Jean-Jacques Médicament Blues

Essais

Jean-Jacques Goldman entretient une relation des plus ambivalentes avec le domaine des médicaments. Ces substances, tantôt alliées précieuses de ses débuts artistiques, tantôt sources d’inspiration, sont également chez le chanteur la cible de critiques acerbes en raison de leur utilisation excessive. Cette dualité invite à une introspection sur l’évolution du compositeur français et nous offre un aperçu unique de son parcours et de sa personnalité. Que dissimule donc ce rejet catégorique des psychotropes, thème récurrent dans ses entretiens ? Doit-on y voir des regrets, un jugement, ou le signe d’une transformation philosophique profonde chez cet artiste exceptionnel ? Examinons ensemble la facette du “Jean-Jacques Médicament Blues” de Goldman.

La relation ambiguë entre Goldman et les médicaments

Jean-Jacques Goldman évoque ouvertement ses doutes quant à l’usage des médicaments. Il a reconnu sans détour avoir eu recours à ces produits pharmaceutiques pour apprivoiser le stress lors de ses premières confrontations avec son public. Toutefois, à travers ses chansons et ses interviews, transparaît une critique cinglante de la prise systématique de médicaments pour affronter les tourments de la vie.

Jean-Jacques Goldman et le trac

Pour appréhender la relation complexe entre Jean-Jacques Goldman et les médicaments, il est impératif de se pencher sur ses débuts dans l’industrie musicale. Il est de notoriété publique que Jean-Jacques Goldman ne se destinait pas à une carrière de chanteur. Son cœur battait davantage pour la création en tant que parolier et compositeur et il envisageait de concevoir des chansons pour d’autres artistes tout en restant dans l’ombre, travaillant modestement dans une boutique de chaussures. Son rôle de chanteur s’est dessiné plus tard, en grande partie sous l’influence de circonstances et d’opportunités qui se sont présentées.

“J’écris des chansons, j’en chante, mais j’aurais pu rester dans mon magasin de sport et être heureux.”

(Jean-Jacques Goldman, Télé Moustique 3771, 6 mai 1998)

L’anxiété de la scène, le regard de la foule et la pression inhérente à la délivrance de performances exceptionnelles peuvent être envahissants. C’est dans ce contexte qu’il a eu recours aux médicaments pour apaiser ses appréhensions. Ceci lui a permis ainsi de monter sur les planches avec plus de confiance, sans que le public ne perçoive son trouble intérieur. Le chanteur a dû surmonter certaines difficultés lors de ses premières prestations. En 1982, alors qu’il interprétait son tout premier single en solo, “Il suffira d’un signe”, il a dû faire face à des problèmes techniques et surmonter tant bien que mal en direct le trac qui le tétanisait. Ainsi, lors d’une interview en 1997 sur RFM, il a confié : “Être sous les feux des projecteurs ne m’était pas naturel, il a fallu que je prenne des médicaments (…) pour ne serait-ce qu’être cohérent sur scène.”

Son ami de longue date, Michael Jones, a récemment révélé dans son autobiographie : “La scène, comme je l’ai dit, ce n’était pas son truc. Il était littéralement malade avant d’y monter durant les premières tournées. Sa passion, c’était la création. (…) Il n’a jamais été fou des tournées, c’est le moins que l’on puisse dire.”

Le recours de Jean-Jacques Goldman aux médicaments au début de sa carrière laisse entendre qu’il cherchait une solution rapide pour surmonter ses craintes et ses appréhensions, en particulier lors de ses premiers concerts. En évoquant sa médication, il se montre plus “humain” et proche de son public. En partageant ses vulnérabilités, qu’il a fini par dépasser, il exprime indirectement l’impact durable que cette période a eu sur son esprit. Il n’est donc pas surprenant de le voir aborder ce sujet dans de nombreuses interviews et chansons.

Une critique tranchante de l’abus de médicaments

Jeanine Médicament Blues offre sans conteste la lecture la plus explicite de la position de Jean-Jacques Goldman concernant les médicaments. Cette chanson dévoile son besoin d’aborder, en musique et en paroles, ses réflexions sur le sujet délicat de la santé mentale.

Ce titre propose une perspective ambivalente sur l’utilisation des médicaments, les décrivant à la fois comme une échappatoire pour fuir la réalité et une critique de la dépendance qu’ils peuvent engendrer. Goldman y souligne les dangers de rechercher des solutions temporaires à des problèmes profonds, insistant sur l’importance d’accepter la douleur et la tristesse comme faisant partie intégrante de la vie.

Ainsi, cette chanson décortique les recours aux médicaments en tant que béquilles pour faire face aux épreuves du quotidien, mais aussi la facilité d’accès aux “pilules magiques” censées soulager toute sorte de souffrances, plus ou moins majeures. Jean-Jacques Goldman, en ironisant sur la variété infinie de gélules disponibles sur le marché, les compare à des bonbons de toutes les couleurs.

“Une rose pour la vie
Une rouge pour l’amour
Une noire pour la nuit
Et une bleue pour le jour
Une jaune pour être speed
Une mauve pour être cool
Orange pour le rire
Et marron pour les moules
Une blanche pour être bien
Une verte pour la route
Et Jeanine, Jeanine, Jeanine pour éviter le pire.”

(Jeanine Médicament Blues, 1982)

De nombreuses interviews et collaborations de l’artiste abordent sa position vis-à-vis des médicaments, en particulier des psychotropes. Il exprime clairement son désaccord envers le Prozac, l’un des antidépresseurs les plus prescrits au monde.

“Mais c’est le signe d’une époque où l’on tiédit tout. Le summum est le Prozac, comme une façon de limiter les excès d’humeur…”

(Jean-Jacques Goldman, TV Hebdo, 3 janvier 1998)

“Moi je pense que la chose la plus significative aujourd’hui, c’est le Prozac. Il consiste à se dire qu’être malheureux c’est une pathologie, être stressé c’est une pathologie. (…) Quand vous prenez des calmants, effectivement les grosses émotions vous ne les avez pas en négatif, mais vous ne les avez pas non plus en positif. (…) C’est ça que je trouve tragique !”

(Jean-Jacques Goldman, Les pères ont des enfants, Seuil, novembre 1999)

“Pour moi, le Prozac est inhumain puisque c’est une façon d’écrêter les bas, et d’écrêter aussi les hauts. (…) Il faut accepter d’aller au fond juste pour le bonheur de savoir lorsque l’on est en haut.”

(Jean-Jacques Goldman, Option Musique, du 17 au 21 décembre 2001)

“On peut prendre du Prozac toute la journée, et vivre tout un petit peu moins fort, à la fois en bas et en haut.”

(Jean-Jacques Goldman, MusiConnexion, mai 2002)

Une explication artistique de cette contradiction personnelle

Cette relation complexe de Jean-Jacques Goldman avec les médicaments témoigne d’un changement d’état d’esprit, voire d’une certaine maturité acquise au fil du temps et de l’expérience. Il est plus facile de faire preuve de courage lorsque l’on monte sur scène pour la cinq-centième fois que lors de la première, bien entendu. Néanmoins, Goldman n’a jamais été à l’aise sur les planches, même s’il parvenait à le dissimuler. Il a su surmonter ses blocages sans avoir recours à la chimie. Comment expliquer cela ?

Le courage et le risque

Goldman qualifie plusieurs de ses œuvres, qu’il a composées et interprétées, de “chansons anti-Prozac”. C’est le cas de “La pluie”, qui analyse notre comportement face aux difficultés. Sous l’image de l’homme cherchant à éviter les averses, l’artiste examine la propension des individus à fuir les moments pénibles. Cette métaphore de la pluie comme symbole des épreuves de la vie nous invite à embrasser nos émotions, qu’elles soient positives ou négatives.

“Deux, trois nuages et l’on court à l’abri,
On n’aime pas trop se mouiller”

(La pluie, 2001)

Pour l’artiste, ne pas savoir faire face aux difficultés inhérentes à toute existence humaine équivaut à manquer l’opportunité de grandir, de se construire et d’apprendre. Chercher à atténuer les moments pénibles, c’est prendre le risque de diminuer également les périodes de réussite, de partage et de bonheur.

“Pas de jolie vie, de joli chemin
Si l’on craint la pluie”.

(La pluie, 2001)

Jean-Jacques Goldman insiste sur le fait que la vie est un voyage et que l’essentiel réside dans le chemin que nous empruntons pour atteindre nos objectifs, plutôt que dans la simple réalisation de ces derniers. Il célèbre la beauté du parcours, des expériences vécues en cours de route, et encourage à savourer chaque instant.

“Y a que les routes qui sont belles
Et peu importe où elles nous mènent”

(On ira, 1997)

En tant qu’artiste influent, Jean-Jacques Goldman est bien lucide sur la responsabilité sociale qui pèse sur ses épaules. En critiquant la consommation abusive de pilules dans ses chansons, il peut inciter ses auditeurs à réfléchir aux conséquences de leur propre usage de médicaments, comme il l’a clairement exprimé dans “Jeanine Médicament Blues”.

La prise de conscience de l’incidence potentiellement néfaste des médicaments sur la santé mentale et émotionnelle de certaines personnes a sans doute joué un rôle dans la décision de Jean-Jacques Goldman de parler de leur utilisation dans son œuvre. Il est probable que Goldman ait observé les impacts de l’usage excessif de médicaments dans la société et ait ressenti le besoin de partager ses questionnements à travers son art.

La sagesse et la philosophie

Un artiste tel que Jean-Jacques Goldman, qui a connu un succès fulgurant, a inévitablement évolué dans sa relation avec la notoriété au fil du temps. Malgré ses appréhensions initiales concernant la scène, il a géré sa renommée en organisant des tournées spectaculaires, des concerts caritatifs, des performances télévisuelles et des hommages. Cela démontre son attachement à son métier et son respect envers son public.

L’expérience, l’âge et la sagesse ont sans doute contribué à cette évolution, tout comme sa vie personnelle, marquée par la famille, les rencontres et les voyages, qui ont façonné sa perspective. Comme tout individu, il a appris à faire ses choix et parfois à dire non.

À l’âge de 46 ans, Goldman a abordé un registre plus sérieux et mature avec l’album “En passant”. Une chanson phare de cet album, “On ira”, explore la relation de chacun avec la mort, encourageant à accepter le vieillissement et à faire face aux défis de la vie.

“Tous ces gens qu’on voit vivre comme s’ils ignoraient
qu’un jour il faudra mourir”

“On prendra les froids, les brûlures en face,
On interdira les tiédeurs”

(On ira, 1997)

D’un point de vue philosophique, cette perspective rappelle celle d’Épictète, le stoïcien, qui souligne l’importance de l’équilibre face aux aléas de la vie. Il encourage à affronter les difficultés plutôt que de chercher des échappatoires temporaires, une idée reflétée dans les chansons “On ira” et “La pluie”.

En faisant face aux défis, nous découvrons notre véritable force et notre capacité à surmonter les obstacles. C’est une notion que Spinoza développe, en comprenant nos émotions pour mieux les maîtriser et trouver la sérénité dans un monde en constante évolution.

Le philosophe stoïcien Sénèque a souvent abordé la question de la manière dont nous devrions affronter les défis et les adversités de la vie. Sa célèbre citation, “La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie”, illustre parfaitement cette idée. Cette pensée suggère que plutôt que de fuir ou d'éviter les difficultés, nous devrions les embrasser et y trouver une opportunité de croissance et d'apprentissage.

Cette philosophie trouve un écho dans la chanson “La pluie” de Jean-Jacques Goldman. Tout comme Sénèque nous encourage à danser sous la pluie, Goldman nous invite à embrasser nos émotions, qu'elles soient positives ou négatives et à voir les défis comme des occasions d'évolution personnelle. Les deux, à travers leurs mots, nous rappellent l'importance de vivre pleinement chaque moment, qu'il soit heureux ou difficile.

La maturité et la confiance

Lorsque Laurent Boyer lui demande s’il connaît des coups de blues, Jean-Jacques Goldman explique en toute transparence qu’il en a, mais qu’il se considère comme chanceux. Chanceux de ne pas avoir trop de moments de déprime, ou chanceux de ne pas avoir de raison d’en avoir ? C’est une question en suspens, car la gestion de sa santé mentale est rarement un choix.

“Ça arrive à tout le monde. Moi plutôt moins qu’aux autres parce que je suis une bonne nature et puis que j’ai beaucoup de chance.”

(Jean-Jacques Goldman, Fréquenstar, M6, 16 décembre 2001)

Cette maturité que l’on ressent dans ses textes, mais aussi dans ses interviews, nous permet de comprendre qu’avec le temps, Jean-Jacques Goldman a réussi à assumer qui il est. Il est désormais capable d’écouter ses envies, ses besoins et parfois d’imposer des choix, même difficiles.

Après sa tournée Un tour ensemble en 2002, il a surpris tout le monde en ne revenant plus sur scène. Cette décision, bien réfléchie, est demeurée inchangée depuis, malgré son immense popularité, qui en fait toujours la personnalité favorite des Français. Il préfère composer pour d’autres artistes et faire ce qu’il aime le plus : écrire. Il a également utilisé sa notoriété pour soutenir des causes qui lui tiennent à cœur, comme son hommage aux soignants en 2020 pendant la pandémie de COVID-19.

On peut logiquement se demander si l’arrêt total de sa participation au spectacle des Enfoirés pour les Restos du Cœur n’est pas dû en partie à une polémique autour de sa chanson “Toute la vie”, sortie en 2015. Certains lui ont reproché un ton paternaliste et donneur de leçons. L’artiste a répondu et défendu sa composition, mais s’est ensuite éclipsé. Est-ce une manière pour lui de refuser de s’imposer des moments aussi désagréables, de protéger son bien-être mental ?

Ce que l’on apprécie chez Jean-Jacques Goldman, c’est sa franchise, sa modestie et son engagement envers des valeurs essentielles comme la famille, les amis et la justice. Il a mûri et choisit désormais ce qui lui convient, sans se forcer ni s’infliger des moments complexes à gérer. Il respecte ce qui est primordial pour lui, en écoutant ses besoins, comme il l’a exprimé dans sa réponse à une fan qui lui demandait s’il ferait une tournée d’adieu en 2021.

“(…) il me semble que ce serait trop difficile, émotionnellement aussi.”

(Jean-Jacques Goldman, lettre à une fan, 2021)

N’est-ce pas là l’équilibre idéal : faire ce que l’on aime et ne pas jouer un rôle ? C’est un luxe dont Goldman est bien conscient.

Les peurs et les regrets

Jean-Jacques Goldman a exprimé des réserves quant à l’utilisation de médicaments, estimant qu’ils pourraient empêcher les patients de ressentir entièrement leurs émotions. C’est sans doute une appréhension qu’il a écoutée quand il montait sur scène et qu’il a choisi de ne plus prendre de traitement pharmaceutique pour affronter son trac.

La peur de ne pas être authentique, de ne pas vivre pleinement les expériences, était apparemment plus forte que la crainte d’éprouver de l’angoisse avant de se présenter devant le public. À travers ses interviews, on peut percevoir l’inquiétude de vivre les moments essentiels de manière atténuée comme prédominante. Cela semble être le plus important pour lui.

“Moi, ce qui me fait peur, c’est de tout vivre à minima.”

(Jean-Jacques Goldman, Les pères ont des enfants, Seuil, novembre 1999)

Sa critique de l’usage des médicaments, manifestée notamment dans la chanson “Jeanine Médicament Blues”, suggère qu’il était particulièrement préoccupé par la dépendance à la chimie pharmaceutique. Le titre aborde la tentation de se réfugier dans les médicaments pour ne rien ressentir.

“Moi, j’ai quelques amis qui me laissent jamais tomber
En liquide, en pilule, en poudre, en comprimé”

(Jeanine Médicament Blues, 1982)

La peur de devenir dépendant a peut-être motivé sa décision d’arrêter la médication qui l’aidait à se produire en public. Il a préféré affronter ses émotions de manière naturelle, se montrer vulnérable sur scène, mais sans perturber son équilibre mental. Pour lui, accepter la douleur et la tristesse signifiait aussi profiter de la beauté de la vie. Il considérait que l’utilisation de psychotropes constituait un véritable danger, offrant des solutions artificielles et temporaires à des problèmes profonds.

Son choix de faire face aux difficultés était en accord avec le thème de ses chansons, notamment “Brouillard”, composée au début de sa carrière solo en 1981. Ce titre suggère une prise de conscience, un souhait de se libérer du passé et de se concentrer sur le présent et l’avenir. Il aborde des sujets tels que le passage du temps, la quête de soi, le désir de changement et la résilience.

“Je prendrai les pluies du Sud
Pures et lourdes à bras le corps
Les tiédeurs et les brûlures et je renaîtrai”

“L’heure n’est plus aux projets, regrets passés, oubliés rêves et délires”

(Brouillard, 1981)

Quant à son aversion pour le Prozac et ses critiques à son encontre, il est possible qu’il ressente une forme de culpabilité ou de remords d’avoir recouru aux médicaments à un moment donné de sa vie. Cependant, seul lui pourrait confirmer cela. Bien entendu, il est important de noter que certaines maladies ou situations nécessitent une véritable prise en charge médicale et médicamenteuse. Les propos de Jean-Jacques Goldman ne concernent pas les états de santé qui ont besoin d’un suivi médical sérieux et personne ne doit les considérer comme tels.

L’analyse de la relation complexe de Jean-Jacques Goldman avec les médicaments met en lumière le pouvoir de l’artiste de refléter et de remettre en question les réalités de notre monde. Son évolution, passant de l’utilisation des médicaments pour gérer le trac à une critique ferme de leur abus, témoigne de sa croissance personnelle et de sa prise de conscience des dangers de la dépendance chimique. Sa maturité artistique et sa philosophie de vie l’ont amené à valoriser l’authenticité et l’acceptation des émotions, même les plus sombres, comme une voie vers une vie pleine et significative. Sa musique continue d’inspirer et d’encourager les auditeurs à réfléchir sur leur propre rapport aux médicaments, à la vie et à la recherche du bonheur.