Jean-Michel Fontaine : “A coup de livres je franchirai tous ces murs” (7 février 2025)
Cartes Blanches
Il est des rencontres qui bouleversent une vie, même lorsqu’elles se font à travers une chanson. Pour moi, cette rencontre a eu lieu en juin 1985, lorsque j’ai vu pour la première fois le clip de "Je marche seul". J’avais alors 13 ans. Jusque-là, écouter la radio ne me procurait aucune émotion particulière. Mais ce jour-là, quelque chose d’inédit s’est produit. Une étincelle. Une révélation. Cette chanson, cette mélodie, ces paroles, tout m’a bouleversé. Une décharge électrique m’a traversé, et, pour la première fois, j’ai ressenti que la musique pouvait être bien plus qu’un simple divertissement.
Ce fut le début d’une passion qui ne m’a jamais quitté. À partir de ce moment, chaque nouvelle chanson de Jean-Jacques Goldman me semblait écrite pour moi. "Veiller tard", "Envole-moi", "Famille", "Ton autre chemin"... Chaque titre résonnait en moi, comme si Jean-Jacques avait le don de lire en moi et de raconter mon histoire. Ses textes avaient une puissance rare, capables de capturer des émotions universelles tout en semblant si intimes, si personnelles. Pour moi, c’est là sa plus grande qualité : écrire des "costumes sur mesure" pour chacun de ses auditeurs.
Une chanson qui change une vie
Je viens d’un milieu social défavorisé. Mon père, ouvrier alcoolique et violent, terrorisait le petit garçon que j'étais. Je me demandais souvent comment j'allais m'en sortir. Puis, un jour, j’ai entendu "Envole-moi". Une phrase en particulier a provoqué un électrochoc en moi : « À coup de livres, je franchirai tous ces murs. » Cette maxime m’a donné une force et une direction. Elle est devenue ma devise. Elle m’a offert une perspective : l’espoir que, par l’éducation et le travail, il était possible de briser les chaînes de mon environnement.
Cette chanson m’a accompagné tout au long de ma vie. J'ai d'ailleurs raconté son impact à Jean-Jacques Goldman dans une lettre, pour lui exprimer à quel point ses mots avaient changé ma vie. Sa réponse, que je garde précieusement, est restée ancrée en moi comme un témoignage de sa modestie. Lui qui affirme qu’une chanson ne peut pas changer une vie... je sais qu’il se trompe, par humilité. Ses chansons m’ont changé. Elles ont bouleversé ma vie. Elles m’ont accompagné dans les moments de doute, comme dans les moments de joie.
Une passion construite sur 40 ans
Depuis cette révélation en 1985, Jean-Jacques Goldman est devenu bien plus qu’un simple artiste pour moi. Il est un mentor, un modèle, quasiment un père spirituel. Sa musique a inspiré mes choix, m’a guidé dans mes moments difficiles et m’a motivé à me dépasser. À treize ans, j’ai commencé à collectionner tout ce qui le concernait : interviews, articles, émissions télévisées ou radiophoniques. Cette passion m’a poussé, des années plus tard, à lancer un site web, "Parler d’sa vie", en juillet 1997, alors que peu de contenus en ligne étaient disponibles sur lui. Ce site, né de milliers d'heures de travail acharné, est encore aujourd’hui le plus complet dédié à l’artiste.
En 1998, ma passion m’a permis de rencontrer Jean-Jacques Goldman en personne. À l’époque, j’avais sollicité une interview pour mon site, mais cette demande avait été refusée. Ne me laissant pas abattre, j’ai proposé l’idée à une radio locale, Radio Kol Hachalom, qui a accepté. C’est ainsi que, grâce à une petite radio juive de Grenoble, j’ai pu passer une demi-heure dans sa loge, en sa compagnie. Ce moment, où il a choisi de prolonger notre entretien, reste gravé dans ma mémoire comme un cadeau inestimable, bien plus précieux que n’importe quelle déclaration publique.
Une aventure littéraire et humaine
Mon admiration pour Jean-Jacques ne s’est pas limitée à écouter ses chansons ou à créer un site web. En 2020, j’ai eu l’opportunité de co-réaliser un livre avec Alexandre Fievée, "Le dictionnaire illustré des chansons de Jean-Jacques Goldman". Ce projet représentait l’aboutissement de trente-six ans de passion. Nous avons analysé et décortiqué 800 interviews données par Jean-Jacques au cours de sa carrière, pour en extraire les citations les plus significatives sur ses chansons.
Créer ce livre a été un travail minutieux, un véritable "ping-pong" avec Alexandre pour décider des citations à inclure. Parfois, nos discussions étaient intenses, mais toujours guidées par notre volonté commune de faire honneur à l’artiste. Grâce à la générosité de Claude Gassian, son photographe, nous avons également pu inclure 115 photos rares et inédites de Jean-Jacques, qui rendent cet ouvrage unique.
Contrairement à l’idée reçue qu’il serait avare de ses paroles, nous avons découvert une mine d’or dans ses propos recueillis par des médias locaux, régionaux ou spécialisés. Notre objectif était clair : éviter toute interprétation subjective pour laisser parler Jean-Jacques lui-même. Nous avons sélectionné plus de 800 citations en lien avec 105 de ses chansons, parmi les 123 qu’il a écrites, composées et interprétées en français. Ce travail d’édition reflète notre volonté de rendre hommage à l’homme et à l’artiste, en mettant en lumière la richesse de ses réflexions.
Ce travail, c'est un travail de mise en scène, un travail de réalisateur. Alexandre et moi n'avons pas été scénaristes de ce livre, dans la mesure où c'est Jean-Jacques qui lui-même a "écrit" le livre, mais en revanche, notre ouvrage est une mise en lumière de ses propos les plus intéressants, selon nous, sur ses chansons.
Une leçon d’intégrité
Jean-Jacques Goldman a toujours entretenu une relation particulière avec les médias. Alors que certains artistes recherchent activement l’attention de la presse, lui s’est toujours montré méfiant, en particulier envers la presse parisienne. Cette méfiance est née, selon moi, d’un malentendu de fond. Pour moi, Libération n’a jamais pardonné à Jean-Jacques de ne pas ressembler à son frère Pierre, une figure intellectuelle et militante. Pourtant, au fil des années, il a apporté la meilleure réponse possible à ses détracteurs : son succès.
En décembre 1985, après avoir rempli treize Zénith sans aucune publicité, il a acheté une double page dans Libération et France-Soir pour remercier son public avec ces mots : « Merci d'avoir jugé par vous-même. » Ce geste, à la fois humble et audacieux, symbolise parfaitement qui il est : un homme qui préfère laisser parler ses actes plutôt que ses discours.
Une philosophie de vie inspirée par JJG
Au-delà de ses chansons, c’est aussi la personnalité de Jean-Jacques Goldman qui m’a profondément marqué. Il est resté fidèle à lui-même, évitant les projecteurs et la superficialité du show-business. Il a toujours privilégié les interviews avec la presse locale ou régionale, aux poncifs de la "grande presse" parisienne. Sa discrétion, sa simplicité et son humanisme en font un modèle d’intégrité.
Jean-Jacques a également une incroyable capacité d’observation et d’empathie, comme je l’ai découvert lors de notre rencontre. En quelques minutes, il arrive à cerner son interlocuteur, et à comprendre qui il est. Cette qualité lui permet d’écrire des chansons "sur mesure" pour d’autres artistes, comme Céline Dion, Johnny Hallyday ou Patrick Fiori. Son talent à capter l’essence des émotions humaines est, à mes yeux, inégalé.
Un mentor pour la vie
En écoutant les chansons de Jean-Jacques Goldman, j’ai trouvé bien plus qu’un réconfort dans des moments difficiles. J’ai trouvé des leçons de vie, des valeurs, et une philosophie qui m’ont accompagné tout au long de mon parcours. Il y a deux conseils en particulier qui ont marqué mon existence. Le premier vient de ma mère : « Tu travailles pour toi. » C’est un principe simple, essentiel, mais qui m’a donné la force de persévérer, même dans les moments les plus incertains. Le second conseil vient de Jean-Jacques : « À coup de livres, je franchirai tous ces murs. »
Ces deux idées sont profondément ancrées en moi, guidant mes choix personnels et professionnels. Grâce au soutien de ma mère, qui a travaillé la nuit et les week-ends pour m'aider à financer mes études, et à cette conviction que l’éducation pouvait me libérer, j’ai obtenu mon premier Master. Huit ans plus tard, lorsque j’ai décidé de reprendre mes études, ces deux conseils étaient toujours là. Deux piliers solides en lesquels je pouvais avoir confiance.
Une empreinte indélébile
Aujourd’hui encore, les chansons de Jean-Jacques Goldman continuent de m’accompagner. Elles ne sont pas simplement des morceaux de musique, mais des compagnes de vie. Elles m’ont aidé à surmonter des moments difficiles, à prendre des décisions importantes et à avancer avec confiance. Des titres comme "C’est ta chance", "Encore un matin", ou "Veiller tard" sont devenus des mantras, rappelant que rien n’est jamais figé et que chaque jour offre une nouvelle opportunité.
À travers ses textes, Jean-Jacques Goldman nous montre que nos différences, même perçues comme des handicaps, peuvent devenir des forces. En anglais, le mot "gift" signifie "cadeau", alors qu’en allemand, il signifie "poison". Jean-Jacques nous enseigne que c’est à nous de choisir : transformer nos défis en cadeaux ou les laisser devenir des poisons.
Merci Jean-Jacques
Jean-Jacques Goldman n’est pas seulement un artiste que j’admire ; il est une part intégrante de ma vie. Il m’a appris que le travail, la persévérance et l’humanité peuvent ouvrir des portes qu’on croyait fermées. Il m’a montré qu’une chanson peut être bien plus qu’un simple divertissement : elle peut être un guide, une lumière, un espoir. Alors, merci Jean-Jacques. Merci pour tes chansons, tes mots, et ton exemple. Tu as changé ma vie, et pour cela, je t'en serai toujours reconnaissant.
Ces liens que l’on sécrète…
- Qui est Jean-Michel Fontaine ?
- Jean-Jacques Goldman : "Je suis devenu interprète pour que quelqu'un chante mes chansons" (entretien enregistré le 24 avril 1998 au Summum Grenoble)

Grenoble, le 24 avril 1998