Retour sur les concerts au New Morning

Essais

L'année 1988 marque les 40 ans de la déclaration universelle des droits de l'homme. C'est l'occasion pour Amnesty International d'organiser une série de concerts à travers le globe. Baptisée "Human Rights now!", la tournée parcourt 19 villes, 15 pays et rassemble des millions de téléspectateurs lors de sa retranscription télévisée. Un événement soutenu par Sting, Peter Gabriel et Bruce Springsteen et qui va inciter une génération entière à militer et à rejoindre l'organisation qui promeut la défense des droits de l'Homme et agit en faveur des opprimés, des prisonniers politiques ou des réfugiés fuyant la guerre.

A l'époque, Michel Berger se déclare impressionné par "la pression du rock face à la politique et content de voir que les artistes ont la force de véhiculer des choses auprès de leur public".

En France, les artistes se mobilisent aussi. Le 11 décembre 1988 au Zénith de Paris, Jean-Jacques Goldman consacre une date de sa tournée "Entre Gris Clair et Gris foncé" au profit d'Amnesty et convie Véronique Sanson (que Jean-Jacques accompagne sur "Bahia" et "Ma révérence") ainsi que Jacques Higelin (qui chante "Tête en l'air" et "Un aviateur dans l'ascenseur"). Cette même année, Jean-Jacques accepte aussi que l'organisation édite une version limitée de "Comme toi" sous le format d'un 45 tours souple.

Six ans plus tard, en 1994 Amnesty International sollicite à nouveau Jean-Jacques Goldman. La filiale française de l'association constate son engagement aux Restos du Cœur et souhaite organiser de façon annuelle un gala caritatif sous la forme d'un concert. C'est la première édition de "Musique contre l'oubli". La soirée est prévue le 10 juin 1994 au Zénith de Paris. Johnny Clegg, FFF, Angélique Kidjo et Jean-Louis Aubert ont prévu de participer.

Mais pour Jean-Jacques, la tournée Rouge est déjà planifiée et le 10 juin, Fredericks-Goldman-Jones joue à Grenoble. Cette année 1994 est chargée pour Jean Jacques puisqu'en plus de la quatrième soirée des Enfoirés et de la seconde tournée avec Carole et Michael, il compose pour Céline Dion. Les chansons de l'album "D'eux" lui sont présentées en septembre et l'album enregistré en novembre / décembre.

Jean-Jacques propose alors à Amnesty une collaboration mais sous une autre formule. Avant chaque tournée, Jean-Jacques et ses musiciens ont pris l'habitude de rôder le show devant des proches ou un public restreint. Il suggère alors de lier l'utile au caritatif en organisant quatre concerts dont les bénéfices seront reversés à l'organisation. Reste à trouver un lieu mais il y a fort à parier que Jean-Jacques savait déjà où organiser ça lorsqu'il soumet l'idée.

Depuis une dizaine d'années à Paris, il est un club de Jazz dont la réputation n'est plus à faire. Un club d'environ 500 places à l'acoustique impeccable et qui verra défiler les plus grands artistes jazz / blues / soul comme Chet Baker, BB King, Nina Simone, Maceo Parker, Eric Johnson ou Taj Mahl (le frère de Carole Fredericks). Ce club, c'est le New Morning. Créé en 1976 à Genève par Daniel et Alain Fahri, deux musiciens et passionnés de Jazz, le New Morning s'exporte à Paris au début des années 80 et la salle devient très vite une adresse incontournable. Pour l'International Herald Tribune, "le New Morning est l'un des rares clubs de jazz au monde où les musiciens qui généralement évitent les clubs, ont envie de jouer".

En dehors du jazz, Prince y fera une apparition en 1987. Le 22 juin 1992, c'est Michel Berger et France Gall qui y présentent leur album commun "Double Jeu" devant un parterre de proches et de célébrités. Et c'est donc cette salle que choisit Jean-Jacques pour jouer fin avril. Quelques semaines avant, l'émission "Le Plein de Super" s'y installe pour filmer un jam Goldman / Bertignac / Jones sur "Vas-y Guitare" (accompagnés de Philippe Grandvoinet, Claude Le Péron, et Sangoma Everett à la batterie).

La série de 4 concerts est planifiée du mardi 26 au vendredi 29 avril 1994. Ils seront l'ultime répétition avant de prendre la route pour Lille où aura lieu 5 jours plus tard, le 04 mai la première date des 61 concerts de la tournée Rouge.

Il est prévu un set en deux parties. Un premier intime et acoustique et un deuxième électrique faisant la part belle aux nouveaux morceaux.

Jean-Jacques et ses musiciens sont habitués aux séances acoustiques. En février 1993, l'émission "Concert d'un soir" diffusée sur RTL proposait déjà un show acoustique dont la setlist du New Morning s'inspire. Pour des artistes habitués aux grandes salles, retrouver des spectateurs dans des salles plus modestes leur permet de renouer avec leurs premières expériences de scène. Jean-Jacques déclare : "On a retrouvé des sensations à cette occasion-là qui nous ont bien fait plaisir puisqu'on avait un peu oublié le temps où on faisait des clubs, des bals, des choses comme ça."

Les 4 concerts se déroulent sous une ambiance conviviale et bon enfant. Le groupe prend plaisir à jouer, ça se voit, ça se sent et ça s'entend. Les quatre shows sont identiques en tout point, même le sketch hilarant de la crème hydratante faussement improvisé est le même de soir en soir. Comme c'est souvent le cas, Jean-Jacques ouvre seul avec "Veiller tard" dont les paroles et le fameux piano électrique plongent l'auditoire dans une ambiance Piano Bar. Puis suivent des morceaux qui n'étaient plus joués sur scène depuis 10 ans ("Jeanine Médicament blues", "P'tit Blues Peinard", "Quelque chose de bizarre") et plusieurs surprises ("Confidentiel", "Il y a"). Le trio qui nous a habitués sur la précédente tournée à des harmonies vocales magnifiques sublime des titres comme "Pas toi" et "C'est pas d'l'amour".

Au bout d'une heure, le groupe branche les guitares électriques. Cette partie reprend une dizaine de titres que le public aura le plaisir d'entendre lors de la future tournée à une différence près, les chœurs de l'Ex-Armée rouge ne sont pas présents. C'est donc une des rares fois où la chanson "Rouge" est jouée sans la troupe Russe. Logiquement les nombreux effets visuels qui accompagnent la tournée sont absents mais ils sont compensés par la proximité des artistes avec le public. Après deux heures de concert et "Il suffira d'un signe", le groupe conclut sur trois reprises de standards Rhythm And Blues américain. Le morceau "Think" d'Aretha Franklin (la chanson qui a bouleversé la vie de Jean-Jacques), "Knock On Wood" d'Eddie Floyd et "Tobacco Road" de John D. Loudermilk. Ils sont rejoints par Beckie Bell alias Rebecca Padovani et Yvonne Jones, deux choristes très en vogue à l'époque et proches de Carole Fredericks.

De ces 4 concerts, il reste pour les spectateurs présents un souvenir magique de complicité et pour le public un double album live incroyable sorti en mai 1995 "Du New Morning au Zénith" qui reprend le concept hybride acoustique / électrique et dont le premier disque retrace les shows donnés dans le club Parisien. Une captation vidéo figurera dans le coffret double VHS "Tours et détours" réédité plus tard en DVD. Le double album rempli à ras bord (2h30 de musique) est très bien accueilli par un public qui a pu regretter les deux live incomplets précédents ("Sur Scène" et "Traces"). Il se vendra à plus de 600 000 exemplaires et la promotion en radio sera assurée par la reprise de "Pas toi" à trois voix et "Think".

L'expérience intimiste de ces quatre concerts va enthousiasmer toute l'équipe au point qu'elle leur donne l'envie de reproduire l'exercice et d'aller plus loin encore. En résulte "La tournée des campagnes" qui eut lieu du 18 mai au 07 juin 1995 quelques mois après la fin de la tournée Rouge ainsi qu'un deuxième "Concert d'un soir" sur RTL le 10 juin. "On s'est dit que ça serait bien de refaire une petite tournée comme ça, pour le plaisir, une tournée de petites salles. Et puis après, on s'est dit que, quitte à faire des petites salles, autant aller dans des endroits où on ne va jamais. C'est vraiment pour le plaisir", déclare Jean-Jacques. Cette fois-ci, contrairement au New-Morning, le groupe sera accompagné des Chœurs de l'ex-Armée Rouge.