Les Confidences de Marc Lumbroso et de Jean-Jacques Goldman (2025)

Confidences

Le pari

  • « J’ai toujours été poussé par les autres. Un jour, un type m’a dit : “J’ai une fille qui chante, tu n’aurais pas des textes et des musiques ?” Alors j’ai fait une chanson que la fille a chantée au “Jeu de la chance” à la télévision en 1978-1979. » - Jean-Jacques Goldman
  • « À la fin de l’émission, l’animatrice donnait le nom de l’auteur-compositeur de la chanson gagnante, si bien que deux ou trois éditeurs ont appelé la Sacem pour avoir mes coordonnées. Parmi ceux-ci, Marc Lumbroso. Ancien employé d’une grande maison d’édition, il a choisi de voler de ses propres ailes ; quitte à galérer un temps : il vivait dans un état de précarité totale, dormait dans un studio… » - Jean-Jacques Goldman
  • « Mon travail consistait à aller dans les maisons de disques pour placer les chansons composées et écrites par les artistes signés dans cette maison d’édition. J’ai pu, au contact de tous ces gens, me forger ma propre opinion sur toutes les questions qui taraudent tout producteur de musique : comment se réalise un bon disque ? Quel savoir-faire est-ce que cela requiert ? Qu’est-ce qui constitue l’essentiel ? Est-ce le son, la musique, la voix du chanteur, le texte ? » - Marc Lumbroso
  • « Je venais de quitter les éditions Vogue, viré par mon employeur Léon Cabat qui d’une part trouvait que les chansons de Jean-Jacques n’avaient aucun intérêt, et d’autre part avait l’intention de déposer le bilan. Je me suis donc retrouvé un peu à la rue, sans un rond. Et j’ai commandé des chansons à Jean-Jacques pour les artistes très en vue de l’époque dans l’espoir d’en placer une ou deux. » - Marc Lumbroso
  • « Rien n’est sorcier dans ce métier. Le plus compliqué est d’avoir la bonne intuition au bon moment, et de travailler sérieusement. Pour le reste, il suffit de bien s’entourer. Ce sont les chansons qui m’intéressent le plus, et ceux qui les écrivent. » - Marc Lumbroso
  • « En fait, c’est un album par défaut. Un album né d’un échec. Après Taï Phong, il y a une chose que je sens et que je sais pouvoir faire, c’est écrire des chansons pour les autres. [...] Avec l’aide d’un jeune éditeur inconnu, Marc Lumbroso, qui m’avait contacté à la suite de l’émission à laquelle participait Anne-Marie Batailler, j’ai travaillé un peu tous azimuts. [...] Mais en gros, ça ne marchait pas. Personne ne voulait de mes chansons. Et Johnny Hallyday pas davantage ! (Rire.) » - Jean-Jacques Goldman

Les refus, les murs, et les portes

  • « On m’a foutu dehors en me disant : “Casse-toi, c’est de la merde !” [...] J’ai eu des refus absolument partout. [...] On me disait : “Ah non, mais des types qui chantent avec la voix aiguë comme ça… Il y a Balavoine déjà.” » - Marc Lumbroso
  • « Quelqu’un est même allé jusqu’à jeter la cassette par terre en me disant que c’était de la m… » - Marc Lumbroso
  • « Ce sont les directeurs artistiques qui ont bloqué. Ces gens-là trouvent les chansons toujours plus intéressantes quand ce sont des gens connus qui les ont faites ! Et quand elles viennent d’inconnus, elles vont rarement jusqu’aux oreilles de l’interprète. » - Marc Lumbroso
  • « J’ai réalisé que les interprètes sont plus intéressés par celui qui apporte la chanson, la signe, que par la chanson elle-même, et nous nous sommes heurtés aux refus. » - Jean-Jacques Goldman
  • « Ça ne les intéressait pas parce que, en général, les grands interprètes français - avec d’énormes guillemets - lisent plutôt la signature en bas que le texte lui-même. [...] À la limite, je peux leur bâcler n’importe quoi maintenant, ils vont trouver ça formidable. » - Jean-Jacques Goldman
  • « Chez Barclay où j’avais réussi à faire venir Jean-Jacques, le directeur de production réécoute la maquette devant nous puis fait : “Ouais, c’est pas mal, mais dans le genre qui chante en français avec une voix aiguë, on a déjà Daniel Balavoine.” Et Jean-Jacques, avec un flegme extraordinaire, réplique : “Ah, mais s’il faut, je peux chanter en allemand !” (rires.) » - Marc Lumbroso
  • « Dire que Jean-Jacques Goldman a été signé aux forceps relève du doux euphémisme. Personne n’en voulait, oui. Plus tard, ils furent quelques-uns à l’avoir occulté… » - Jean Mareska
  • « La vie m’apparaît comme une succession de portes qui s’ouvrent, de signes que l’on nous fait. Nous sommes en mesure de les comprendre ou non. C’est une question de disponibilité. » - Jean-Jacques Goldman

La révélation et la foi

  • « Je me suis dit que cette chanson avait de la grâce et quelque chose de différent. Je me suis débrouillé pour obtenir son numéro de téléphone. Je suis allé le voir chez lui, à Montrouge, et je lui ai proposé de placer ses chansons, tout simplement. Il m’en a remis un stock assez nourri, où figuraient déjà des titres qu’il réutilisera plus tard dans ses albums, comme "Des bouts de moi" ou "Il y a". » - Marc Lumbroso
  • « Ça l’intéressait beaucoup d’écrire pour les autres et je m’étais engagé à démarcher les maisons de disques pour placer ses chansons. [...] Mais personne n’en voulait. On avait pourtant proposé "Je te promets" à Gérard Lenorman ou "L’Envie" à Michel Sardou, qui plus tard feront le succès que l’on sait. "S’il suffisait qu’on s’aime" [sic] aussi avait été écrite à l’époque. » - Marc Lumbroso
  • « Si j’avais trouvé un interprète, de la même façon que Laurent Boutonnat a trouvé Mylène Farmer, Michel Berger France Gall, si j’avais trouvé ça, j’aurais jamais chanté. » - Jean-Jacques Goldman
  • « Jamais, au grand jamais je n’aurais imaginé devenir chanteur. En plus, ça ne m’intéressait pas du tout !» - Jean-Jacques Goldman
  • "Il me restera", "Il y a", "Doux", "Reprendre c’est voler", ce sont de vieilles chansons que Jean‑Jacques a reprises pour "Entre gris clair et gris foncé". » - Marc Lumbroso
  • « J’adorais ce qu’il faisait. Tout me plaisait. Sa musique, sa voix. Il était le compositeur le plus doué que j’avais jamais rencontré et le seul chanteur que j’aie écouté chez moi. Les maquettes, je les faisais écouter à tout le monde, ma famille, mes amis. J’ai été fan tout de suite. Et je le suis encore aujourd’hui. C’est pour ça que je n’ai jamais baissé les bras, parce que je ne pouvais pas imaginer qu’un jour ça ne marcherait pas. » - Marc Lumbroso
  • « Si les gens n’étaient pas venus me chercher, je serais resté dans mon coin. J’ai toujours été poussé par les autres. Marc Lumbroso, qui était un jeune éditeur affamé, a appelé la Sacem pour avoir mon numéro de téléphone. [...] C’est lui qui a commencé à me faire travailler, à me stimuler. J’ai besoin de stimulation. » - Jean-Jacques Goldman
  • « Il dit que je l’ai stimulé… Je ne sais pas trop. Ce qui est certain, en revanche, c’est que Jean-Jacques, après l’épisode Taï Phong, avait renoncé. J’ai vraiment eu du mal à le convaincre d’interpréter ses propres chansons. Ça a pris du temps, mais j’ai réussi à le faire changer d’avis. » - Marc Lumbroso

L’album qui n’aurait jamais dû exister

  • « Quand je lui ai demandé d’interpréter ses propres chansons parce que je n’arrivais pas à en placer une auprès d’autres artistes, il était très réticent. Il ne voulait pas faire à nouveau un disque et revivre des désillusions. » - Marc Lumbroso
  • « Ne réussissant pas à placer ses chansons, j’ai fini par lui demander s’il ne voulait pas lui-même les chanter. [...] Il m’a répondu : “Oui, je veux bien, mais à deux conditions. La première, c’est qu’il n’est pas question pour moi de refaire le tour des maisons de disques. La seconde, c’est qu’on ne va pas le faire avec les chansons que je t’ai données, mais avec d’autres, car j’en ai beaucoup d’autres…” Et le voilà qui me sort un autre stock de chansons. » - Marc Lumbroso
  • « Marc Lumbroso a sans doute été surpris de découvrir toute cette réserve de titres que Jean-Jacques cachait chez lui. Un vrai trésor. On marchait presque sur les bandes, dans le sous-sol de son pavillon de Montrouge. Un jour, il avait même fallu repasser au fer la bande d’"Il suffira d’un signe". » - Jean Bender
  • « Je voulais changer de boîte parce que le principal défaut de WEA, c’est que tu y fais tous les disques que tu désires. Une fois que tu as un contrat, ils acceptent tout ce que tu leur présentes, que ce soit bon ou mauvais ; et puis le disque sort et tu n’en entends plus jamais parler. Ça n’est pas ça, rendre service à un artiste. […] Chez WEA, tu peux passer ta vie à faire des disques qui ne marchent pas avec des budgets qui n’évoluent pas. […] Faire des disques pour faire des disques, cela ne m’intéresse pas et c’est une énorme perte de temps. » - Jean-Jacques Goldman
  • « Jean-Jacques était très attaché à son ancien directeur artistique qui venait à son tour de quitter Warner et, comme il ne souhaitait pas nous départager, il a été convenu que l’on démarcherait tous les deux et que celui qui décrocherait un contrat avec une maison de disques serait celui avec qui Jean-Jacques travaillerait. Et c’est moi qui lui ai trouvé le contrat avec Epic. » - Marc Lumbroso
  • « Il m’a demandé : “Qu’est-ce qu’on fait ?” J’ai répondu : “On fait un album.” » - Jean-Jacques Goldman
  • « Je crois bien qu’"Il suffira d’un signe" n’était pas sur la maquette présentée au label. Elle est arrivée après. On pensait au "Rapt" comme single possible. [...] C’est Joël Gilbert, le directeur artistique, qui a eu l’idée de réduire "Il suffira d’un signe" et d’en faire un single. » - Marc Lumbroso
  • « On pensait que "Quelque chose de bizarre" pouvait être un single. La chanson est sortie après "Il suffira d’un signe". Elle n’a pas du tout fonctionné… » - Marc Lumbroso
  • « Dès le second album, j’ai demandé à Marc de porter une écoute extérieure sur mes chansons. Je savais qu’il avait une oreille en laquelle je pouvais avoir confiance. » - Jean-Jacques Goldman
  • « À partir du deuxième album, Jean-Jacques m’a demandé de coréaliser avec lui. Ce disque-là a été mieux pensé et réalisé, il y avait surtout de meilleures chansons, dont trois tubes, et là, la carrière a vraiment décollé. » - Marc Lumbroso
  • « Au départ, il n'était qu'éditeur, et n'envisageait pas d'évoluer. Mais très vite, j'ai eu besoin d'une "oreille", de quelqu'un qui pouvait me dire si une chanson sonnait bien ou non, si elle démarrait trop vite, ou si elle était mal construite. Dans ce rôle, Marc était parfait. Pourtant, il ne connaît pas le solfège, ne parle pas comme un musicien, mais donne des indications extrêmement fiables. Il est donc rapidement devenu, en plus de mon éditeur, mon coproducteur. Il était présent lorsque j'étais en studio, et intervenait en cas de nécessité... » - Jean-Jacques Goldman
  • « De toutes façons, mes prochaines chansons, je les ferai éditer par Lumbroso, car il m’a toujours filé un coup de main. » - Jean-Jacques Goldman*

Le succès et l’effacement

  • « Après "Elle a fait un bébé toute seule" et "Là-bas", Jean-Jacques ne savait plus quelle chanson sortir. [...] Trêve de plaisanterie, on ne parlait jamais des classements. On ne se gargarisait pas pour ces choses-là. » - Marc Lumbroso
  • « Nous avons travaillé ensemble jusqu’au premier album de Fredericks-Goldman-Jones. [...] je lui dois beaucoup car c’est grâce à lui si j’ai été ensuite embauché comme directeur artistique par Alain Lévy, ancien patron de CBS passé à la tête de Polygram. Jean-Jacques lui a recommandé de me prendre, prétendant que j’étais le meilleur. Neuf mois après, j’étais président de Polydor. À partir de là, je ne pouvais plus conjuguer les deux activités et j’ai cessé de travailler avec Jean-Jacques, tout en restant son ami. J’ai donc commencé une carrière de patron de maison de disques et Jean-Jacques a fait ses disques avec d’autres collaborateurs. Mais je garde un souvenir joyeux de cette période. On a toujours pris beaucoup de plaisir à enregistrer ensemble, on a beaucoup ri et il n’y a jamais eu la pression du succès. On faisait les choses comme elles venaient, comme on les sentait, dans la bonne humeur. Le succès, l’argent, la notoriété n’ont jamais été des sujets de conversation entre nous. » - Marc Lumbroso
  • « Il n’y a pas de grand retour préparé. Il est juste plus intéressé par ses enfants et sa vie que par la perspective de refaire un disque et de s’exposer. L’urgence n’est plus la même. » - Marc Lumbroso
  • « Le grand principe de Jean-Jacques, c’était justement de faire appel à des gens qui ne venaient pas du sérail, qui avaient un regard neuf et pas des réflexes anciens. Pour ses tournées, il a fait appel au jeune Thierry Suc. Pour ses clips, il a fait travailler son ami Bernard Schmitt. » - Marc Lumbroso
  • « Jean-Jacques ne m’a jamais parlé de ses rêves (rires). Ce qui est certain, c’est qu’il n’avait pas de rêve de notoriété. » - Marc Lumbroso

Les questions que les routes ont laissées dans l'histoire…

À quelle occasion Jean-Jacques Goldman a-t-il lancé : « Ah, mais s’il faut, je peux chanter en allemand ! »

Quand Jean-Jacques Goldman prononce cette phrase, il ne s’adresse pas à un public hilare ni à des fans rassemblés autour de lui, mais à un directeur artistique un peu trop sûr de lui, dans un bureau de Barclay. Marc Lumbroso vient de réussir à traîner Goldman jusque-là pour faire écouter une maquette. On lance la bande. Quelques secondes passent. L’homme derrière le bureau, sans lever les yeux, lâche un jugement définitif : « Ouais, c’est pas mal… mais dans le genre qui chante en français avec une voix aiguë, on a déjà Daniel Balavoine. » Une sentence expédiée en deux gestes, comme si l’on parlait d’un lot de produits en doublon. Goldman, avec ce flegme pince-sans-rire qu’il réserve aux situations absurdes, répond alors : « Ah, mais s’il faut, je peux chanter en allemand ! » Une pirouette ironique, aussi polie que désarmante, qui renvoyait ce “professionnel” de Barclay à la pauvreté de son raisonnement. Là où l’industrie classait, assignait et opposait, Goldman, lui, rappelait qu’un artiste n’est pas une case dans un tableau Excel. Et que si la seule objection à sa signature était son timbre, alors il était prêt à en changer de langue. Une réponse qui reste aujourd’hui une petite pépite dans l’histoire de ses débuts — une manière élégante de désamorcer l’arrogance avec humour.

jean-jacques-goldman-oktoberfest

Jean-Jacques Goldman à l’Oktoberfest de Münich.
Plot twist : Jean-Jacques Goldman ne boit pas d’alcool. 😅

Comment Marc Lumbroso a-t-il connu Jean-Jacques Goldman ?

Le tout premier point de contact entre Marc Lumbroso et Jean-Jacques Goldman ne vient pas d’un rendez-vous organisé ni d’un démarchage calculé, mais d’une émission télévisée : le “Jeu de la chance”, en 1978. Goldman y a composé une chanson interprétée par Anne-Marie Batailler. À la fin du programme, comme le voulait la règle, l’animatrice annonce le nom de l’auteur-compositeur de la chanson gagnante. Ce soir-là, parmi les téléspectateurs devant leur poste, un jeune professionnel affamé de nouveautés tend l’oreille : Marc Lumbroso. Il est en pleine transition professionnelle, il cherche du talent brut, des voix nouvelles, des plumes qui valent qu’on se batte pour elles. Il entend le nom “Jean-Jacques Goldman” et se dit qu’il y a là quelque chose de différent. De simple téléspectateur attentif, il devient chasseur de chansons. Cette première écoute provoque un mouvement décisif : il veut en savoir plus, il veut entendre d’autres titres, il veut rencontrer l’homme derrière les chansons. Sans le savoir, c’est le premier fil d’une relation fondatrice, née d’une émission de variétés un soir de 1978.

Comment Marc Lumbroso a-t-il obtenu le numéro de téléphone de Jean-Jacques Goldman ? (la version de Jean-Jacques Goldman… et la vraie)

Jean-Jacques Goldman, dans plusieurs interviews, raconte une anecdote qui lui semble évidente : Marc Lumbroso a appelé la SACEM pour obtenir ses coordonnées, comme l’aurait fait un éditeur déterminé. Cette version est d’ailleurs plausible, simple, efficace, logique. Mais Marc Lumbroso raconte une autre scène, plus prosaïque. Il se trouvait chez Warner, où il passait régulièrement à l’époque, quand il remarque sur le bureau d’une secrétaire un des 45-tours solo de Jean-Jacques Goldman. Synchronicité. Marc Lumbroso saisit l’objet, demande : « Vous avez son numéro ? » La secrétaire acquiesce et le lui donne. C’est donc ainsi qu’il appelle Jean-Jacques Goldman : non pas via un annuaire professionnel, mais parce qu’un disque traînait par hasard sur un bureau. Deux récits qui ne s’excluent pas totalement, mais dont la seconde a le charme incroyable des hasards qui changent des vies. Quelle que soit la version, le résultat est le même : un coup de fil, une rencontre, et l’histoire pouvait commencer.

Pourquoi Jean-Jacques Goldman appréciait-il travailler avec Marc Lumbroso ?

Jean-Jacques Goldman a toujours dit que Marc Lumbroso ne parlait pas comme un musicien, et que c’était justement ce qui faisait sa force. Là où d’autres producteurs analysaient les chansons en termes de structures, de relevés harmoniques, de comparaisons techniques, Marc Lumbroso suivait son instinct. Il avait ce que Goldman appelle “une oreille”, c’est-à-dire une capacité à sentir si une chanson fonctionne, si elle touche, si elle avance trop vite ou trop lentement. Il n’avait pas de jargon, pas de grille théorique, mais une fiabilité rare. Goldman lui fait rapidement confiance, au point de demander dès le deuxième album qu’il coréalise ses chansons avec lui. Ce n’est pas un geste anodin : c’est l’aveu que Lumbroso comprend ses chansons de l’intérieur. Goldman apprécie aussi son honnêteté, son absence d’ego, son approche artisanale du métier. Avec lui, il n’y a pas de pression commerciale, pas de stratégie de marketing forcée, pas de conversation sur le “paraître”. Juste deux hommes travaillant sur des chansons avec sincérité. Cette absence de vanité, cette justesse instinctive, cette sécurité émotionnelle ont fait de Lumbroso l’un des rares collaborateurs dont Goldman parle avec une gratitude constante.

Quel rôle Jean-Jacques Goldman a-t-il joué dans la carrière de Marc Lumbroso ?

Jean-Jacques Goldman a profondément marqué la carrière de Marc Lumbroso, bien au-delà de leur collaboration artistique. Lorsque Lumbroso commence à travailler avec lui, il est un éditeur indépendant en situation précaire, vivant dans un studio, cherchant à convaincre des interprètes qui ne veulent pas des chansons. En travaillant avec Goldman, il développe une expertise rare : savoir reconnaître une grande chanson même quand elle vient d’un inconnu. Lorsque la carrière de Goldman décolle, il insiste pour que Lumbroso obtienne un crédit clair et public de son rôle. Il va même plus loin : il recommande Lumbroso à Alain Lévy, qui vient de prendre la tête de Polygram, en affirmant qu’il est “le meilleur”. Cette recommandation change tout. Lumbroso est embauché, gravit les échelons et devient quelques mois plus tard président de Polydor. Sans Goldman, cette trajectoire aurait sans doute été plus longue, plus difficile, peut-être même impossible. Lumbroso ne l’oublie pas : il dit qu’il lui doit beaucoup, qu’il garde de ces années un souvenir joyeux, et que leur collaboration s’est toujours faite dans la confiance. Goldman, en reconnaissant le talent d’un homme que l’industrie ignorait, lui a offert un tremplin décisif. Et une amitié à toute épreuve.

"Des bouts de moi"

“Des bouts de moi” appartient à cette période d’hyper-créativité où Jean-Jacques Goldman écrit des dizaines de chansons, entre 1975 et 1980, dans l’idée de les proposer à d’autres. C’est une époque où il ne se sent pas chanteur, où il se voit comme un artisan qui découpe, ajuste, polit des morceaux de mélodie et de texte pour les offrir à un interprète qui, espère-t-il, saura les porter. “Des bouts de moi” fait partie des titres qu’il remet à Marc Lumbroso lors de leurs premières rencontres, un ensemble de chansons qui forment comme un autoportrait involontaire. Lumbroso repère dans ce stock de titres un matériau précieux : non pas des “chansons jetables” destinées à des voix sans visage, mais des fragments cohérents, personnels, qui méritent mieux qu’une face B oubliée.

"Il y a"

“Il y a” fait partie des titres qui dorment dans les tiroirs de Jean-Jacques Goldman au moment où Marc Lumbroso entre dans sa vie professionnelle. Entre 1975 et 1980, Goldman compose sans relâche, comme si écrire était pour lui un geste vital, une manière de rester en mouvement après la parenthèse Taï Phong. “Il y a” est l’une des chansons que Lumbroso découvre dans ce stock inattendu. Un stock si vaste que Jean Bender dira plus tard qu'on marchait littéralement sur les bandes dans le sous-sol du pavillon de Montrouge. La chanson porte la marque de cette époque : un texte dépouillé, presque philosophique, tourné vers l’observation du monde et des émotions simples. Lumbroso y voit une évidence : Goldman n’écrit pas des chansons interchangeables, mais des morceaux qui expriment une sensibilité singulière. “Il y a”, qui a failli rejoindre les chansons du premier album, verra finalement le jour sur le double album “Entre gris clair et gris foncé”, au milieu d’autres titres issus de cette époque.

"Je te promets"

“Je te promets” est aujourd’hui indissociable de la voix de Johnny Hallyday, mais son histoire commence bien plus tôt, entre 1975 et 1980, dans la période la plus dense d’écriture de Jean-Jacques Goldman. C’est Marc Lumbroso qui, chargé de proposer les chansons de Goldman à des interprètes établis, la présente notamment à Gérard Lenorman. À ce moment-là, Goldman n’imagine pas une seconde qu’il deviendra chanteur : il écrit pour d'autres, dans l’espoir qu'une voix connue fera passer ses textes à l’antenne. “Je te promets” est l’une de ces chansons qui circulent de bureau en bureau, l’une de celles dont on ne veut pas, simplement parce qu’elle est signée par un inconnu. Le refus de l’entourage de Lenorman, comme celui d’autres artistes, témoigne de l’aveuglement de l’industrie : la chanson devient plus tard un classique, preuve que les interprètes lisaient surtout la signature, pas le texte. Ironie du destin : ce morceau “refusé” deviendra l’un des piliers de l’album “Gang”, près de dix ans après sa création, et l’une des chansons préférées des Français. Contrairement à ce que prétendent d’autoproclamés experts, “Je te promets” n’a pas été écrite pour Adeline Blondieau, qui a été l’épouse de Johnny Hallyday entre 1990 et 1992, puis entre 1994 et 1995. Elle avait 15 ans au moment où la chanson est sortie, et 7 quand elle a été écrite. Un contresens total pour une chanson qui ne promet rien, si ce n’est des promesses.

"L’Envie"

“L’Envie”, avant d’être la chanson qui définit le mieux Johnny Hallyday, est une chanson écrite dans la seconde moitié des années 70, à cette période où Jean-Jacques Goldman cherche simplement à placer des titres. Marc Lumbroso propose alors plusieurs chansons à Michel Sardou, dont “L’Envie”. L’entourage de Sardou n’en veut pas. Personne ne s’en étonne vraiment : dans ces années-là, les interprètes regardent surtout le nom sous la chanson, et refuser des œuvres signées par un inconnu est presque une réflexe professionnel. Pourtant, dans “L’Envie”, tout est déjà là : l’énergie, la tension interne, le besoin de dépassement. Cette chanson, destinée à une autre voix que la sienne, montre que Goldman sait écrire pour les grandes amplitudes émotionnelles, même quand il vit encore dans l’ombre. Qu’elle ait été d’abord proposée à Sardou rééclaire d’ailleurs sa nature : ce n’est pas une chanson “pour Johnny”, c’est une chanson forte, point. C’est le refus qui la détourne vers un autre destin. Lorsque Johnny Hallyday l’enregistre plus tard, elle devient un classique, preuve à nouveau qu’entre 1975 et 1980, Goldman a déjà écrit de quoi fonder une carrière entière, même si personne ne s’en aperçoit.

“S'il suffisait d'aimer” / “S’il suffisait qu’on s’aime”

Écrite entre 1975 et 1980, “S’il suffisait qu’on s’aime” fait partie de ces chansons que Marc Lumbroso reçoit de Jean-Jacques Goldman à une époque où celui-ci espère encore placer ses compositions auprès d’autres interprètes. Lumbroso se souvient de ce titre parmi les dizaines de morceaux que Goldman lui remet : une écriture déjà étonnamment mûre, puissante, mais que personne ne veut alors écouter simplement parce que le nom sous la chanson n’est pas encore connu. Comme tant d’autres œuvres de cette période, “S’il suffisait qu’on s’aime” est refusée non pas pour ce qu’elle est, mais pour qui l’a écrite : un auteur invisible, tout seul et anonyme aux yeux de l’industrie. A Laurent Boyer, vingt ans plus tard, il précise que le thème de cette chanson, ce n’est pas l’amour, mais “les limites de l’amour”. Il poursuit, dans une formule d’une lucidité presque brutale : “L’amour suffit pas. Tu peux avoir très envie que le monde aille mieux… Ça suffit pas. Il faut des armes, il faut du blé, il faut des routes, il faut des hommes, il faut des faits.” La chanson, conclut-il, parle de l’impuissance de l’amour, de ce mur invisible contre lequel la bonne volonté se brise parfois. Goldman écrivait, dès la fin des années 70, une forme de désenchantement courageux : aimer ne guérit pas tout, aimer ne répare pas tout, aimer ne transforme pas le réel sans action. Ce n’est pas une chanson naïve, mais une chanson de vérité. Refusée dans le silence des bureaux, ignorée par des interprètes qui n’ouvraient même pas les cassettes, elle devient un symbole de cette période où Goldman, encore inconnu, porte déjà une profondeur d’écriture qui dépasse les attentes du métier. Comme beaucoup d’autres titres de cette époque, elle fait partie des fantômes qui précèdent la lumière : des chansons trop fortes pour être comprises par un marché qui n’était pas prêt, mais qui révèlent un créateur déjà immense, encore invisible.

“Il me restera”

“Il me restera” figure parmi les “vieilles chansons” que Goldman reprendra dix ans plus tard sur l’album “Entre gris clair et gris foncé”. Comme “Il y a”, comme “Doux”, comme “Reprendre c’est voler”, elle naît entre 1975 et 1980, dans ces années où il compose pour d’autres, où ses chansons s’empilent sans trouver preneur. Marc Lumbroso voit dans cette chanson, comme dans tant d’autres du même stock, un potentiel émotionnel fort. Mais le milieu ne suit pas. Ce n’est qu’après le succès que Goldman la réintroduit dans son propre répertoire, comme pour montrer que les fondations de sa carrière étaient déjà solidement posées bien avant qu’on lui ouvre les portes. “Il me restera” est ainsi l’une de ces pièces précoces qui prouvent que son style existait avant son succès.

“Doux”

“Doux” est un autre exemple de ces chansons écrites entre 1975 et 1980, dans ce moment où Goldman ne sait pas encore qu’il deviendra l’un des artistes les plus populaires de France. Elle fait partie des “anciennes chansons” repérées par Marc Lumbroso, qui voit dans ces titres une douceur inhabituelle dans le paysage musical de l’époque. La chanson explore un rapport tendre au monde, à l’autre, à soi-même, une écriture déjà pleine d’empathie, loin des exigences d’efficacité commerciale. Comme souvent, elle ne trouve pas d’interprète. Ce refus général, répété, devient paradoxalement la preuve de la cohérence de Goldman : ce n’est pas lui qui s’est adapté au marché, c’est le public qui s’est mis à entendre ce qu’il faisait depuis longtemps. “Doux”, plus tard intégrée à “Entre gris clair et gris foncé”, devient ainsi la trace d’un passé longtemps nié, mais toujours présent.

“Reprendre c’est voler”

Écrite entre 1975 et 1980, “Reprendre c’est voler” appartient au même ensemble de chansons que Jean-Jacques Goldman confie à Marc Lumbroso. Dans le contexte de l’époque, cette chanson s’inscrit dans une démarche artisanale : Goldman écrit pour fournir un catalogue suffisamment riche pour séduire les interprètes établis. Mais aucun ne mord. Comme “Il me restera”, “Il y a” ou “Doux”, elle servira plus tard à nourrir l’un de ses albums, peut-être le plus personnel. Ce recyclage n’est pas un pis-aller, c’est une preuve : Goldman avait déjà trouvé sa voix, bien avant qu’on l’écoute.

“Il suffira d’un signe”

“Il suffira d’un signe” est composée entre 1975 et 1980, à un moment où Jean-Jacques Goldman ignore encore que ce sera le titre qui fera basculer sa vie. Dans le sous-sol de son pavillon de Montrouge, les bandes s’accumulent à tel point que Jean Bender raconte qu’on “marchait presque dessus”. L’une de ces bandes, abîmée, doit être repassée au fer pour redevenir audible. Un geste presque dérisoire, mais symbolique d’un artisanat total. La première version de la chanson est longue, près de huit minutes, peu radiophonique, presque hypnotique. Elle manque du punch nécessaire pour devenir un single. Marc Lumbroso et Goldman pensent plutôt que “Le rapt” sera le titre à mettre en avant. Ce n’est que grâce à Joël Gilbert, directeur artistique, que “Il suffira d’un signe” est raccourcie, restructurée, recentrée. Son énergie devient immédiate. Elle sort alors en single et change tout : c'est le premier succès, le premier véritable “signe” qui montre à Goldman qu’il peut devenir interprète. C’est un morceau né dans l’obscurité, ajusté à la dernière minute, et devenu un point de rupture dans l’histoire de la chanson française.

“Le rapt”

“Le rapt” est l’un des titres écrits entre 1975 et 1980 que Jean-Jacques Goldman et Marc Lumbroso voient comme un potentiel single issu de son premier album. La chanson fait partie des premières maquettes envoyées aux maisons de disques. À l’époque, ils pensent même qu’elle pourrait être la première carte de visite du futur album. Son thème colle bien aux obsessions littéraires de Goldman de l’époque. Mais l’histoire prend une autre direction : “Il suffira d’un signe”, longtemps reléguée à l’arrière-plan, finit par prendre sa place. “Le rapt” reste donc un titre important, mais “second-choice”, un morceau qui aurait pu, dans une autre chronologie, devenir le premier geste public de Goldman. Il n’en demeure pas moins un témoin précieux de la période pré-succès. Il faudra attendre 1999 pour que “Le rapt”, “une vieillerie du premier album”, passe enfin à la radio. Dans sa version issue du live de la tournée 1998.

“Quelque chose de bizarre”

“Quelque chose de bizarre” est la deuxième chanson publiée dans la carrière solo de Jean-Jacques Goldman, après “Il suffira d’un signe”. Ironie du destin : ce sera aussi son dernier échec commercial. Écrite entre 1975 et 1980, la chanson appartient à la même période d’essais, de tentatives, de maquettes produites dans l’ombre. Lorsqu’elle sort en single, elle s’efface rapidement des classements, ne trouvant pas le public. Marc Lumbroso et Goldman pensaient pourtant qu’elle avait du potentiel. Cet échec, loin d’être une catastrophe, marque en réalité la fin des incertitudes : c’est la seule fois que Goldman se heurte au silence du public dans sa carrière solo. Tout ce qui suivra sera une montée continue. “Quelque chose de bizarre” reste donc un jalon symbolique : la dernière hésitation avant l’ascension.

Ces liens que l’on sécrète…