Pas l'indifférence
Exégèses
Une chanson-manifeste
L’indifférence. Ce mot glisse entre les doigts comme une absence. Un vide sournois, plus cruel que la haine, plus glaçant que le rejet. C’est une porte close, un silence qui ne dit rien, un regard qui traverse sans voir. C’est l’oubli avant même d’avoir existé.
Jean-Jacques Goldman a toujours chanté l’humain dans toute sa complexité : ses doutes, ses élans, ses blessures et ses espoirs. Mais avec "Pas l’indifférence", il touche à l’un des maux les plus insidieux, l’oubli de soi dans le regard de l’autre. Cette chanson est un cri. Un cri du cœur, un cri du corps, un cri d’urgence contre ce qui érode, ce qui annihile. "Tout mais pas l’indifférence", supplie-t-il, comme si tout – absolument tout – valait mieux que cette dissolution silencieuse.
Goldman n’a jamais été un chanteur engagé au sens militant du terme. Pas de slogans, pas d’idéologie tranchée, pas de dogmes. Son engagement est ailleurs, plus intime, plus viscéral. Il ne s’agit pas de prendre parti, mais de donner voix à l’indicible, d’exprimer ce que chacun a ressenti un jour, sans toujours trouver les mots. "L’indifférence est une maladie et elle n’arrive jamais par hasard", dira-t-il bien plus tard. (01) Une mutilation de l’âme. Une blessure qui ne saigne pas, mais qui ronge.
Lorsque son premier album sort en septembre 1981, il passe presque inaperçu. Un disque d’un autre temps, à contre-courant des tendances new wave qui dominent alors la scène musicale. Il voulait d'ailleurs l'appeler "Démodé". Le service Marketing d'Epic, son label, a refusé. Dans cet album au départ confidentiel se cache déjà l’ADN de son œuvre future, une écriture où l’émotion prime sur l’esbroufe, où la sincérité se moque des modes. Parmi ces titres, "Pas l’indifférence".
Longtemps restée en retrait face aux succès radiophoniques comme "Il suffira d’un signe", cette chanson n’en devient pas moins l’un des piliers de son répertoire, une œuvre charnière, essentielle. Elle fait partie de ces morceaux qui n’ont pas besoin d’être des tubes pour exister. Ceux qui résonnent dans les cœurs, qui s’installent dans l’intime, qui trouvent un écho dans chaque être en quête de sens, de présence, de reconnaissance.
Goldman ne demande pas la lumière, il refuse l’ombre. Il ne réclame pas l’amour, mais le droit d’exister, d’être vu, d’être senti. Car l’indifférence, c’est la mort avant la mort.
"Je donnerais dix années pour un regard." Cette phrase claque comme un serment, comme une folie. Un regard vaut-il dix ans de vie ? Goldman ne pose pas la question. Il l’affirme.
Cette chanson, c’est un pacte. Une déclaration de guerre à l’ennui, à l’aseptisation des sentiments, à ces jours qui se répètent sans relief. Un manifeste contre la fadeur existentielle, contre l’habitude qui endort, contre les âmes absentes qui sourient sans y croire.
Tout mais pas le temps qui meurt / Et les jours qui se ressemblent, sans saveur et sans couleur
On entre dans "Pas l’indifférence" comme on entrerait dans une pièce trop vide. Quelque chose manque. L’air y est dense, pesant. Il faut combler l’absence. Alors on crie. On revendique le droit de souffrir, de brûler, de vivre plutôt que de s’éteindre à petit feu.
C’est tout cela, "Pas l’indifférence". Une imploration. Une colère contenue. Un refus d’être un fantôme dans sa propre vie. Une chanson qui ne se contente pas de dénoncer. Une chanson qui supplie.
Goldman a mis des mots sur une douleur sourde, celle qui ne fait pas de bruit mais qui consume de l’intérieur. C’est peut-être pour cela qu’"Pas l’indifférence" est restée. Parce qu’elle dit ce que beaucoup n’osent pas dire. Parce qu’elle rappelle que l’existence ne se mesure pas en années, mais en intensité. Que vivre sans être vu, sans être senti, sans être aimé ou même haï, c’est peut-être ne jamais avoir vécu du tout.
Et si l’indifférence était le plus grand des crimes ?
Sommaire
Une chanson-manifeste
Un texte brûlant de vie : analyse thématique et poétique
L’acceptation du pire, mais pas du vide
Le regard de l’autre comme condition d’existence
Le contraste entre confort et aventure
L’aliénation sociale : l’absence derrière les apparences
Une chanson qui brûle, qui consume, qui interroge
Une mise en musique au service du texte
Un choix tonal qui évolue
Une progression musicale qui reflète l’urgence existentielle
Un lien fort avec l’univers scénique de Goldman
La quête de reconnaissance : une lecture psychologique
L’indifférence comme traumatisme affectif
Entre amour et haine : la nécessité d’un lien
Une soif existentielle d’intensité : mieux vaut souffrir que disparaître
Une chanson toujours d’actualité
Une chanson qui dialogue avec d’autres titres de Goldman
Sa place dans l’héritage de Goldman
Qu’en dirait Caroline Goldman ?
Les dégâts de l’indifférence parentale sur l’estime de soi
Indifférence active vs indifférence passive : un point clé en psychologie
Comment apprendre à se valider soi-même sans dépendre du regard de l’autre ?
Une réflexion qui rejoint finalement la question que pose Goldman sans y répondre : comment exister quand on est confronté à l’indifférence ?
Conclusion : tout mais pas l’oubli
Un texte brûlant de vie : analyse thématique et poétique
Il y a dans "Pas l’indifférence" une violence douce, une déflagration feutrée. Une imploration à laquelle on ne peut rester insensible. Pas tant une revendication qu’un serment : je préfère souffrir mille fois plutôt que d’être oublié, ignoré, fondu dans la masse anonyme des jours gris.
Jean-Jacques Goldman ne cherche pas à convaincre. Il énonce. Comme une vérité simple et inébranlable. Une évidence que seuls ceux qui ont frôlé l’indifférence, ceux qui ont ressenti cette brûlure glaciale de l’absence, peuvent comprendre.
L’acceptation du pire, mais pas du vide
J’accepterai la douleur / D’accord aussi pour la peur
C’est une déclaration radicale. Une mise à nu. Goldman négocie avec l’existence et accepte toutes ses conditions, même les plus rudes. La douleur, la peur, les larmes, le doute, l’incertitude. Tout sauf l’absence.
Pourquoi un tel choix ? Parce que la douleur, aussi insupportable soit-elle, prouve que l’on est vivant. On peut la combattre, la comprendre, la transcender. Elle laisse une trace. L’indifférence, elle, est un néant. Un gouffre sans fond. Une prison sans murs.
Cette idée résonne avec la pulsion de vie et la pulsion de mort de Freud. La douleur, aussi brutale soit-elle, appartient à la pulsion de vie (Éros) : elle implique un mouvement, un lien, une réaction. L’indifférence, elle, appartient à Thanatos, la pulsion de mort : elle n’offre rien, ni résistance, ni conflit, ni espoir. Juste un effacement progressif, une dissolution de l’être.
Goldman le sait. Il refuse de disparaître. Il refuse le silence et l’oubli. Il préfère hurler, pleurer, brûler plutôt que de s’éteindre à petit feu.
Le regard de l’autre comme condition d’existence
Je donnerais dix années pour un regard.
Dix ans d’une vie contre un instant d’humanité. Un marché insensé. Un pari démesuré. Et pourtant, qui peut affirmer ne jamais avoir ressenti ce besoin, ce vertige du vide lorsqu’il n’y a plus personne pour nous voir ?
Le regard n’est pas qu’un contact visuel. Il est une validation existentielle. Emmanuel Levinas, philosophe de l’altérité, en a fait l’un des piliers de sa pensée : nous existons à travers les autres, à travers leur regard posé sur nous. Le visage d’autrui n’est pas un simple objet, il est ce qui nous reconnaît et nous humanise.
Goldman ne demande pas de l’amour. Pas même de l’affection. Il demande un signe, une preuve qu’il existe aux yeux d’un autre. Ce regard qu’il mendie, qu’il implore, c’est l’essence même de la relation humaine. Sans lui, il n’y a plus d’histoire, plus de mémoire, plus de trace. Juste une absence, un oubli définitif.
C’est là que la chanson bascule de l’intime à l’universel. Car ce besoin de reconnaissance, ce vertige face à l’indifférence, c’est peut-être la plus grande peur de l’humanité.
Le contraste entre confort et aventure
Des châteaux, des palais pour un quai de gare / Un morceau d’aventure contre tous les conforts
Là où d’autres cherchent la stabilité, Goldman revendique le chaos. Là où d’autres bâtissent des murs, il choisit l’ouverture, l’inconnu, le départ.
"Je crois qu’il y a des valeurs dans l’existence qui ont plus d’importance que de bien gagner sa vie, avoir une maison, le nouveau compact disque et le magnétoscope à retour rapide." (02) Goldman n’a jamais cherché la stabilité matérielle comme une fin en soi. Pour lui, une vie réglée, organisée, sans passion, est une forme d’étouffement.
Le confort est-il un piège ? Une forme d’indifférence à soi-même ? Une anesthésie lente et insidieuse ? Goldman ne le dit pas explicitement, mais son rejet du luxe, des palais, des châteaux pour un simple quai de gare en dit long.
Le quai de gare, c’est le mouvement, la transition, l’attente d’un ailleurs. C’est la promesse d’une destination, d’un départ, d’une rencontre. C’est le lieu où tout peut arriver, où tout est encore possible.
Il ne s’agit pas d’un simple refus du matérialisme. Il s’agit d’un choix existentiel. L’argent, la sécurité, la certitude sont peut-être des remparts contre la douleur. Mais ils sont aussi des prisons, des murs qui empêchent le vertige du désir, de l’aventure, du risque.
Goldman choisit. Il choisit le frisson de l’inconnu à la tranquillité de l’habitude. Il choisit de vivre leinement, quitte à tout perdre.
L’aliénation sociale : l’absence derrière les apparences
Toutes ces âmes qui mentent et qui sourient comme on pleure.
La phrase est violente. Désabusée. Un constat glaçant sur un monde où l’on joue des rôles, où l’on maquille ses douleurs sous des sourires de façade.
L’indifférence n’est pas seulement un silence. Elle est aussi un mensonge collectif, une mascarade où l’on feint la joie, où l’on nie ses propres émotions pour coller aux attentes d’un monde qui ne veut pas voir.
Goldman ne se contente pas de parler d’un manque de lien affectif. Il parle d’une société qui travestit les émotions, qui transforme la douleur en politesse, le vide en faux éclats de rire.
Ici, la chanson entre en résonance avec le concept de "l’aliénation" selon Sartre. L’aliénation, c’est cette manière dont la société nous pousse à nous déconnecter de nous-mêmes, à renier nos désirs profonds, à accepter des rôles qui ne sont pas les nôtres.
"Sourire comme on pleure." L’oxymore est cruel. Il dit l’inversion des émotions, le décalage entre ce que l’on ressent et ce que l’on montre.
Mais Goldman ne juge pas. Il constate. Il montre l’absurde et laisse l’auditeur s’y confronter. Il nous oblige à nous demander : dans quelle mesure sommes-nous, nous aussi, prisonniers de cette mécanique sociale ? Si on pousse un cran plus loin, d'ailleurs, n'est-ce pas des quartiers, des banlieues, des villes entières, qu'on a laissé s'effondrer dans l'indifférence la plus totale ?
"Ces quartiers entiers où les mômes vont à l'école sans y croire, c'est cela aussi l'indifférence." (03) Goldman ne parle pas seulement d’une indifférence affective ou relationnelle. Il parle aussi d’une indifférence sociale, d’un système qui abandonne, qui laisse des générations entières se perdre sans leur offrir de perspectives. L’indifférence, c’est aussi ce monde qui ne regarde pas ses propres enfants, qui les laisse dériver, sans attente, sans espoir, sans avenir.
Une chanson qui brûle, qui consume, qui interroge
Pas l’indifférence
Ce n’est pas une demande. C’est une injonction. Un cri que l’on ne peut ignorer.
Goldman nous force à regarder en face ce que nous craignons le plus. La douleur, la peur, le doute, tout cela est acceptable. Mais le vide ?
L’absence totale d’émotion, de lien, de trace. L’indifférence qui ronge, qui efface, qui détruit sans même laisser de cicatrice.
Et si cette chanson n’était pas seulement une revendication ?
Et si elle était un test ?
Un moyen de nous pousser à nous demander : avons-nous déjà été indifférents ? À nous-mêmes, aux autres, à la vie ?
Avons-nous déjà laissé des jours sans couleur s’accumuler sans réagir ?
Goldman nous tend un miroir. Et ce que nous y voyons dépend non pas de lui, mais de nous.
Une mise en musique au service du texte
Les mots frappent, mais sans la musique, ils resteraient peut-être figés, comme gravés dans le marbre, immobiles. Ce que "Pas l’indifférence" nous fait ressentir ne tient pas seulement à la force des paroles, mais à cette mélodie qui respire avec elles, qui les porte et les incarne. La musique ici n’est pas un simple support, elle est une voix, une émotion brute qui dialogue avec chaque mot, chaque silence, chaque souffle.
Un choix tonal qui évolue
Goldman, au début, avait composé la chanson en ré mineur. (04) Mais il s’est vite rendu compte que cette tonalité, trop haute, trop tendue, risquait de trahir l’essence du morceau. Trop criard, trop forcé. Il fallait quelque chose de plus feutré, de plus organique. Il fallait que la douleur soit sourde, qu’elle se propage sans éclater.
Il abaisse alors la tonalité en la mineur. Un choix qui change tout. La mineur, c’est l’errance, c’est l’ombre, c’est la note de l’indicible. Un demi-ton de trop, et la chanson basculait dans l’excès, la théâtralité. Un demi-ton de moins, et elle risquait de perdre son souffle, de s’effacer.
Goldman ajuste. Il cherche l’équilibre parfait entre l’émotion brute et la retenue. Cette descente dans le grave, ce choix du mineur, amplifie le sentiment de mélancolie, d’urgence contenue, d’appel lancé dans le vide. La mineur, c’est une couleur qui ne console pas, qui n’adoucit pas. Elle creuse le manque.
L’effet est immédiat : la chanson ne hurle pas, elle ronge.
Une progression musicale qui reflète l’urgence existentielle
Dès les premières mesures, on sent qu’il y a quelque chose d’en suspens.
Les couplets sont dépouillés, sobres, comme si Goldman avançait à tâtons. Pas d’emphase, pas d’explosion. Juste une voix posée, presque résignée. Il n’y a pas encore de combat, juste une acceptation froide.
J’accepterai la douleur / D’accord aussi pour la peur
Ces premières notes sont comme un murmure. On dirait qu’il parle plus qu’il ne chante. Il constate. Il dresse un état des lieux de ce qu’il est prêt à supporter. La guitare l’accompagne sans ostentation. Quelques accords plaqués, rien de plus. On est dans l’attente.
Puis vient le refrain.
Et là, quelque chose bascule.
Tout mais pas l’indifférence / Tout mais pas le temps qui meurt
Les accords s’élargissent, la tension monte, la voix se fait plus appuyée, presque suppliante. Il ne s’agit plus de dresser une liste des douleurs acceptables. Il s’agit de refuser, de se débattre, de revendiquer.
C’est un cri. Mais pas un cri brutal, explosif. Un cri qui se retient à moitié, qui se brise sous son propre poids.
Et puis, la chanson redescend. Retour au murmure. Le cycle recommence.
On attend une résolution, une échappatoire. Mais il n’y en a pas.
La chanson ne se termine pas sur une réponse. Elle s’efface lentement, laissant derrière elle cette sensation d’inachevé, d’absence.
Comme un regard qui ne vient jamais.
Un lien fort avec l’univers scénique de Goldman
Sur scène, tout change.
Goldman l’a expérimenté dès ses premières tournées. Certaines chansons prennent une ampleur inattendue, d’autres se heurtent à des silences ou des respirations différentes. Et certaines, comme "Pas l’indifférence", deviennent presque trop grandes, trop denses, comme si elles faisaient vaciller l’équilibre du concert.
Lors de la tournée "En public" en 1986, la chanson est là, mais elle change de place plusieurs fois dans la setlist. C’est une anomalie chez Goldman, qui construit habituellement ses spectacles avec une précision de métronome. Pourquoi ce flottement ? Parce que ce moment, trop intense, semble étouffer les titres qui l’entourent.
Il y a des chansons qui se donnent sur scène. D’autres qui happent tout l’espace.
Goldman le comprend encore plus en 2002. Il hésite. Doit-il jouer "Pas l’indifférence" ? Ou bien "Leidenstadt" ?
Les deux titres sont des blocs émotionnels. Deux morceaux longs, denses, engagés, qui exigent du public un investissement total. Peut-on leur demander deux voyages aussi éprouvants dans la même soirée ?
Alors il tente une expérience.
Un soir, il joue "Pas l’indifférence". Un autre, il joue "Leidenstadt".
Et cette fois, c’est "Leidenstadt" qui l’emporte.
La chanson frappe plus fort, peut-être parce que Goldman reprend lui-même la partie autrefois chantée par Carole Fredericks ("Si j’étais née blanche et riche à Johannesburg…"). Peut-être parce que ce texte, qui confronte chacun à l’injustice de sa naissance, résonne immédiatement, universellement.
Alors "Pas l’indifférence" disparaît du spectacle.
Non pas parce qu’elle est moins puissante. Mais peut-être parce qu’elle est trop silencieuse.
Sur scène, on répond mieux aux cris qu’aux vertiges.
Or "Pas l’indifférence" n’est pas un cri.
C’est un miroir.
Un miroir dans lequel on se voit vaciller, espérer, réclamer quelque chose qui peut-être ne viendra jamais.
Et c’est précisément cela qui rend la chanson si bouleversante.
Elle ne console pas.
Elle ne résout rien.
Elle laisse simplement un creux, une attente, un besoin.
Comme une main tendue dans le vide.
La quête de reconnaissance : une lecture psychologique
Je donnerais dix années pour un regard
Ce n’est pas une exagération. Ce n’est pas une figure de style. C’est une vérité brutale. Une réalité viscérale.
Un regard, ce n’est pas seulement une paire d’yeux qui se posent sur vous. C’est l’évidence de votre existence. C’est l’autre qui vous reconnaît comme étant là, comme étant quelqu’un, comme étant vivant. Sans cela, que reste-t-il ?
Rien.
C’est peut-être là, au creux de cette absence, que se trouve le véritable drame de l’indifférence. Plus terrible que la haine, plus destructrice que la douleur, elle nie même la possibilité d’un lien.
Et ce lien, ce besoin d’être vu, reconnu, entendu, n’est pas qu’un caprice émotionnel. Il est ancré au plus profond de notre construction psychique, dans ces fondations invisibles qui, dès l’enfance, façonnent notre manière d’aimer, de souffrir, de chercher l’autre.
L’indifférence comme traumatisme affectif
J’accepterai la douleur / D’accord aussi pour la peur
Pourquoi ce choix ? Pourquoi Goldman préfère-t-il la souffrance à l’indifférence ?
Parce que la douleur laisse une trace. Parce qu’elle signifie au moins une chose : on a compté, ne serait-ce qu’un instant.
John Bowlby, fondateur de la théorie de l’attachement, a montré que le lien entre un enfant et ses figures parentales ne se construit pas sur la perfection, mais sur la réponse, sur la constance. Un enfant peut survivre à un parent colérique, à un parent maladroit, à un parent dépassé par ses émotions.
Mais il ne survit pas à l’indifférence.
L’indifférence parentale est une absence totale de réponse. Un vide affectif dans lequel l’enfant ne peut que se perdre. L’enfant apprend qu’il ne sert à rien de pleurer, qu’il ne sert à rien d’espérer. Il grandit avec l’idée qu’il n’existe pas vraiment.
Alice Miller, dans "Le drame de l’enfant doué", va encore plus loin : elle montre comment un manque de reconnaissance dans l’enfance crée des adultes en quête permanente d’approbation, de validation.
Je donnerais dix années pour un regard
Cette phrase résonne étrangement avec ces théories. Elle dit le besoin absolu d’être vu, d’être senti, d’être pris en compte. Même trop tard. Même pour un instant.
Car il vaut mieux une réponse tardive qu’aucune réponse du tout.
Entre amour et haine : la nécessité d’un lien
Si Goldman refuse l’indifférence, c’est qu’il sait qu’il n’y a pas d’équilibre entre tout et rien.
Il vaut mieux tout.
Même la douleur, même le rejet, même la haine.
Car la haine maintient un lien.
Lacan disait : "L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas, à quelqu’un qui n’en veut pas." Une phrase vertigineuse, qui traduit la complexité du désir humain, toujours en quête d’un autre qui ne comblera jamais totalement son manque.
Dans "Pas l’indifférence", cette idée est omniprésente. Goldman ne dit pas qu’il veut être aimé. Il veut être.
Même dans le conflit, même dans la discorde. Même dans le rejet.
Carl Gustav Jung, lui, parlait de "l’ombre", cette part de nous que nous refoulons, cette énergie sombre que nous n’osons pas voir. Il expliquait que la haine, même destructrice, est une force de connexion. Elle attache, elle lie. Elle dit que l’autre existe.
L’indifférence, elle, ne dit rien.
Elle laisse l’autre à lui-même. Elle ne le combat pas, ne le confronte pas. Elle le rend invisible.
Et cette invisibilité est une forme d’anéantissement.
Une soif existentielle d’intensité : mieux vaut souffrir que disparaître
Effacer ces heures absentes / Et tout repeindre en couleur
Il ne s’agit plus ici seulement d’une quête affective.
Goldman ne refuse pas uniquement l’indifférence d’une personne. Il refuse l’indifférence de l’existence elle-même.
Le confort, la stabilité, la routine ? Non. Il leur préfère l’inconnu, l’instabilité, le danger.
Friedrich Nietzsche l’avait compris. L’homme moderne se condamne à la médiocrité par peur de souffrir. Il choisit le tiède, le gris, l’inaction. Il préfère une vie fade, mais sécurisante, à une existence risquée, mais pleine de sens.
Des châteaux, des palais pour un quai de gare
Tout est là.
Tout dire en une phrase.
Il vaut mieux le vent froid d’un quai de gare, l’attente, l’inconnu, l’errance plutôt qu’un palais doré qui enferme et assèche.
Nietzsche aurait vu en "Pas l’indifférence" un cri d’affirmation. Un refus de la dernière étape de l’humanité, ce qu’il appelle "le dernier homme", cet être qui cherche avant tout la sécurité, qui ne veut plus être bousculé.
Viktor Frankl, psychiatre et survivant des camps de concentration, disait que l’homme peut tout endurer, à condition d’avoir un sens à sa souffrance.
Et si Goldman accepte tout sauf l’indifférence, c’est peut-être parce qu’il a besoin de cette intensité pour donner un sens à son existence.
L’absence de lien, l’absence d’émotion, c’est la négation de toute signification.
Toutes ces âmes qui mentent et qui sourient comme on pleure
Elles sont là, ces vies anesthésiées. Celles qui ont abandonné le combat.
Mais pas lui.
Goldman se bat.
Et cette chanson, c’est son manifeste.
Un refus d’être l’un de ces fantômes qui avancent sans bruit. Un refus de voir les couleurs s’effacer.
Un refus de disparaître avant même d’être mort.
Une chanson toujours d’actualité
Certaines chansons s’effacent avec le temps. Elles appartiennent à une époque, à une tendance, à une esthétique qui finit par s’éroder. D’autres, au contraire, semblent gagner en force au fil des années, comme si elles se chargeaient de nouveaux échos, de nouvelles résonances.
"Pas l’indifférence" est de celles-là.
Plus de quarante ans après sa sortie, elle continue d’interroger, de bouleverser, de hanter. Elle résonne peut-être plus encore aujourd’hui qu’en 1981, à une époque où l’indifférence a pris de nouvelles formes, plus sournoises, plus insidieuses.
En 1996, Jean-Jacques Goldman restait tristement lucide, mais résolument optimiste malgré tout. "Je crois toujours en l’idéal d’une société plus juste." (05) Goldman n’a jamais été un artiste politique au sens militant du terme, mais il n’a jamais cessé de croire à l’humain, à la nécessité de construire un monde où personne ne serait laissé de côté. "Pas l’indifférence" est un cri de révolte contre l’invisibilisation de certains, contre cette fracture sociale qui fait que certains comptent plus que d’autres.
Un texte intemporel, une problématique universelle
En 1981, l’indifférence était déjà une blessure, une menace. Mais aujourd’hui, dans un monde où nous sommes en permanence connectés et pourtant souvent si seuls, elle est devenue un mode de fonctionnement. "Connecté, mais pas à soi", chanterait Léman. (06)
Les réseaux sociaux ont démultiplié les interactions superficielles, créant l’illusion du lien tout en creusant parfois un gouffre plus grand encore. Nous avons accès aux visages, aux vies des autres, à leurs pensées, à leurs images, à leurs rires, mais sommes-nous réellement présents les uns pour les autres ?
Toutes ces âmes qui mentent et qui sourient comme on pleure.
Cette phrase n’a jamais semblé aussi actuelle.
Les visages figés sur les écrans. Les vies soigneusement mises en scène. L’absence derrière la présence.
Nous n’avons jamais été aussi nombreux à nous croiser, et pourtant, combien passent vraiment dans notre vie ?
L’indifférence moderne ne prend plus seulement la forme du silence. Elle est bruyante, saturée d’images, de mots, de réactions éphémères. Elle est une accumulation de regards vides, de conversations creuses, de messages sans profondeur.
Elle est ce fil d’actualité que l’on scrolle sans fin, où l’on voit tout, où l’on ne retient rien.
Goldman, sans le savoir, a chanté une détresse qui allait devenir l’un des plus grands drames de notre époque.
Une chanson qui dialogue avec d’autres titres de Goldman
"Pas l’indifférence" ne se tient pas seule dans l’œuvre de Goldman. Elle fait écho à d’autres morceaux, d’autres quêtes, d’autres blessures.
"Pas toi" : L’indifférence dans le cadre d’une relation amoureuse
Là où "Pas l’indifférence" est un cri universel, "Pas toi" est une plainte plus intime. Il y a la même douleur, la même impossibilité d’accepter l’absence de réponse.
Mais que faut-il ? Quelle puissance ? Quelle arme brise l’indifférence ?
Comme une variation sur le même thème, mais dans un cadre plus resserré : celui de l’amour qui s’éloigne, qui ne répond plus.
"Le rapt" : Une autre quête de relation humaine sincère, entravée par des conventions sociales
Dans "Le rapt", Goldman explore un autre versant de la solitude moderne : la difficulté de créer un lien véritable.
C’est votre beauté glacée, votre indifférence
Ici aussi, l’indifférence est une barrière infranchissable. L’autre est là, mais inaccessible, figé derrière des codes sociaux, des postures, des attentes.
"Veiller tard" : Une autre ode à l’intensité émotionnelle
Dans "Veiller tard", Goldman exprime encore cette peur du vide, ce refus de voir le temps glisser sans laisser de marque.
Quand le monde disparu l'on est face à soi
Face à soi. Face à l’absence, face au silence. Comme dans "Pas l’indifférence", cette phrase suggère l’angoisse de se retrouver seul, sans écho, sans interaction, sans trace du passage des autres. Goldman ne parle pas ici de solitude choisie, mais de cette solitude subie, celle qui nous confronte à nous-mêmes sans rien pour nous retenir. C’est la même angoisse sourde qui traverse "Pas l’indifférence" : celle de voir les jours passer sans qu’ils ne signifient rien, de se retrouver face à soi-même sans autre regard pour nous dire que nous existons.
Goldman revient sans cesse à cette idée que vivre, c’est ressentir, c’est brûler, c’est vibrer. Et que l’indifférence, sous toutes ses formes, est ce qui nous en empêche.
Sa place dans l’héritage de Goldman
Lorsqu’en 1996, Goldman sort la compilation "Singulier", une anthologie couvrant quinze ans de carrière, "Pas l’indifférence" y figure aux côtés de ses plus grands succès.
Une surprise, peut-être, pour ceux qui ne connaissent de lui que ses tubes les plus populaires, les plus diffusés.
Mais un choix qui confirme l’importance secrète de cette chanson.
Elle n’a jamais été un hit radiophonique. Elle n’a jamais été une évidence commerciale.
Et pourtant, elle est là.
Parce qu’elle n’est pas seulement une chanson. Elle est une pierre angulaire.
En janvier 1982, quand Bernard Lescure demande à Jean-Jacques Goldman s'il doutait du succès de "Il suffira d'un signe", Goldman lui répond, _"Personnellement, je préférais d'autres titres comme "Le rapt", "Pas l'indifférence" ou "Une autre histoire", qui collent davantage à ma personnalité, à mes émotions." (07) Dès le départ, Goldman savait que cette chanson, bien que moins accessible que ses titres plus rythmés, portait en elle quelque chose de fondamental. Il ne l’a pas écrite pour séduire, mais parce qu’elle était nécessaire. Et c’est peut-être pour cela qu’elle continue de marquer les esprits : elle ne cherche pas à plaire, elle dit une vérité brute, une douleur universelle.
Elle fait partie de ces morceaux qui ne sont pas les plus bruyants, mais qui sont les plus essentiels.
Elle appartient à ceux que Goldman a écrits non pas pour séduire, mais pour dire ce qui devait être dit.
Et si elle continue, aujourd’hui encore, de toucher ceux qui l’écoutent, c’est parce qu’elle parle de quelque chose qui ne vieillira jamais.
Parce que nous aurons toujours besoin d’un regard.
Parce que nous aurons toujours peur du vide.
Parce que l’indifférence, elle, ne disparaît jamais vraiment.
Elle change de forme. Elle se transforme.
Mais elle est toujours là.
Et il y aura toujours des voix pour la refuser.
Qu’en dirait Caroline Goldman ?
(Une perspective clinique et éducative contemporaine).
L’indifférence, en soi, ne devrait pas exister. Elle est une anomalie du lien humain. Un parasite qui ronge l’estime de soi, qui érode le sentiment d’existence.
C’est ce que nous dit Jean-Jacques Goldman, avec ses mots de poète, avec son urgence de chanteur qui refuse de voir le monde s’éteindre dans la fadeur et l’oubli.
Mais si l’on change de prisme ?
Si l’on écoute non plus un artiste, mais une clinicienne, une spécialiste de l’enfance et du développement affectif ?
Si l’on soumettait "Pas l’indifférence" au regard de Caroline Goldman, que dirait-elle ?
Elle qui, inlassablement, répète l’importance des premiers liens, de la réponse parentale, du regard qui fonde l’enfant et lui dit : "tu existes".
Elle qui rappelle à quel point une absence de réponse peut être plus violente qu’un conflit.
Elle qui nous enseigne que l’indifférence n’est pas seulement un drame émotionnel. C’est un poison psychique.
Le rôle fondamental de l’attachement précoce et du besoin de validation émotionnelle
Je donnerais dix années pour un regard
Cette phrase n’est pas une simple métaphore. Elle est une vérité clinique.
L’être humain se construit dans le regard de l’autre. C’est une donnée absolue.
Le bébé qui naît ne sait pas qu’il existe. Il ne sait pas où il commence, où il finit. Il n’a pas encore de contours psychiques.
Ce sont les premières interactions avec ses parents qui vont lui apprendre, lentement, qu’il est un être à part entière.
Un sourire. Un contact. Une voix qui répond à ses pleurs. Une présence.
C’est ainsi que se forge le sentiment d’existence. Ainsi que se bâtit l’estime de soi.
Caroline Goldman le répète : un enfant ne peut pas se construire seul. Il a besoin qu’on lui renvoie son image pour se sentir réel.
Et si ce regard manque ?
Si la mère ou le père sont absents, distants, préoccupés ?
Alors l’enfant n’apprend pas qu’il existe. Il grandit avec un vide à la place de l’identité.
Il devient un adulte en quête. Une quête perpétuelle de validation, de preuve qu’il compte.
Tout mais pas l’indifférence
Tout, oui. Même souffrir, même avoir peur.
Parce qu’au moins, dans la douleur, il y a une trace de soi.
Les dégâts de l’indifférence parentale sur l’estime de soi
L’indifférence parentale ne laisse pas de bleus sur la peau, mais elle marque l’âme d’une trace bien plus indélébile. Elle est une cicatrice invisible qui façonne le regard que l’on porte sur soi-même et sur le monde. L’enfant qui grandit dans l’indifférence apprend très tôt une leçon silencieuse et pourtant destructrice : il n’est pas digne d’attention.
Un enfant qui est battu sait au moins qu’il existe aux yeux de l’autre, même dans la douleur. Un enfant ignoré, lui, ne reçoit aucun signal d’existence. Il ne sait pas s’il est important, s’il compte, s’il a une place. C’est une angoisse sans contours, une solitude sans explication. Il n’a pas de révolte à opposer à l’adulte, pas de point d’ancrage contre lequel s’affirmer, pas de conflit dans lequel exister. Il grandit comme une ombre, sans relief.
Ce manque fondamental de validation émotionnelle laisse des traces profondes à l’âge adulte. L’indifférence parentale engendre souvent une hypersensibilité au rejet. On en vient à chercher partout des signes d’affection, à guetter le moindre indice de reconnaissance, à trembler à l’idée d’être oublié. L’estime de soi devient fragile, conditionnée à l’approbation d’autrui, et la peur de l’abandon devient un fil conducteur invisible dans chaque relation.
J’accepterai la douleur
La phrase prend ici une résonance particulière. Elle dit la peur d’un silence absolu, d’une absence totale de réponse. Elle dit l’habitude prise depuis l’enfance d’accepter la souffrance plutôt que de se heurter au vide.
Et ce vide, Jean-Jacques Goldman le combat avec une détermination brûlante. Il refuse qu’il s’installe. Il refuse qu’il devienne une norme. Parce que dans ce vide, c’est l’identité même qui s’efface.
Indifférence active vs indifférence passive : un point clé en psychologie
L’indifférence n’est pas toujours frontale. Elle ne se manifeste pas nécessairement par un rejet brutal, un refus explicite. Parfois, elle est plus insidieuse, plus diffuse. Elle ne dit pas : "Tu ne vaux rien." Elle dit : "Tu n’existes pas."
On pourrait croire que l’indifférence est un état unique, un mur infranchissable, mais elle se divise en deux formes bien distinctes, toutes deux destructrices à leur manière.
Il y a l’indifférence active, celle qui rejette de manière consciente. C’est une distance imposée, une absence volontaire de réponse, une barrière dressée entre deux êtres. Elle est brutale, mais au moins, elle existe. On peut la nommer, la confronter, la combattre.
Et puis, il y a l’indifférence passive, bien plus insidieuse. Elle n’est pas un rejet clair, mais une absence pure et simple d’engagement émotionnel. Elle est cet ami qui ne demande jamais de nouvelles, ce parent qui est là sans jamais écouter, cet amour qui ne se soucie pas vraiment de ce que l’on ressent. Ce n’est pas une fermeture totale, mais une présence floue, une interaction sans profondeur, une transparence douloureuse.
Toutes ces âmes qui mentent et qui sourient comme on pleure
Goldman le dit avec force : ce qui blesse le plus, ce n’est pas l’affrontement, c’est le mensonge de la présence. L’indifférence passive est un simulacre, un leurre. Elle donne l’impression d’un lien tout en le vidant de sa substance.
Elle est la plus perfide des solitudes, car elle ne dit pas son nom.
Comment apprendre à se valider soi-même sans dépendre du regard de l’autre ?
Jean-Jacques Goldman ne pose pas la question en ces termes, mais elle est sous-jacente à toute la chanson. Peut-on exister sans le regard des autres ? Peut-on se donner à soi-même la reconnaissance que l’on attend du monde ?
L’être humain est un être social, et il serait absurde de nier que nous avons besoin des autres pour nous construire. Mais faut-il pour autant être dépendant de leur validation pour se sentir entier ?
Là où Goldman hurle son refus de l’indifférence en ré mineur, où il se bat contre le vide, la psychologie clinique proposerait une autre approche. Il ne s’agit pas de nier le besoin de lien, mais d’apprendre à le nourrir autrement.
Apprendre à se valider soi-même, c’est se donner ce regard que l’on a peut-être attendu en vain. C’est comprendre que notre valeur ne dépend pas d’une confirmation extérieure. C’est bâtir une estime de soi qui ne s’écroule pas dès que l’autre détourne les yeux.
Mais comment fait-on cela, lorsqu’on a grandi dans le manque ?
D’abord, en reconstruisant son propre récit. En reprenant le fil de son histoire et en lui donnant une cohérence, une légitimité. Ce que l’on a vécu, ce que l’on ressent, ce que l’on désire a de la valeur. Il faut cesser de croire que l’on doit être validé pour avoir le droit d’exister.
Ensuite, en trouvant des ancrages internes. Certains passent par la création, d’autres par la spiritualité, d’autres encore par la thérapie. Il s’agit de bâtir un socle de reconnaissance intérieure, un espace où l’on se sent légitime sans avoir besoin d’un reflet extérieur.
Car si l’on passe sa vie à tendre des mains vers des regards qui ne viennent pas, alors on se condamne à une attente perpétuelle.
Et parfois, il faut apprendre à se voir soi-même avant d’exiger que le monde nous regarde.
Une réflexion qui rejoint finalement la question que pose Goldman sans y répondre : comment exister quand on est confronté à l’indifférence ?
Goldman ne propose pas de solution. Il ne cherche pas à intellectualiser le problème. Il ressent, il exprime, il hurle ce qu’il refuse.
Tout mais pas l’indifférence
C’est un rejet absolu, une injonction sans compromis.
Mais derrière cette déclaration, une question demeure. Que faire alors, quand l’indifférence est là ? Quand elle s’impose, inexorable ? Quand le regard ne vient pas ?
Caroline Goldman, avec son approche clinique, inviterait sans doute à une réflexion plus introspective. L’indifférence de l’autre est une douleur, mais l’indifférence envers soi-même est un piège bien plus grand.
Si l’on se met à croire que l’on ne vaut rien sans validation extérieure, alors on donne aux autres un pouvoir immense sur notre propre existence.
L’indifférence est une épreuve terrible, mais elle peut aussi devenir un terrain de reconstruction.
Se demander comment exister face à l’indifférence, c’est déjà refuser de disparaître.
C’est comprendre que l’on a une valeur, même si personne ne la reconnaît.
C’est refuser de s’effacer dans le silence d’un monde qui ne répond pas.
Et c’est peut-être là que la chanson trouve sa plus grande force.
Elle n’apporte pas de réponse, mais elle crie l’urgence de ne pas se laisser dissoudre.
Elle n’indique pas le chemin, mais elle refuse l’immobilisme.
Et peut-être que c’est ça, au fond, le premier pas vers la lumière.
Conclusion : tout mais pas l’oubli
L’indifférence n’est pas seulement un refus, elle est une forme de mort. Une mort qui ne fait pas de bruit, qui n’éclate pas en drame, qui ne laisse pas de cicatrices visibles. Une mort discrète, progressive. Celle des jours qui s’enchaînent sans relief, des relations tièdes, des visages qui se croisent sans se voir.
Jean-Jacques Goldman, lui, ne veut pas mourir de cette mort-là.
Il a toujours été un artiste de l’intensité. De l’émotion brute, du lien humain, de la vérité nue. Il n’a jamais cherché à plaire à tout prix, à s’adapter aux tendances, à jouer un rôle. Il a écrit pour vibrer. Il a chanté pour se relier aux autres, pour tisser une toile d’émotions, pour dire que l’on existe tant que l’on ressent.
Je donnerais dix années pour un regard
Qui, honnêtement, ne l’a jamais pensé ? Qui n’a jamais eu peur de traverser la vie sans laisser d’empreinte, sans être vu, sans être aimé ?
Et cette peur, cette tension qui traverse "Pas l’indifférence", nous renvoie à notre propre manière de vivre.
Voulons-nous une vie tranquille, stable, sécurisée, où rien ne dépasse, où rien ne blesse, où rien ne chavire ?
Ou préférons-nous le chaos, le vertige, l’aventure d’une existence qui palpite et qui dérange ?
Goldman ne répond pas. Il n’a jamais aimé les dogmes, les injonctions, les vérités définitives.
Mais il nous tend une question comme on tend un miroir.
Tout mais pas l’indifférence
Et nous, qu’allons-nous choisir ?
La facilité du tiède ?
Ou le risque de se brûler ?
Et si "Pas l’indifférence" n’était pas juste une chanson ?
Et si c’était un manifeste existentiel ?
Et si, après l’avoir écoutée, nous ne pouvions plus jamais vivre exactement comme avant ?
Jean-Jacques Goldman : Pas l'indifférence (En public, 1986)
Sources
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(07) La Dépêche du Midi, janvier 1982, propos recueillis par Bernard Lescure