Il me dit que je suis belle

Exégèses

C'est en 1987 que la France fait la connaissance de Patricia Kaas, une jeune chanteuse originaire de Forbach en Lorraine et qui du haut de ses 21 ans envoûte de sa voix puissante, suave et sensuelle.

C’est après quelques années à chanter dans le cabaret Rumpelkammer, qu’elle est remarquée par l’auteur compositeur François Bernheim qui lui présente Didier Barbelivien. Celui-ci, séduit par le timbre bluesy de Patricia, lui propose la chanson "Mademoiselle Chante le blues", écrite quelques années plus tôt pour Nicoletta qui l’avait refusée.

Le titre remporte un tel succès que le duo s'attelle à l'écriture d'un album entier prévu pour l'année suivante. L’album "Mademoiselle chante…" sort en novembre 1988 et rencontre un succès public et critique immédiat. Il sera pour Patricia l'occasion de décrocher la Victoire de la musique de la révélation de l'année grâce aux tubes "D'Allemagne", "Mon mec à moi" ou "Elle voulait jouer cabaret".

Dès lors, la collaboration entre Didier Barbelivien et Patricia Kaas va se poursuivre quelques années. Barbelivien dira : "C'est une fille ordinaire qui trouve sa véritable dimension à travers son métier. En cela je la compare à un Goldman, à des gens très en retrait à la ville et bouleversants à la scène".

Le 9 janvier 1992, Jean-Jacques Goldman organise le deuxième spectacle des Enfoirés. Loin des shows qui auront lieu dans les plus grandes salles de France les années suivantes, ce concert est enregistré à l'opéra Garnier et se compose d'une dizaine de personnalités pour un total de vingt chansons. Parmi les artistes qui répondent présents à l'invitation de Jean-Jacques se trouve Patricia Kaas. Ce soir-là, ils chantent en duo "Regarde les Riches" et "Je te promets".

Cette même année, elle travaille sur son troisième album. Cette fois-ci, Didier Barbelivien se fait moins présent et à la demande de Patricia qui souhaite élargir son horizon artistique, plusieurs auteurs compositeurs sont conviés (Charles Aznavour, Marc Lavoine). Patricia profite de leurs échanges aux Enfoirés pour solliciter ainsi Jean-Jacques qui accepte et y signe une chanson. Il déclare : "La reconnaissance d'être venue aux Restos du Cœur à l'Opéra, le personnage, sa demande qui correspondait à un désir d'évolution intéressant, et bien entendu, sa voix m'ont inspiré pour écrire pour Patricia." C'est le début de quelques collaborations réussies pour les deux artistes. Malgré le trio Fredericks - Goldman - Jones et le succès de sa carrière solo, la volonté de Jean-Jacques d'écrire pour d'autres est toujours présente. A cette époque, Jean-Jacques qui vient de terminer une tournée, n’a pas envie de recommencer tout de suite un nouvel album, il souhaite prendre quelques mois pour "travailler avec d'autres réalisateurs, d'autres studios, d'autres ingénieurs du son et prendre de la distance afin d’explorer d'autres opportunités". La demande de Patricia tombe à point nommé. Il se dit d’ailleurs "curieux d'assister au travail de Robin Millar sur le plan de la réalisation".

L'album baptisé "Je te dis vous" sort le 6 avril 1993. C'est est un album plus mature, plus féminin et plus sensuel. Il est enregistré à Londres avec le producteur Robin Millar connu pour avoir produit les premiers albums de Sade et le guitariste Chris Réa est même convié sur deux titres. Le succès est rapide et il se vend à plus de 2,5 millions d'exemplaires en quelques mois !

Pour cet album, Jean-Jacques lui présente la chanson "Il me dit que je suis belle". Un titre qu’il va signer sous le pseudonyme Sam Brewski, déjà utilisé pour Philippe Lavil et Christopher Thompson en 1992. Concernant l'utilisation d'un nom d’emprunt, Jean-Jacques s'explique dans l'émission Fréquenstar "Je savais que les médias étaient paresseux; j'avais une seule chanson dans l’album et je savais que si je mettais mon nom, les médias n'allaient parler que de ça parce que c'était plus facile de parler de ça que du contenu de cet album... Donc ce pseudonyme m'a permis de gagner les premiers six mois où ils ont parlé de Patricia Kaas, du travail qu'elle avait fait, des autres chansons, du fond de l'album et pas uniquement du côté anecdotique, c'est à dire qu'un chanteur à succès lui avait fait une chanson."

"Il me dit que je suis belle" est une ballade mid-tempo composée d’une première partie calme installant la voix sensible de Patricia et qui s'envole dans une deuxième partie vers un style plus pop rock.

Jean-Jacques offre à Patricia un texte triste et très féminin, sur un amour empreint de désillusion mais qu'une femme préfère embellir dans ses rêves ("Les nuits sont mes églises, Quand les vies ne sont plus qu'ombres, Restent nos rêves à inventer, Tous les mots doux, les coups de sang, dans mes rêves j'y ai droit").

"La chanson pour Patricia, c'est un aspect des femmes qui m'émeut beaucoup, la non-importance du vécu et du réel. Je suis beaucoup touché par ces femmes qui rêvent. Je ne dis pas qu'elles me plaisent forcément, mais ce sont des personnages qui me touchent, surtout le côté 'je vivrai plus tard'." dira-t-il.

Il se glisse ainsi dans la peau d'une jeune femme résignée ("Apprendre à tourner les yeux, Devant les gens qui s'aiment") qui affronte les déceptions, les défiances et les mensonges en réécrivant son histoire ("Plus de trahison, Mon scénario n'en veut pas") et attend ces heures sombres ou tout peut enfin s’allumer. Une femme qui garde malgré tout une forme de lucidité fragile ("Des mensonges et des bêtises, Qu'un enfant ne croirait pas, Pauvre de moi, j'y crois").

On retrouve des thèmes déjà abordés ou qui le seront dans d'autres chansons de Jean-Jacques. L'évasion par le rêve ("Fermer les yeux"), l'amour non partagé ("Tournent les violons", "Elle ne me voit pas") ou l’'attente ("Elle attend").

Comme il l'avait déjà fait pour Johnny Hallyday en 1986, comme il le fera plus tard pour Céline Dion, Jean-Jacques a observé, cerné, décrypté et offert à son interprète le texte qui lui sied le mieux. Il dira "Si j’ai fait "Une fille de l’Est" ou "Il me dit que je suis belle" pour Patricia, c’est parce que c’était elle, parce qu’elle est crédible dans ce qu’elle dit. C’est important aussi que l’autre soit crédible dans ce qu’il raconte. Je ne vais pas faire à Patricia Kaas une chanson qui parle de la politique au Sénégal."

La chanson va servir à la promotion de l'album puisqu’elle est le deuxième single après "Entrer dans la lumière" et devient l’un des tubes de l’été 1993. Elle rejoint très rapidement la liste des classiques de la chanteuse, ces chansons jouées sur chaque tournée et que le public attend.

Pour l’anecdote, Jean-Jacques qui n’avait pas été pleinement satisfait de l’enregistrement et des arrangements du titre sur l’album, demandera à ce que la chanson soit refaite pour la sortie en single et pour le clip. Il dit : "Je tenais à être là pour enregistrer la voix de Patricia, car je savais lesquelles de ses intonations me plaisaient ou non et ce que je voulais. Lorsque j'ai entendu leur play-back à Londres, ça ne m'a pas plu du tout, alors ils l'ont refait sans toutefois me satisfaire complètement... J'ai accepté cette version parce qu'elle s'inscrivait dans l'ambiance générale de l'album. Or, lorsqu’ils m'ont téléphoné pour sortir "Il me dit que je suis belle" en simple, j'ai refusé et demandé à le refaire complètement en studio à Paris, avec l'arrangement que j'avais en tête". On retrouve davantage dans cette deuxième version la patte de Jean-Jacques et la pochette du single porte ainsi la mention "version inédite".

Plus qu'une chanson réussie, c'est une réelle amitié qui naîtra de cette première collaboration. Patricia dira de Jean-Jacques : "Il me connaît par cœur. Dans ce métier, il est certainement mon unique ami, le seul que j'appelle pour déjeuner, sans raison. Je me confie beaucoup à lui, je lui demande conseil sur le plan professionnel, même s'il n'est pas impliqué".

Il n’est donc pas étonnant que cette rencontre ait pris la forme d’autres chansons magnifiques comme "Je voudrais la connaitre", "Les chansons commencent" ou "Une fille de l’Est".

En 2003, une reprise à 4 voix sera interprétée lors du spectacle "La foire des enfoirés". Pour l'occasion, vêtues de longues robes rouges et belles comme au cinéma, les chanteuses Julie Zenatti, Jenifer, Liane Foly et Natasha St-Pier harmoniseront leurs voix pour une reprise sublime.