Quelque chose de bizarre
Exégèses
Tous les chanteurs ont leur lot de chansons étranges, un peu à part, comme une parenthèse dans un processus créatif.
Il ne faudra pas attendre longtemps dans la carrière de Jean-Jacques Goldman avant d'entendre ce qui deviendra et restera sa composition la plus atypique.
En effet, Quelque chose de bizarre fait partie de la première bande de démo que Marc Lumbroso et Jean Mareska s'évertuent à placer auprès des maisons de disques en 1980.
Initialement intitulée "Bizarre, Bizarre", la chanson sera rebaptisée lors de la sortie de l'album Démodé.
Sur des paroles frôlant le conte fantastique, Jean-Jacques nous embarque, comme des spectateurs, dans un cauchemar qu'on pourrait croire directement inspiré des nouvelles d'Edgar Allan Poe.
Tous les codes sont là. Une ambiance malsaine et pesante comme la chaleur, un endroit isolé, des personnages étranges puis la brume, la solitude, la forêt, des chants, une cachette, un trou noir, un maître et ses disciples.
Mais alors de quoi ça parle et qu'est ce qui a bien pu inspirer Jean-Jacques pour écrire ces paroles ? La chanson a longtemps fait parler sur les forums et les listes de discussion.
Chacun y allant de son interprétation. Secte ? Evocation de la guerre et du nazisme ? Délire mystique ? Le trou noir représente-t-il sa propre tombe ou la page blanche crainte des auteurs ?
Le silence de Jean-Jacques et l'absence d'explications contribuant au folklore. On sait tout au plus que le samedi 17 novembre au soir était la date de naissance de son père.
Pour le reste, on ne peut que spéculer... Alors spéculons et ouvrons un dictionnaire des rêves :
- La gare représente un point de départ vers les villes lointaines.
- La forêt et la brume symbolisent le besoin de se cacher mais aussi un changement et une transition.
- La cachette semble signifier que l'on souhaite éviter certaines choses ainsi qu'un besoin de solitude.
- La foule signifie qu'on se laissera porter par le destin.
- Enfin le trou au sol démontre un besoin de sortir de sa cachette pour d'élargir ses horizons
Si l'on part de l'idée que cette chanson a été écrite suite à un rêve à la fin des années 70, l'inconscient de JJG aurait-il perçu ce qu'il arriverait quelques années plus tard avec le succès, le changement de vie professionnelle, les voyages...
Le psychanalyste Saverio Tomasella décrit l’inconscient comme tout ce qui nous gêne et que nous refoulons, enfouissons, mais également l’infini trésor de notre potentiel.
Quand on connaît l'angoisse de Jean-Jacques lors de ces premières représentations, on pourrait également imaginer cette chanson et le personnage "spectateur caché" comme une métaphore de sa peur de monter sur scène ?
A moins que la foule chantant et rassemblée ne représente son futur public, les mains tendues vers un maître (JJG lui-même) ?
Soulignons que "Quelque chose de bizarre" restera une des rares chansons de JJG ou il se met à la place d'un personnage pour raconter une histoire inventée de toutes pièces. On en compte une poignée tout au plus (Le coureur, Le rapt, Là-bas).
Après "Il suffira d'un signe", la chanson sera choisie par la maison de disque comme deuxième extrait de l'album "Démodé" et contre toute attente ne rencontrera pas son public.
Surement jugée trop étrange, pas assez rock et en match direct avec la flopée de hits qui abondent cette année là, la chanson ne s'imposera pas.
Il faut dire que la concurrence est rude en 1982. La jeunesse découvre Indochine et son aventurier Bob Morane, Balavoine veut "Vivre ou survivre", la France entière chante "Chacun fait c'qu'il lui plait" et Sardou nous emmène aux "Lacs du Connemara". Côté anglophone, c'est le sacre de Kim Wilde et de Dire Straits. Phil Collins continue avec succès sa carrière Solo et Michael Jackson sort Thriller qui deviendra très vite l'album le plus vendu de tous les temps.
Il faudra attendre "Quand la musique est bonne" quelques mois plus tard pour voir JJG flirter avec le top des ventes.
"Quelque chose de bizarre", tel un single maudit, sera d'ailleurs le seul à ne pas figurer sur la compilation "Singulier".
La chanson sera jouée plusieurs fois sur scène, tout d'abord lors de la tournée Positif Tour en 1984 mais également lors des quatre concerts au New Morning en 1994.
L'excellent album "Du New Morning au Zenith" nous offrira de la seule version live officielle de ce morceau, interprétée dans un style plus folk et décontracté.
Frédéric Bretonès 26 juin 2020