclure, Michel Drucker a demandé à Jean-Jacques Goldman s'il avait un dernier mot, et JJG a déclaré qu'il trouvait la chanson "Mourir pour des idées" obscène.
Certains d'entre nous ont sursauté hier en entendant Jean-Jacques dire en fin d'émission qu'il avait découvert Brassens et qu'il y avait trouvé des choses sublimes et des choses obscènes "comme cette dernière chanson". Encore sous le charme de "Mourir pour des idées " et la tête pleine d'images de talibans, nous avons accusé le coup. Puis, en y réfléchissant, on se souvient que Maxime a dit : "Georges a écrit cette chanson après que le frère de Jeanne ait été arrêté pour faits de Résistance (c'est moi qui souligne). C'est une chanson de rage". Et là, on voit le Brassens planqué dans l'impasse Florimont pendant que les résistants luttent pour la liberté, pendant que des millions de juifs, de tziganes, d'homosexuels et d’handicapés crèvent dans les camps de la mort. Et le côté "anarchiste de salon" de Brassens nous saute au visage dans toute son obscénité.
Les chansons que Jean-Jacques a chantées : "L'Auvergnat" et "Si seulement elle était jolie" sont des exemples de ce qu'on peut trouver de sublime chez Brassens, la tendresse et l'humour. Pas misogyne, non. A l'inverse d'un Brel qui fustige Les femmes, Brassens chante à chaque fois Une femme, qu'elle soit délicieuse ou odieuse. Sa chanson "quatre-vingt quinze pourcent" (chantée divinement par Manu Béart) est un hymne à la femme et à son droit au plaisir.
Maintenant j'ai compris pourquoi Jean-Jacques avait l'air si mal à l'aise à certains moments de l'émission, alors qu'à d'autres, il se marrait sincèrement ("Le bricoleur", "Le mauvais sujet repenti").
Nad ze girafe En passant, 2 novembre 2001 Tous droits réservés
Admirateur de Brassens et fortement marqué par "Mourir pour des idées" j'ai moi-même été plutôt interloqué par la conclusion de JJG (mais pas autant que Drucker, bien mal à l'aise !) d'autant plus que c'est à peu près tout ce qu'il a dit pendant l'émission. La tête refroidie, en fait, quoi de plus normal dans l'optique de quelqu’un qui chante "Je ne me souviens que d'un mur immense, mais nous étions ensemble, ensemble nous l'avons franchi".
Pour moi, c'est le côté un peu communiste, ou disons internationaliste, de JJG qui ressort: "Mais si la guerre éclate sur nos idées trop belles, autant crever pour elles que ramper sans combattre". A mon sens, JJG est nostalgique des grandes idéologies dans lesquelles on peut s'engager sans complexe, ces "grands étendards" dont il chante la disparition avec un brin de mélancolie dans "Entre gris clair et gris foncé". Pour lui, des grandes et belles idées méritent le sacrifice d'une vie si nécessaire. Ce qui doit le choquer à mon avis dans la chanson de Brassens (et finalement c'est légitime) c'est qu'il met toutes les idéologies dans le même sac ("et comme toutes sont entre elles ressemblantes"), c'est un peu comme dire que mourir pour les nazis ou pour les communistes c'est la même chose. Ce que Brassens exprime c'est que le résultat est le même. On est mort et, la plupart du temps, c'était inutile ou tout le monde s'en fout. Evidemment, en tant que sympathisant anarchiste, il laisse penser que le chemin a été le même, or, pour JJG "Y'a que les routes qui sont belles et peu importe où elles nous mènent".
En fait, ce que je retiens surtout de cette déclaration, c'est que si JJG est rare à la télé c'est qu'il refuse de s'édulcorer pour elle, quand Maxime a évoqué la chanson il n'a rien dit, après non plus, mais si on lui demande son avis, il le donne, quel qu'il soit ! Et ça, et bien ça me fait vraiment plaisir ! Quant à savoir s'il faut mourir pour des idées mettons que ma muse insolente se rallie à la cause de JJG et que j'accepte de mourir pour des idées... Mais de mort lente...
Matthieu Reynaert En passant, 3 novembre 2001 Tous droits réservés
Oui, moi aussi j'ai regardé l'émission et je me suis demandé ce qui arrivait à JJG quand il a donné sa conclusion en fin d'émission, ça m'a fait l'effet d'une bombe dans cette émission "très correcte". Et je dois dire que je n'ai pas compris du tout ce qu'il voulait dire par "obscène" et où il voulait en venir... (il ne parle pas beaucoup mais quand il le fait ça fait du bruit !)
Grâce au mail de Nad, on a une part d'explication... Mais en relisant les paroles de "Mourir pour des idées", je me rends compte que je n'avais pas bien écouté les paroles et que je n'y comprends plus rien ! Je serais heureuse que ceux qui ont une idée plus claire sur la chanson et les propos de JJG nous en fassent part...
Bénédicte Moyen En passant, 5 novembre 2001 Tous droits réservés
Idée plus claire, je ne sais pas car je ne suis pas du tout une spécialiste de Brassens (même si j'ai découvert avec un peu de surprise lors de l'hommage télé qui lui était consacré, que je connaissais bon nombre des paroles de ses chansons !) mais je ne dois pas être loin de la vérité en pensant qu'il était, pour beaucoup - et qu'il demeure - le chantre de l'opposition au conformisme, aux idées reçues. C'est vrai que JJ Goldman s'est lui aussi posé dès le début de sa carrière comme minoritaire face aux opinions toutes faites, voire réactionnaire (il s'en réjouit d'ailleurs dans le livre qu'il a co-écrit avec Alain Etchegoyen en écrivant- je cite de mémoire- "on va avoir l'air réactionnaire, mais j'adore ça"). Mais si l'on aborde le thème de la lutte contre l'oppresseur, il est évident que JJG ne peut accepter la non-prise de position, l'absence de lutte de par ses origines et le contexte familial (parents juifs émigrés, résistants pour contribuer à la liberté de leur pays d'adoption, sans parler de son demi-frère jugé, condamné, acquitté puis assassiné). Sa réaction à la chanson "Mourir pour des idées" n'est pas surprenante. Par contre, je suis d'accord avec Bénédicte sur le fait que la violence de ses propos était exagérée et sans doute un peu déplacée dans le contexte d'un hommage posthume à Georges Brassens qui s'était déroulé dans une ambiance conviviale, chaleureuse et gaie (j'en profite pour dire que j'ai trouvé la réaction de Maxime aux propos de JJ merveilleuse de courtoisie et de délicatesse...).
Ma réaction à la question de Bénédicte - qui j'espère en suscitera beaucoup d'autres, quelle qu'en soit la teneur - n'a pas pour but de lancer un débat sur le thème "JJG est-il véritablement réactionnaire ou pas ?" mais cette attitude, surtout après les différents propos tenus à la sortie d'"En passant", me fait penser qu'il devrait peut-être se lancer dans une adaptation de la chanson d'Alain Souchon dans le style "j'ai vingt ans... je sais que c'est pas vrai, mais j'ai vingt ans...", cela dit, dans sa nouvelle vie, il vaut peut-être mieux qu'il pense "vingt ans" que "cinquante"...
Christine Tascher En passant, 6 novembre 2001 Tous droits réservés
Pour prendre la suite de Christine, avec qui je suis tout à fait d'accord, c'est vrai qu'il faut remettre les choses dans le contexte "famille Goldman" (et au passage c'est vrai aussi que la réaction de Maxime Le Forestier a été très grande)...
Je ne suis pas sûre que Drucker s'en serait sorti tout seul de celle là... Peut-être aussi qu'il faut faire la part du goût (et du talent) inné de JJ pour la provoc (c'est moi ou bien c'est de pire en pire ??? ) au-delà de son refus du politiquement correct...
Maintenant concernant la chanson je ne la trouve pas du tout "obscène" (comme quoi "on peut aimer quelqu'un et trouver qu'il y a des choses (???) dans ce qu'il dit..."). Je ne connaissais pas le contexte "Brassens planqué" mais j'avais plutôt l'impression que la chanson disait qu'au lieu de mourir pour des idées périmées demain ou pour des "saints hommes" qui se font leur petit paradis perso sur terre (suivez mon regard...) il valait mieux vivre pour ses idées, se battre pour elles, et seulement après, quand on s'est bien usé, qu'on a fait de son mieux pour ses idées et bien là seulement on a le droit de tirer sa révérence.
Autrement dit les "martyrs" c'est tout ce qu'on a trouvé pour justifier un tas de morts absurdes et bien souvent inutiles (c'est même comme ça qu'on appelle des assassins récemment...).
Donc, dans ma petite tête, la chanson de Brassens est à lire au second degré ou avec ironie je ne sais pas (vu le contexte de rédaction c'est sans doute normal aussi que le sens ne soit pas très clair...) en tout cas avec un peu d'humour. En passant, c'est surtout ça qui m'a étonnée dans la réaction de JJ : d'habitude il réagit de façon un peu moins "épidermique" non ? Ses textes décapitent les "révolutionnaires qui voudraient remplacer" etc... avec un peu plus de légèreté (et c'est encore plus féroce d'ailleurs ! ). Là il m'a plutôt fait penser à un vieil ours atteint d'une rage de dents....
Cela dit sur le coup c'est vrai que c'était grandiose, ça plus sa manie de regarder ailleurs quand Drucker parle, plus ses New Balance toutes neuves (il avait pas les mêmes pour le best of des Enfoirés des fois?? Je sais c'est totalement hors sujet...) s'il continue comme ça il n'y aura plus une télé pour l'inviter à faire la promo de son album... De là à dire qu'il a calculé son coup pour avoir la paix....
Enfin "C'était juste pour dire..." mes idées pour lesquelles je suis prête à mourir...mais de mort lente...
Julie Hernandez En passant, 8 novembre 2001 Tous droits réservés
Je commence à trouver ce débat curieux : comment pouvez-vous mélanger tout et n'importe quoi?
Tous les combattants ne sont pas des assassins, tous les morts au combat ne sont pas morts pour rien ou inutilement, tous les assassins ne sont pas des martyrs, ...etc.
Jean Jacques a chanté "...et qu'on nous épargne à toi et moi si possible pour longtemps, d'avoir à choisir un camp..." et "...Et si la guerre éclate, sur nos idées trop belles, autant crever pour elles, que ramper sans combattre...". N'est-ce pas là, l'explication à sa réaction ? Il est clair que Brassens a eu le "culot" de dire que certains morts au combat auraient mieux fait de rester chez eux et d'attendre (je résume), au lieu de n'avoir servi à rien... Je trouve effectivement cela douteux, pas très respectueux. Autant je pense que certaines guerres me dégoûtent, d'autres me semblent véritablement valables et utiles, autant, je ne jugerai jamais les motivations de ceux qui la font. Les résistants n'étaient-ils pas des terroristes, et leurs idées n'étaient-elles pas valables, pourtant, tout dépend du camp dans lequel on se trouve. Jean Jacques a mis le doigt sur un côté inconnu de Brassens et a été tout à fait cohérent dans ses propos.
David En passant, 9 novembre 2001 Tous droits réservés
Personnellement, si je me souviens bien de la chanson de Brassens que j'ai étudiée au lycée, je ne trouve pas de "lâcheté", comme vous êtes beaucoup à le dire.
Cette chanson est plus pour moi une chanson qui dénonce ceux qui ordonnent au peuple d'aller se faire tuer pour tel ou tel idéal (et là, je pense sans me cacher à Bush, père et fils, à Saddam Hussein et à tous les autres qui restent cachés dans leur bunkers en envoyant des peuples qui ne demandaient rien à personne d'aller servir de chair à canon sous prétexte que l'autre en face est hutu, tutsi, serbe, croate, américain, arabe...).
Brassens dénonce ceux qui voudraient le voir clamer que les Français sont les plus beaux, les plus forts et que les Algériens, les Vietnamiens (ou que tout autre peuple qui était en conflit avec la France à cette époque-là) et qui éventuellement le verraient bien mourir en martyr, ça donne tellement de poids...
Peut-être Jean-Jacques a-t-il été choqué, dans le contexte géopolitique actuel, d'entendre ça, tout comme "Benny & the Jets" est une chanson très mal vue aux USA, je n'ai malheureusement pas pu voir l'émission, mais je ne pense pas vraiment qu'il soit "honteux" de ne pas vouloir servir de chair à canon quand ceux qui se sentent vraiment concernés sont bien à l'abri derrière les murs de leurs palais.
Tousoxeu En passant, 9 novembre 2001 Tous droits réservés
Il me semble évident, effectivement que JJ Goldman ne pouvait pas ne pas réagir au sujet de la chanson de Brassens "Mourir pour des idées".
D'une part à cause, c'est vrai, de sa famille, il faut bien penser au contexte de l'écriture de cette chanson, si tout le monde avait pensé comme Brassens où en serions-nous ? Il y a des circonstances où il faut savoir dire "non", s'engager et éventuellement donner sa vie. Goldman a abordé ce thème dans "Rouge" "et si la guerre éclate sur nos idées trop belles autant crever pour elles que ramper sans combattre". J'ai une admiration sans bornes pour ces gens qui se sont lancés dans cette lutte contre le nazisme et je ne sais pas si j'aurais pu en faire autant : "et qu'on nous épargne si possible très longtemps d'avoir à choisir un camp".
D'autre part, il y a un danger dans le "non engagement", qui n'est pas loin du "tous pourris", du "à quoi bon" et qui mène à un désintéressement total de la vie politique de la nation (qui se traduit par un taux d'abstention record). A qui profite ce désintérêt ? La déresponsabilisation est le contraire de la citoyenneté. Goldman a l'air d'y tenir à sa nation, à ce qu'elle a représenté pour son père, à ce qu'elle représente encore comme idées de liberté, d'égalité de fraternité (je suis des vôtres).
Quand on entend "Mourir pour des idées", nous, aujourd'hui on pense aux "kamikazes" qui se font "sauter" pour faire le plus de morts possible parce que des assassins leur promettent le paradis. Ceux-là savent qu'ils vont mourir, c’est le goût du sacrifice, l'idée du martyre qu'on exalte. Or, je ne pense pas qu'aucun résistant durant l'occupation n'est parti en se disant "tiens aujourd'hui je vais mourir". Non, ils défendaient un idéal, des idées, personne ne les poussait à y aller, personne n'avait besoin de leur mentir. C'était bien au contraire l'amour de la vie qui les animait.
De là à penser que la chanson de Brassens est plus juste aujourd'hui qu'à l'époque ?
Sylviane Arboud En passant, 9 novembre 2001 Tous droits réservés