C'est ta chance
Exégèses
A l'hiver 1988, Entre gris clair et gris foncé truste les premières places des ventes d'albums. Le double vinyle sorti le 5 novembre 1987 s'est retrouvé sous bon nombre de sapins à Noël, aidé par l'incroyable succès des 45 tours "Là-bas" et "Elle a fait un bébé toute seule". La promotion de l'album bat son plein et de toutes les chansons qui préfigurent un troisième single, le choix se porte sur "C'est ta chance", un morceau pop enjoué et optimiste. Contrairement aux deux précédents singles, le thème et la structure musicale ne dépayse pas le public. Jean-Jacques déclare à ce sujet, "Je trouve que c'est le titre qui ressemble le plus à ce que j'ai fait avant. A la limite, c'est presque une caricature. Moi, j'aime bien le texte."
Animée par un piano et une ambiance feel good californienne, la chanson explore des thèmes souvent abordés par l'auteur : l'accomplissement personnel, le dépassement de soi et la réalisation de ses rêves. Ces sujets reviennent dans ses textes mais toujours sous un angle différent. ("Américain", "A quoi tu sers", "Au bout de mes rêves", "Envole-moi", "Encore un matin").
Dans "C'est ta chance", Jean-Jacques place le handicap au centre des paroles. Dans la première partie de la chanson, il va s'adresser directement à une jeune fille qui n'est pas née sous une bonne étoile et que le destin et la nature n'ont pas épargnés ("Rien ne sera jamais facile" [...] "Tu n'es pas née jolie" [...] "Il y aura des moments maudits"). En choisissant le tutoiement, exercice qu'il utilise peu, Jean-Jacques participe à rendre le discours tendre et familier. Tel un grand frère protecteur, il va conseiller, "Il faudra que tu sois douce, Il faudra que tu apprennes, il faudra que tu le deviennes" avant de faire rimer dans le refrain trois mots qui pourraient résumer à eux seuls la chanson : "naissance", "souffrance" et "chance". Interrogé par Graffiti en 1987, il déclare qu'il considère que "les handicaps sont aussi des chances".
Dans la deuxième partie de la chanson, un autre aspect est abordé, celui de la différence. Une thématique chère à Jean-Jacques qui s'est très souvent servi des contrastes entre les personnes pour écrire ses paroles.
On pourrait citer la différence de chemin de vie ("Là-bas"), la différence de sentiments ("Pas toi"), la ressemblance dans la différence ("Frères"), la peur de la différence ("Peurs") et, bien sûr, "Je te donne" où il mettait en avant les différences culturelles dans sa relation d'amitié avec le Gallois Michael Jones pour en faire ressortir le meilleur.
Ici, à travers un deuxième personnage, masculin cette fois, il va aborder la différence sociale ("pas de privilège hérité"), religieuse ("t'es pas très catholique") et physique ("t'as une drôle de peau"), et, là encore, toujours avec ce discours positif, en faire un atout et le moteur de l’ambition ("Tout seul, apprends à fonctionner").
Cette chanson a résonné très fort en moi. (...) Tu vas être obligé de faire un truc de ouf pour que ça se passe. Omar Sy
Des paroles qui vont retentir chez certains puisqu'en 2018, l'acteur Omar Sy confie dans un reportage baptisé "Omar Sy, C'est ta chance" que cette chanson l'a influencé et lui a donné la force de se surpasser. Il déclare, "J'ai grandi dans les années 1980. Goldman, tu ne pouvais pas l'éviter. Cette chanson a résonné très fort en moi. [...] J'entends qu'il dit 'Toi t'es pas très catholique et t'as une drôle de peau', et à un moment donné je me dis qu'il me parle. Il me dit t'as pas la bonne couleur, t'as pas la bonne religion, t'es pas au bon endroit, on te dit que t'as pas de chance mais en fait, c'est ça ta chance, parce que tu vas être obligé de faire un truc de ouf pour que ça se passe."
Sorti en mars 1988, le single ne décolle pas. Il atteint difficilement la 16ème place du top 50 et s'écoule à environ 200'000 ventes. Il faut rappeler qu'à cette époque, la vente de 45 tours est en grande forme.
A titre de comparaison, "Là-bas" s'est vendu 600'000 exemplaires et "Je marche seul" à 700'000. A ce moment-là, sur la scène française, la chanson est en concurrence avec "N'importe quoi" de Florent Pagny, "Ainsi sois-je" de Mylène Farmer et "Évidemment" de France Gall. Trois chansons phares et qui sont restées ancrées dans le patrimoine musical francophone. Face aux ventes en-deçà des espérances, la maison de disques s'empresse de remplacer le titre par un quatrième extrait issu de l'album : "Puisque tu pars", qui sera un des plus gros succès de la carrière de Jean-Jacques. Un succès en demi-teinte, donc, et une leçon, puisque suivra une décennie de singles promotionnels tous plus différents les uns des autres et qui trancheront avec ce que Jean-Jacques proposait en début de carrière ("Nuit", "A nos actes manqués", "Un, deux, trois", "Rouge", "Sache que je...").
"C'est ta chance" fut pourtant portée par un clip largement diffusé notamment dans l'émission "Boulevard des clips" sur la chaîne M6. Cette émission, réponse française à l'institution qu'est devenue MTV dans le domaine de la rotation de clips, est alors à son apogée.
Depuis quelques années, ceux de Jean-Jacques sont scénarisés et travaillés. Réalisé sous la forme d'un dessin animé, il reprend le script du rêve américain, cette idée selon laquelle n'importe quelle personne partant de rien peut réussir grâce à son travail, sa persévérance et sa détermination. On y suit ainsi le parcours d'une jeune fille qui à force de travail, de volonté et de courage, voit ses rêves se réaliser jusqu'à devenir une chanteuse reconnue. Détail insolite et sûrement réfléchi, le dessin de la jeune fille, son parcours et la scène du métro font directement penser à Sirima.
Sur scène, la chanson n'est chantée que lors de la tournée 1988 / 1989 et une seule version live est disponible sur l'album "Traces".