Confidentiel

Exégèses

En 1985, Jean-Jacques Goldman dévoile "Non Homologué", un album marquant qui solidifie son statut d’auteur-compositeur incontournable de la scène française. Si des titres comme "Je marche seul", "Je te donne" et "Pas toi" dominent rapidement les ondes, une chanson plus discrète s’installe en clôture de l’album : "Confidentiel". Avec sa durée modeste (2 minutes 36) et sa simplicité musicale, ce morceau contraste avec le reste de l’album.

Goldman lui-même reconnaît le caractère atypique de "Confidentiel", la décrivant comme une chanson "qui ne va pas vers les gens, mais vers laquelle les gens doivent aller" (01). Cette œuvre intimiste a pourtant marqué les esprits, en partie à cause d’une interprétation poignante lors de l’émission Champs-Elysées en janvier 1986, quelques jours après la disparition tragique de Daniel Balavoine.

Bien qu’écrite avant ce drame, la chanson s’est chargée d’une double lecture : une évocation de la séparation amoureuse, mais aussi un hommage indirect à ceux qui partent.

Un titre intimiste et atypique dans l’œuvre de Jean-Jacques Goldman

Sur "Non Homologué", "Confidentiel" occupe une position finale, presque discrète. Contrairement à la plupart des autres morceaux, plus rythmés et accessibles, cette chanson se distingue par son dépouillement. Pour Jean-Jacques Goldman, "C’était une chanson qui ne pouvait pas sortir en 45 T (…) Je savais que c’était le point sensible de cet album, comme 'Veiller tard' ou 'Tu manques'." (02)

Placée tout à la fin de l’album, elle agit comme un épilogue, une conclusion douce et mélancolique. Elle invite à la réflexion et offre une respiration après les morceaux plus intenses qui précèdent. Elle figure toutefois en face B du 45 T de “Je te donne”, ce qui témoigne de l’attachement de JJG pour ce titre.

Une œuvre qui demande un effort d’écoute

Goldman décrit souvent "Confidentiel" comme une chanson "personnelle" (03). Il insiste sur le fait qu’elle ne cherche pas à séduire immédiatement, mais à créer une connexion intime avec ceux qui prennent le temps de l’écouter. Cette approche contraste avec des titres plus "évidents", comme "Je te donne", conçus pour toucher un large public dès la première écoute.

Un minimalisme musical au service de l’émotion

Musicalement, "Confidentiel" repose sur une structure sobre : une guitare acoustique en fond, une mélodie douce, et une interprétation vocale presque murmurée. Cette économie d’effets amplifie l’émotion du texte, laissant chaque mot résonner pleinement. Goldman se concentre sur l’essentiel, renforçant l’intimité du morceau.

Confidentiel, un hommage à Daniel Balavoine ?

Un soir, dans leur poste de télévision branché sur Antenne 2, les téléspectateurs de Champs-Elysées assistent à une scène à la fois sobre et émouvante. Assis sur un tabouret, jean bleu, chemise blanche, cravate noire et perfecto en cuir, Jean-Jacques Goldman chante "Confidentiel". Ses yeux contemplent le sol, il semble pensif. Nous sommes le 18 janvier 1986. Daniel Balavoine nous a quittés quatre jours plus tôt. Lors du Paris-Dakar où il effectuait une mission humanitaire, l’accident d’hélicoptère tua également la journaliste Nathalie Odent, le pilote François-Xavier Bagnoud, le technicien radio de RTL Jean-Paul Le Fur et Thierry Sabine, le fondateur du rallye.

La rencontre entre les deux chanteurs datait seulement de l’année précédente et avait été provoquée par Monique Le Marcis, directrice de la programmation musicale de RTL de l’époque. Elle les avait conviés ainsi que France Gall et Michel Berger à Londres. Le 13 juillet 1985, au stade de Wembley, se tenait le concert du Live Aid destiné à récolter des fonds pour combattre la famine en Ethiopie. Au programme, dix heures de concert non-stop et défilé de légendes : Paul McCartney, U2, David Bowie, Queen, Elvis Costello, Elton John… À l’issue de ce séjour, Daniel et Jean-Jacques se re-croisèrent à la Courneuve pour chanter "Je marche seul" en duo. Ils planifiaient de se retrouver, au retour de Balavoine, après le rallye automobile. Le rendez-vous n’aura jamais lieu.

Le lendemain de l’accident mortel, Jean-Jacques Goldman réagit sur RTL : "Je crois que l’une des caractéristiques de Daniel, c’est que c’était un type qui avait des projets extrêmement ambitieux, c’était un des chanteurs qui avaient le plus l’envie et les capacités de réussir des choses que personne n’avait encore réussies. Peut-être que les gens ne le savent pas bien, mais cette année était une année où il allait tenter des choses qui n’avaient jamais été tentées. Ce qui était particulier chez lui, c’est à quel point ses chansons étaient personnelles, à quel point il se gourait ou il avait raison avec personnalité. Ses chansons, il n’y avait pas de panneau indicatif "attention, chanson à texte", avec la guitare sèche la barbe, le col roulé, mais quand vous entendez les mots, on sent que ce sont des chansons engagées. Ce sont des chansons qui parlent de quelque chose. Toutes. Écoutez "L’Aziza". Toutes ces chansons-là sont des chansons engagées. Les journalistes et les médias ne le savent pas, mais en tout cas le public le sait. En tout cas, ceux qui l’aimaient le savent." (04) À ses côtés, Michel Berger loue quelqu’un qui "avait la pêche" et "donnait de la force aux autres" et n’oublie pas sa "provocation constructive". (04)

Sur le plateau de Michel Drucker, Jean-Jacques prévoyait initialement d’interpréter "Je te donne" en duo avec Michael Jones. "Je n'avais plus envie de chanter cette chanson gaie. Ils ont très bien compris. Nous avons convenu de simplement chanter 'Confidentiel' en fin d'émission." (05)

Ce soir-là, le morceau qui clôt "Non Homologué" prend une saveur différente :

On voulait simplement te dire
Que ton visage et ton sourire
Resteront près de nous, sur nos chemins

Te dire que c'était pour de vrai
Tout c'que t'as dit, tout c'que t'as fait
Qu'c'était pas pour de faux, que c'était bien

Faut surtout jamais regretter
Même si ça fait mal, c'est gagné
Tous ces moments, tous ces mêmes matins

Faut pas nous dire qu'faut pas pleurer
Y'a vraiment pas d'quoi s'en priver
Et tout c'qu'on n'a pas loupé, le valait bien

Peut-être on se retrouvera
Peut-être que, peut-être pas
Mais sache qu'ici-bas, tu restes là

Tu resteras comme une lumière
Qui tiendra chaud dans nos hivers
Un petit feu de toi qui s'éteint pas

Ces mots deviennent un dernier au revoir à un ami et l’intention de Jean-Jacques plonge le morceau dans une tristesse touchante. "J’ai changé quelques mots pour que le texte corresponde à la situation." (06)

Cette performance a marqué les esprits et associé durablement "Confidentiel" à l’idée de deuil. Pourtant, comme le rappelle Goldman : "Beaucoup de gens m’ont demandé si cette chanson avait été écrite pour un disparu. Ce n’est pas le cas." (07)

"Confidentiel" n'a pas été écrite pour Daniel Balavoine. Elle figure sur l'album "Non Homologué" qui est sorti quatre mois avant la tragique disparition de l’interprète de "L’Aziza". Les rumeurs sont tenaces cependant. L'hommage à Daniel Balavoine a tellement marqué les esprits qu'on a fini par croire qu'à l'instar de "Dormir debout" (Francis Cabrel) ou "Évidemment" (France Gall), "Confidentiel" serait une chanson sur l'amitié entre Jean-Jacques et Daniel.

D’ailleurs, "Confidentiel" clôturait les concerts de Goldman sur la tournée “Deuxième visite”, concerts auxquels Daniel Balavoine avait assisté. “Confidentiel” permettait ainsi à l’artiste de dire au revoir à son public, sur une note mélancolique et positive, tout comme "Puisque tu pars" qui lui succèdera sur les tournées suivantes.

Rupture amoureuse ou hommage à un défunt ?

Goldman a toujours été clair : "Confidentiel" est une chanson sur une "séparation amoureuse." (08) Loin des clichés de la douleur déchirante ou de la colère, il évoque ici une "rupture positive" (09), apaisée, presque bienveillante :

Faut surtout jamais regretter. / Même si ça fait mal, c’est gagné.

Cette vision rare dans la chanson française transforme une expérience souvent perçue comme négative en un moment de croissance et d’apprentissage. La rupture n’est pas un échec, mais une étape de la vie, marquée par la gratitude pour ce qui a été partagé.

Une chanson ouverte à de multiples interprétations

La force de "Confidentiel" réside dans sa capacité à s’adapter aux expériences de chacun. Que ce soit une séparation amoureuse, une amitié brisée ou le décès d’un proche, le texte offre une base suffisamment générale pour que chaque auditeur puisse y projeter sa propre histoire :

"Ça restera comme une lumière / Qui m’tiendra chaud dans mes hivers."

Transformer la douleur en lumière

Jean-Jacques Goldman ne se contente pas d’évoquer la douleur d’une séparation ; il lui donne un sens. Le souvenir devient une source de réconfort et de force, comme un "petit feu" qui ne s’éteint jamais. Cette approche contraste avec d’autres chansons de rupture plus sombres dans son répertoire, comme "Pas toi".

Un message universel d’acceptation

L’un des aspects les plus marquants de "Confidentiel" est son invitation à accepter la douleur comme une part inévitable de la vie. "[Il ne faut] pas avoir peur de la peine, ne pas avoir peur du désespoir, des souffrances. Ça fait partie de notre condition." (10)

En parlant de l’absence, de la séparation et de la mémoire, "Confidentiel" touche à des émotions universelles. Que l’on soit jeune ou vieux, riche ou pauvre, ces thèmes résonnent avec chacun : "Tout le monde, à un moment, souffre de l’absence de quelqu’un." (11)

"Confidentiel" illustre parfaitement la capacité de Jean-Jacques Goldman à écrire des chansons intemporelles, à la fois profondément personnelles et universelles. Par sa simplicité, son honnêteté et son émotion brute, elle continue de toucher des générations d’auditeurs, leur offrant un espace pour réfléchir à leurs propres expériences de séparation et de souvenir.

Plus qu’une chanson, "Confidentiel" est une leçon de résilience, un rappel que même les moments les plus douloureux peuvent être porteurs de lumière. En transformant la séparation en un hommage à ce qui a été partagé, Goldman nous offre un message d’espoir d’une rare intensité.

Sources