Le premier album de Taï Phong a 50 ans

Essais

Taï Phong. Deux mots venus d’ailleurs. Une sonorité douce et troublante, comme soufflée à l’oreille. En vietnamien, cela signifie "grand vent". Une promesse de voyage. Un souffle qui traverse les âges, les frontières et les silences. Un nom qui, à lui seul, raconte déjà une histoire. Celle d’un groupe né dans les marges et pourtant habité d’un souffle immense. Celle d’une fratrie de musiciens venus d’Asie, installés en banlieue parisienne, qui vont croiser la route d’un inconnu nommé Jean-Jacques Goldman.

Le reste pourrait ressembler à une légende. Mais c’est une épopée plus modeste, plus rugueuse aussi : celle d’un groupe de rock progressif français qui n’a jamais cessé de chercher sa voix. Ni vraiment dans le courant dominant, ni totalement hors du monde, Taï Phong a toujours navigué entre deux eaux : celle des rêves d’adolescents et celle des exigences musicales les plus hautes. Une bande de perfectionnistes, passionnés par Yes, Genesis ou Pink Floyd, mais aussi profondément ancrés dans leur époque. Une alchimie fragile, portée par des voix haut perchées, des ballades éthérées, des élans instrumentaux d’une grande finesse.

Leur histoire, pourtant, n’a rien d’un long fleuve tranquille. Ce fut un combat constant pour garder le cap, pour ne pas trahir la musique. Un chemin pavé de refus, de ruptures, d’éclipses. Mais aussi de résurrections. Car Taï Phong est de ces groupes qui renaissent quand on les croit disparus. Qui changent de voix sans perdre leur âme. Qui écrivent, dans les interstices du temps, une œuvre à part, toujours fidèle à sa ligne claire : élégance, sincérité, fidélité.

L’histoire de Taï Phong se déroule en trois actes, comme une épopée discrète mais tenace. Il s’agit d’un voyage : depuis l’enfance vietnamienne des frères Ho Tong jusqu’aux derniers souffles du dragon en 2021. Depuis la maquette de "Melody" jusqu’à "Dragons of the 7th Seas". Depuis les balbutiements d’un groupe sans visage jusqu’à la résilience d’un mythe underground. C’est une histoire de fidélité plus que de gloire. Une histoire de feu qui couve longtemps. Une histoire de vent. D’un grand vent, qui n’a jamais cessé de souffler.

SOMMAIRE

Introduction

Acte I – Les frères du vent

Une naissance entre deux cultures

Taï Phong, à l’origine

Melody, la chanson fantôme

À la recherche d’un frère de son

Acte II – Le dragon s’éveille

Sister Jane : le souffle et l’ombre

La scène comme épreuve

Windows : l’apogée discrète

Last Flight : crash en plein vol

ACTE III – Renaître de ses cendres

Le silence et les fantômes

Le Zénith et les retrouvailles

Vivre pour créer, même sans public

Le phénix et ses métamorphoses

Héritage et transmission

Le dragon souffle encore

Acte I – Les frères du vent

Une naissance entre deux cultures

Comme souvent dans les histoires de souffle, tout commence loin d’ici. Le vent de Taï Phong — "grand vent" en vietnamien — prend naissance bien avant que le nom ne soit choisi. Khanh et Taï Ho Tong, nés au Vietnam, grandissent entre deux mondes. Leur exil les amène en France, où ils sont encore enfants, arrachés à leurs racines mais pas à leur mémoire. La musique devient très vite le moyen le plus naturel de relier ces deux terres, de concilier les identités. À huit ans, Khanh se met au piano ; son cadet Taï le suit de près. Bientôt, les guitares remplacent les claviers, et l’adolescence devient un terrain d’apprentissage intense.

Au lycée de Sceaux, les deux frères forment leurs premiers groupes et découvrent la dynamique du jeu collectif. L’amitié musicale s’y construit comme un refuge identitaire. Pendant les vacances, sur les plages, ils jouent pour les copains. Puis viennent les tremplins, les concours, les petits festivals. Leur premier groupe s’appelle "Mousson". La métaphore climatique est déjà là. Les frères avancent à pas feutrés, mais avec déjà une méthode et une énergie hors du commun.

Dans les années 70, le festival de Sceaux est un rendez-vous annuel où se confrontent une quinzaine de groupes. Mousson y participe trois années consécutives... et remporte trois fois le premier prix. L’âge moyen des membres tourne autour de seize ans. Un jour, le maire leur demande gentiment de laisser la place aux autres. Leur supériorité technique est manifeste, mais c’est surtout leur perfectionnisme qui les distingue.

Taï Phong, à l’origine

C’est en 1972 que tout commence véritablement. Les frères Khanh et Taï Ho Tong fondent Taï Phong – "Grand vent" en vietnamien – avec l’intuition que le vent peut porter plus loin s’il est bien dirigé. Recrutés par annonces dans Melody Maker, Less, un organiste anglais venu d’Allemagne avec son Hammond, et John, un chanteur-guitariste californien, complètent la formation initiale. Les répétitions, rigoureuses et méthodiques, ont lieu trois fois par semaine dans la cave familiale à Sceaux.

Khanh travaille alors chez Barclay. Il fait venir un producteur, François Bernheim, pour écouter le groupe. Impressionné, ce dernier propose un test en studio. En janvier 1973, ils enregistrent toute une nuit chez Ferber, en quasi-live. Le lendemain, Bernheim revient avec un contrat, affirmant que la session servira non pas de maquette, mais de véritable disque. Sauf que le contrat contient une clause inacceptable : en cas d’échec commercial, le groupe devrait rembourser les frais d’enregistrement. Khanh et Taï refusent de signer.

Ce refus déclenche la colère du producteur, qui garde les bandes. Il marque aussi une première fracture interne : Less quitte le groupe. John le suit peu après, lorsque son ancien groupe californien débarque en France.

Melody, la chanson fantôme

Cette première tentative aura laissé une trace, invisible mais fondatrice. En 1973, alors encore liés à Barclay, Taï Phong enregistre "Melody", un titre écrit et composé par Taï Sinh. Le morceau ne sortira jamais. Coincé par le contrat, le groupe fait appel à un troisième avocat, spécialiste des questions d’édition. Celui-ci découvre une faille et permet aux musiciens de récupérer leur liberté... au prix de leurs enregistrements. Barclay garde les bandes de "Melody". L’unique disque gravé par Khanh pour Barclay refait surface chez un brocanteur, quelques quarante-huit ans plus tard, et se retrouve ainsi sur le septième album de Taï Phong, "Dragons of the 7th Seas", paru en 2021.

Cette chanson-fantôme agit comme un révélateur. Elle scelle l’entrée officielle de Jean-Jacques Goldman dans l’histoire du groupe, même si aucun disque ne sortira avant deux ans. Elle incarne un moment de bascule : celui où l’on préfère perdre un titre que trahir une exigence. C’est un sacrifice artistique, mais un acte fondateur.

À la recherche d’un frère de son

La première formation de Taï Phong n’existe plus. Il faut repartir de zéro. Un soir, des amis amènent un guitariste à une répétition : Jean-Jacques Goldman. Il est vendeur dans une boutique de sport à Montrouge, il a vingt-trois ans, dix-huit ans de musique derrière lui, du violon classique et du blues, du rock et du folk. Il a la voix, la rigueur, l’envie. Surtout, il reconnaît chez les frères Maï des musiciens qui savent où ils vont. L’alchimie est immédiate. « Je n’ai jamais vu un groupe aussi au point », dira-t-il après la répétition (01).

Cette rencontre tient du hasard, mais deviendra mythe fondateur. Là où les frères avaient perdu un groupe, ils trouvent un alter ego. Goldman ne sera pas un simple musicien suppléant : il apportera sa rigueur, son intuition, sa voix. En retour, il apprendra le travail de studio, la discipline collective, le professionnalisme discret mais impitoyable des Ho Tong.

Avec l’arrivée de Jean-Alain Gardet aux claviers et de Stéphan Caussarieu à la batterie, le groupe est au complet. Un studio est réservé. Une maquette est enregistrée. Cette fois, ils ne la laissent pas entre les mains d’un producteur. Khanh fait le tour des maisons de disques. Toutes veulent signer. Mais c’est chez WEA, un soir, tard, presque par accident, que le destin se scelle : Dominique Lamblain, responsable international, écoute les bandes... et dit oui.

Le vent peut souffler.

Acte II – Le dragon s’éveille

Ce n’est pas avec les maisons de disques que l’on fait de la musique, mais contre elles. Cette leçon, Khanh Maï et ses compagnons l’ont apprise très tôt. Après avoir refusé un premier contrat toxique chez Barclay, après avoir vu s’évanouir "Melody" dans les limbes juridiques, Taï Phong veut garder la main. Lorsqu’ils rencontrent Dominique Lamblain chez WEA, ils ne signent pas les yeux fermés. Ils dictent leurs conditions. Si leur premier 45 tours ne se vend pas à plus de 200’000 exemplaires, le contrat est rompu. Une clause inédite, rédigée comme une clause de sortie de secours - ou de dignité.

C’est dans ce climat d’indépendance farouche que débute vraiment l’histoire publique du groupe. En guise de cadeau de bienvenue, WEA leur fait livrer un Moog flambant neuf des États-Unis, synthétiseur mythique que Yes, Genesis et les Floyd eux-mêmes affectionnent. Le souffle du dragon peut enfin s’élever.

Sister Jane : le souffle et l’ombre

En juin 1975, le premier album sort discrètement, mais la tempête ne tarde pas. "Sister Jane" devient, contre toute attente, un tube de l’été. 200’000 ventes. Taï Phong est sauvé. Le morceau passe en boucle en discothèque, sur les radios, dans les émissions de variété. On l’entend partout. Mais que voit-on ? Rien, ou presque. Le groupe est sans visage. Aucun leader clairement identifié. Goldman, voix de cristal, cache sa timide stature derrière les guitares. Le groupe est présenté à la télé par Danièle Gilbert comme un "groupe japonais", et Julien Lepers lui-même, en le présentant, se fend d’une pitrerie raciste.

Et pourtant. "Sister Jane" est tout sauf un tube formaté. C’est un slow éthéré, traversé de fragilité. Une montée en intensité. Des guitares planantes. Et surtout, cette voix perchée — la voix de Goldman — qui semble toujours sur le point de se briser. Cette fissure, cette tension fragile, c’est peut-être ce qui touche le plus. Mais c’est aussi ce qui piège le groupe. Le tube devient un masque. Taï Phong n’est plus qu’une chanson.

La scène comme épreuve

Derrière ce succès, le groupe s’organise. Jean-Alain Gardet (claviers) et Stéphan Caussarieu (batterie) complètent la formation. Les répétitions s’enchaînent, les concerts s’annoncent. Mais un autre front se dessine : la scène. Jean-Jacques Goldman vit la perspective des concerts comme un supplice. Tétanisé, il vomit avant chaque représentation. Le groupe fait ses armes dans des MJC, devant cinquante personnes, puis des salles pleines à Antony ou à la Maison des Arts de Créteil. Le public est au rendez-vous. Le groupe assure. Mais Goldman décroche. Il ne veut plus de cette vie-là. Ce désir d’effacement annonce déjà la suite.

Windows : l’apogée discrète

En 1976, sort "Windows". Un deuxième album plus cohérent, plus construit. Chacun propose une dizaine de morceaux, et tous votent à bulletin secret pour ceux des autres. Les cinq titres les plus plébiscités entrent sur le disque. Ce processus démocratique accouche d’un album subtil. Goldman s’illustre avec "When It’s the Season", où sa voix et sa guitare s’envolent dans une tempête maitrisée.

L’album développe une esthétique sonore rare pour l’époque : nappes de claviers, vocaux ciselés, guitares en clair-obscur. On est plus proche de Yes ou de Genesis que de Polnareff ou de Souchon. Et c’est peut-être ce qui coince. Les radios, frileuses, freinent. Dans le groupe, les tensions apparaissent. Certains membres prennent plus de place que d’autres. L’harmonie fragile menace de se briser.

Last Flight : crash en plein vol

  1. Troisième album. Troisième visage. "Last Flight" est un disque déchiré. Jean-Alain Gardet a quitté le groupe. Taï Maï aussi. Michael Jones entre, apportant guitare, basse et quelques compositions. Pascal Wuthrich s’installe aux claviers. Goldman revient pour participer à l’album, mais refuse de remonter sur scène.

La cohésion de "Windows" s’efface. Chacun compose dans son coin. Le disque ressemble à une mosaïque : "End of an End", "Last Flight", "Farewell Gig in Amsterdam"... Des titres marquants, mais isolés. Goldman est absent de plusieurs morceaux. Khanh Maï aussi. Les critiques saluent l’effort, mais pointent le manque d’unité. Le public, lui, a tourné la page.

En interne, plus rien ne tient. La maison de disques ne fait plus la promotion. Les radios non plus. Taï Phong se dissout sans faire de bruit. Chacun retourne à ses activités. Goldman s’apprête à tenter sa chance en solo. Le dragon est à terre.

Mais son souffle n’a pas dit son dernier mot.

ACTE III – Renaître de ses cendres

Le silence et les fantômes

La fin des années 70 referme doucement la première vie de Taï Phong. Il n'y aura ni communiqué officiel ni concert d'adieu. Juste un troisième album éclaté, "Last Flight", où chacun compose dans son coin, comme pour signifier que le vent ne souffle plus dans la même direction. Taï Sinh s'en va, Jean-Alain Gardet aussi. Jean-Jacques Goldman, déjà tiraillé par le besoin d'expression personnelle et la peur paralysante de la scène, quitte l'aventure. Le groupe se tait.

Pourtant, en 1984, un frémissement. Warner, sentant la montée fulgurante de Goldman en solo, réactive le catalogue Taï Phong avec une compilation opportuniste intitulée "Jean-Jacques Goldman, Taï Phong : Les années Warner". Cette compilation comprend bien évidemment "Sister Jane", mais également, les six titres solos en français de Jean-Jacques Goldman, parus entre 1976 et 1978, ainsi que deux des titres écrits et composés par Jean-Jacques Goldman pour Taï Phong. Une tentative d’éclairer son passé d’une lumière rétrospective ? Ce coup marketing a au moins un mérite : rappeler que "Sister Jane", au sommet de l'été 1975, était signée d'un groupe. Et quel groupe.

Pendant ce temps, les anciens membres suivent chacun leur chemin. Jean-Jacques Goldman poursuit sa carrière solo à une allure vertigineuse. En 1984, il entame sa première grande tournée avec un certain Michael Jones à ses côtés. Stéphan Caussarieu tente l'aventure en solo. Khanh Maï, lui, ouvre un magasin d’instruments de musique et continue à composer, dans l’ombre, en fidélité à ce qu’il appelle son "souffle". Taï Phong n’existe plus, mais son âme flotte encore.

Le Zénith et les retrouvailles

En décembre 1985, le passé ressurgit par la grande porte. Lors de son concert au Zénith, Goldman invite ses anciens compagnons pour jouer "Sister Jane" devant une salle comble. Stéphan, Pascal et Khanh montent sur scène, entourés de projecteurs, pour une chanson. Une seule. Mais quelle chanson. Et quel moment. "C'était bien, et un peu frustrant parce qu'on n'a fait qu'un morceau", confiera Khanh plus tard (02).

Un an plus tard, en 1986, Taï Phong tente de renaître. Un nouveau single est enregistré : "I'm Your Son". Goldman y participe en ami, posant sa voix sur les chœurs. Le morceau est produit chez Vogue, grâce à Dominique Lamblin, l'homme-clé de l'ancienne signature chez WEA. Mais l'élan est brisé net. La maison de disques est en déclin, l'album annoncé "Return of the Samurai" ne verra jamais le jour. Taï Phong retourne à l'ombre, comme s'il était condamné à n'apparaître que dans les éclairs du mythe.

Vivre pour créer, même sans public

Pendant la décennie suivante, Khanh Maï ne renonce pas. Il continue à composer, à enregistrer, à rêver. Il garde des dizaines de maquettes dans ses tiroirs. L'œuvre continue d'exister, même sans scène, même sans label. C'est alors qu'en 1993, une surprise inattendue ravive la flamme : un producteur sort une version de "Sister Jane" chantée par un certain Hervé Acosta, dans une compilation de slows. Le groupe n’est même pas au courant. Mais Khanh, en entendant cette voix, reconnaît l'évidence. "Il monte encore plus haut que Jean-Jacques", dit-il en riant (03). Une voix pour ressusciter le souffle.

Acosta rejoint l’aventure. Le groupe se reforme. Il faudra encore quelques années pour enregistrer un nouvel album. Rallumer le feu. Renaître de ses cendres.

Le phénix et ses métamorphoses

En 2000, le miracle a lieu. "Sun", premier album studio de Taï Phong depuis vingt et un ans, voit le jour. La voix d’Acosta plane au-dessus de nappes de claviers, les guitares s’étirent, les ballades se succèdent, épurées, intemporelles. Khanh Maï est à la manœuvre, secondé par Angelo Zurzolo aux claviers. L'album est méconnu en France, mais trouve un écho au Japon, ce pays où les sons de mousson et de pluie lente résonnent encore.

Treize ans plus tard, "Return of the Samurai" sort enfin. Le titre était prévu depuis 1986. Il faudra attendre 2013 pour qu’il devienne réalité. L’album marque un tournant : plus de chanteur attitré, mais une constellation de voix féminines. Sylvie Tabary, entre autres, vient hanter ces chansons vaporeuses. Le son est moins rock, plus planant. Le groupe se transforme.

Puis vient "Dragons of the 7th Seas" (2021). Une odyssée tardive mais pleine de feu. Le disque mêle anglais et français, voix masculines et féminines, synthés planants et rythmiques métalliques. Et surtout : "Melody", la chanson-fantôme enregistrée chez Barclay en 1973 avec Jean-Jacques Goldman, inédite jusque là, réapparaît. Comme une boucle qui se referme. Comme un souffle qui ne meurt jamais.

Héritage et transmission

Taï Phong n’a jamais connu le grand triomphe commercial. Mais il est là. Présent dans les esprits. Adoré au Japon. Salué dans les cercles progressifs d’Europe de l’Est, des États-Unis. Et surtout, transmis.

Davy Kim, fils de Khanh Maï, a repris la guitare dans le groupe. Il compose, il joue, il prolonge. La voix, elle aussi, change. Ketty Orzola, chanteuse venue du jazz, apporte une couleur nouvelle, une sensualité moderne. Et toujours, les mêmes racines : des ballades lentes, des modulations douces, une poésie sonore qui dépasse les modes.

Taï Phong, aujourd’hui, c’est une constellation. Un noyau fidèle, des musiciens qui entrent et sortent, mais un souffle inchangé. Celui du vent.

Le dragon souffle encore

Taï Phong fait partie de ces météores discrets, qui ont marqué leur époque tout en la traversant en silence. Son sillage est plus profond qu’il n’y paraît. À rebours du vacarme médiatique et des feux de la rampe, leur aventure épouse un autre tempo : celui d’un souffle persistant, invisible peut-être, mais jamais dissipé.

Durant cinq décennies, cette formation singulière aura défié les lois du temps, des genres, et même du marché. Née d’un exil, forgée par la fraternité et l’exigence, elle a su faire éclore, dans l’ombre, l’un des plus grands auteurs-compositeurs-interprètes de la chanson française. Mais Taï Phong ne saurait se réduire à la genèse de Jean-Jacques Goldman. Ce serait ignorer le rôle fondamental de Khanh Maï, frère d’âme et d’armes, architecte tenace d’un projet musical qui a toujours privilégié l’émotion à la posture, la fidélité à l’opportunisme, l’exploration à la répétition.

Car ce qui fait la beauté tenace de Taï Phong, c’est cette façon de n’avoir jamais renoncé. Ni à ses rêves progressifs, ni à sa liberté. D’avoir su renaître là où beaucoup se seraient tus. Revenir sans tapage. Recomposer avec la mémoire. Et transmettre, enfin. À un fils, à un public fidèle, à une poignée de voix fidèles venues prêter serment à nouveau. Taï Phong n’a pas conquis les hit-parades. Mais il a conquis autre chose : la mémoire souterraine de ceux qui savent écouter autrement.

Et c’est peut-être cela, le vrai souffle du dragon. Non pas la flamboyance d’un succès immédiat, mais l’incandescence lente de ce qui dure. Une trajectoire qui ne cherche pas à convaincre mais à toucher. Une œuvre qui n’a jamais eu besoin de crier son nom pour exister. Et qui, cinquante ans après ses premiers accords, continue de faire vibrer un air où se mêlent fraternité, pudeur, beauté et liberté.

Sources

Ressources